Mission d'information sur l'adaptation de la politique familiale française aux défis du xxie siècle

Réunion du mercredi 27 novembre 2019 à 15h15

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • PMA
  • civil
  • filiation
  • mariage
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La réunion

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Mission d'information de la Conférence des présidents sur l'adaptation de la politique familiale française aux défis de la société du XXIe siècle

Mercredi 27 novembre 2019

La séance est ouverte à 15 heures 15.

(Présidence de M. Stéphane Viry, président de la mission d'information de la Conférence des présidents)

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Cet après-midi est consacré à poursuivre nos réflexions sur les évolutions de la famille et ses conséquences sur le plan juridique avec l'audition de Mme Isabelle Corpart. Vous êtes docteure en droit, chargée de cours à l'Université de Mulhouse et spécialiste du droit des personnes et de la famille. Nous avons pu prendre connaissance de votre grande production bibliographique. Vous vous êtes intéressée aux questions relatives aux liens de parenté et aux notions de filiation et d'engendrement. Ces questions ont été débattues lors de la discussion à l'Assemblée du projet de loi bioéthique, qui a été adopté ici en première lecture et qui est actuellement en discussion au Sénat.

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Selon vous, quelles sont les évolutions qui ont marqué la structure familiale depuis le XXe siècle ?

Par ailleurs, que pensez-vous du droit de la filiation au regard des formes contemporaines et des différentes évolutions ?

Que pensez-vous de la loi bioéthique portant sur la procréation médicalement assistée (PMA) qui est aujourd'hui ouverte à toutes ? Selon vous, quelles sont ses conséquences en matière de filiation ?

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Isabelle Corpart, maîtresse de conférences en droit privé et sciences criminelles à l'Université Haute-Alsace

En tant que juriste spécialisée en droit des personnes et de la famille, je suis conviée à prendre part aux débats. Je suis ravie de pouvoir aborder ces questions sous l'angle du droit civil. Dans votre commission, il est question de politique familiale. Ce type de questions existe parce que le droit civil a permis et accompagne la création de la famille et de l'institution familiale. Tous ces mots sont extrêmement importants.

Comme vous allez entendre des personnes venant d'horizons très divers et de disciplines très différentes, je vous précise que le mot « famille » n'a pas le même sens pour nous tous et que nous ne créons pas la famille de la même manière.

Vous m'avez demandé de réfléchir aux grandes évolutions qui ont marqué la structure familiale, je ne surprendrai personne en disant que la famille a changé. Sans avoir besoin de faire des études, il suffit de questionner les parents et les grands-parents pour mesurer ces mutations, ces transformations, et même ces bouleversements. Sans doute n'est-ce pas fini, car la famille bouge constamment autour de ces questions sociétales.

Pour comprendre où nous sommes, il est important de lister les avancées en matière familiale et de rappeler d'où nous sommes partis. Nous sommes partis de la famille traditionnelle, de la famille patriarcale, de la famille ancestrale. Les juristes se souviennent du Code civil de 1804, c'est notre repère. Cela étant, je ne vais pas remonter aussi loin, puisque ce sont les années d'après-guerre qui vous intéressent.

Parler de la famille signifie parler des parents, mais pas seulement : il y a aussi les alliés. La famille est verticale pour les parents et horizontale pour les alliés. Vous avez ensuite la famille au sens large et la famille nucléaire, qui aujourd'hui nous intéresse peut-être davantage. La famille souche est une autre façon d'aborder ces questions. Ces familles ou ces approches de la famille ont été complètement revues, reprises, affectées au fil des années par les grands principes républicains : liberté, égalité, fraternité.

Au départ, comme le précise le Code civil de 1804, la famille repose uniquement sur le mariage, puisque l'on constitue une famille uniquement en se mariant. Cela va rester très longtemps ainsi. De plus, autre donnée très importante, c'est un mariage pour toute la vie.

Un premier vent de liberté souffle avec les unions libres et une évolution autour de ce que l'on appelle d'abord le « concubinat », puis le « concubinage ». Pour ces couples de concubins, l'arrivée d'enfants hors mariage amène des évolutions conséquentes. Ces enfants sont longtemps appelés « enfants naturels », par opposition aux enfants légitimes. Ce n'est pas une loi et il n'y a pas de date ; il s'agit d'une évolution sensible.

Dès lors, la filiation devient le deuxième acte fondateur de la famille. Il y a une filiation autour de l'enfant, une filiation entre l'enfant et ses parents. Cependant, en droit, les parents concubins ou non mariés ne sont pas membres d'une même famille, mais ils sont membres de la famille de leurs enfants. Nous résumons cela en disant : « L'enfant fait la famille », tout comme le mariage. Nous pouvons avoir beaucoup d'enfants sans être mariés. Aujourd'hui, il s'agit donc d'une des pistes pour créer une famille, mais cela ne sera pas exactement la même famille que celle du mariage.

Les années 1960/1970 connaissent ensuite un bouleversement dans le droit de la famille. En effet, de nombreuses lois donnent une nouvelle tonalité à la famille, notamment celles du doyen Carbonnier. Bien évidemment, les événements de mai 1968 se traduisent aussi dans des lois emblématiques relatives à la famille.

Dans un premier temps, cette famille traditionnelle évolue du côté du couple avec l'émancipation des femmes. Nous commençons à parler du travail des femmes hors du foyer et hors de l'exploitation familiale. Cette lente émancipation se fait en plusieurs étapes. Le 18 février 1938 est une date très importante, puisque jusqu'alors, une femme mariée est une incapable juridique. Nous pourrions penser que désormais la femme est actrice du droit, mais cela n'est pas le cas et le changement prend encore de nombreuses années. Le droit de vote pour les femmes en 1944 est également un moment très important.

Pour la juriste que je suis, la date charnière est le 13 juillet 1965 avec la loi sur les régimes matrimoniaux qui met fin à la puissance maritale. Au sens des droits de la femme, cette loi n'est pas parfaite et il faudra attendre encore 20 ans, en 1985, pour corriger cela, mais il s'agit évidemment d'une première étape. C'est aussi l'époque du mouvement de libération des femmes (MLF).

Les revendications ébranlent les dogmes et changent la donne autour de ces questions. La liberté vient s'insérer dans les relations de couple. Tout d'abord, les mariages arrangés disparaissent. Il s'agit d'un élément essentiel pour la libération de la femme. Nous avons alors le droit de ne plus être d'accord avec nos parents, mais nous mettrons très longtemps à évacuer toutes les notions de violence, de respect que nous devions aux parents, qui pouvaient imposer un certain nombre de choses. Nous connaissons surtout le cas des filles qui étaient obligées de se marier, mais les jeunes gens étaient également soumis à ces pressions.

Cette liberté dans le couple amène aussi les lois sur le divorce. À une époque, nous n'avions pas le droit de divorcer, puis nous pouvions divorcer uniquement pour faute, et arrivera la grande réforme de 1975 rendant possible la désunion et plusieurs formes de divorce, y compris pour des familles avec enfants. Une femme ou un homme divorcé n'est plus stigmatisé. Les choses évoluent, mais il faut toujours un peu de temps.

Ensuite arrivent les familles recomposées, puisque souvent lorsque l'on divorce, c'est que l'on a des amours ailleurs. C'est un nouveau type de famille qui est très important pour nos réflexions : quels sont leurs droits ? Comment allons-nous évoluer autour de ces questions ?

Sur le divorce, nous n'avons pas fini, puisque nous attendons encore les décrets qui devraient entrer en vigueur en janvier. Nous allons de nouveau vers des changements importants, comme le fait de reprendre sa liberté au bout d'un an. Nous étions à six ans en 1975, puis à deux ans en 2004, et maintenant à un an. Être libre en matière de couple, c'est avoir le droit de vivre en concubinage, le droit de contracter un pacte civil de solidarité (PACS) et cela est évidemment très important. Nous n'en parlons pas beaucoup, mais il y a de nombreuses ruptures dans les couples non mariés. En s'affranchissant du mariage, les relations ne sont pas plus stables. Cela étant, nous n'avons pas de chiffres pour le concubinage et peu pour le PACS.

Le concubinage a complètement changé. Lorsque j'ai commencé mes études, j'ai eu la chance d'assister à une conférence d'Évelyne Sullerot qui parlait du concubinage comme étant « la cohabitation juvénile » ou « le mariage à l'essai », parce que nous pensions que l'arrivée des enfants entraînerait le mariage. À l'époque, il n'était pas pensable d'élever des enfants sans être mariés.

La liberté ne serait pas ce qu'elle a été sans la loi Neuwirth avec la pilule, la loi Veil avec l'interruption volontaire de grossesse (IVG), le droit de faire des enfants quand et comme nous le souhaitons. Aujourd'hui, c'est ce droit qui donne sans doute les revendications entendues dans la future loi bioéthique. Effectivement, nous déclinons la volonté : « Je veux ou je ne veux pas. Maintenant, immédiatement, il faut satisfaire mes désirs ». Je ne suis pas sûre que nous souhaitions cela lorsque nous avons introduit la contraception et l'IVG. En effet, la liberté entraîne de l'individualisme et personnellement, cela m'inquiète.

Dans un couple, nous gardons une liberté pour chacun des membres du couple. D'ailleurs, il y a bien longtemps que nous n'avons plus utilisé l'expression « le joug conjugal », devenue démodée. Pour autant, ne devons-nous pas avoir une cohésion de couple ? Le droit à l'épanouissement, le droit au bonheur sont des choses dont nous parlons beaucoup. Cela fait quarante ans que je suis mariée, ce n'est sûrement pas par hasard que je crois beaucoup à des valeurs partagées au sein du couple et pas à de l'individualisme pur.

Ces valeurs partagées se traduisent par une contractualisation dans le droit de la famille. Il y a des individus et il y a la volonté, mais parfois les volontés se rencontrent. Les volontés des époux, concubins ou conjoints font que l'on se met d'accord autour de pactes. Cela est très important, puisque si nous en avons discuté, nous allons accepter les choses. La médiation familiale est un élément intéressant.

Sur le droit à l'épanouissement personnel, bien évidemment, nous souhaitons le bonheur à tout le monde, mais il ne faut pas continuellement faire reculer l'ordre public. Il existe quand même des normes et des limites qui doivent être maintenues.

Après la liberté, la notion d'égalité est très forte. L'égalité est le fait de reconnaître la même place aux deux époux, concubins, etc. À partir du moment où nous avons la même place, nous pouvons combattre le viol conjugal ou les violences conjugales par exemple. Nous n'avons plus le droit de faire ce que nous voulons, puisque nous sommes maintenant à égalité. D'ailleurs, les violences conjugales faites par les femmes sur les hommes sont tout aussi critiquables.

Par ailleurs, à partir du moment où il y a l'égalité, il faut protéger et avoir une protection patrimoniale. Ce n'est pas par hasard qu'en 2001, le conjoint a la possibilité de devenir un héritier. Il s'agit d'une évolution très importante. Avant, les biens restaient dans la famille, mais dans la famille verticale et non dans la famille horizontale. Aujourd'hui, la famille horizontale, qui correspond au lit conjugal, a des droits. Par exemple, sur la vocation successorale, le conjoint est en concurrence avec les enfants du couple : un quart pour le conjoint et trois quarts pour les enfants. Cette égalité au sein des couples n'est arrivée qu'en 1994, lorsque nous avons commencé à dire : « Le couple marié et le couple non marié doivent avoir les mêmes droits ».

Parler du couple et des époux change aussi le regard que nous portons sur ces personnes. Dans la famille, il y a bien sûr des parents, père et mère, qui ont des droits et une égalité de droits, et puis il y a la situation réservée aux enfants. S'ajoute aux notions de liberté et d'égalité celle de fraternité, puisqu'en 1996, une loi précise que les enfants ont le droit de garder les relations avec leurs frères et sœurs, dans la mesure du possible.

La liberté est la liberté de devenir parents. Nous sommes en plein dans l'actualité de la loi PMA, mais la liberté d'établir une filiation est arrivée petit à petit. Il faut savoir qu'autrefois pour un enfant adultérin, il n'était pas possible de faire une action en justice pour établir la filiation. Nous revenons de très loin. Aujourd'hui, nous pouvons faire une action en recherche de paternité ou de maternité, ainsi qu'établir des filiations ou contester des filiations. La réforme et la modernisation de la filiation datent de 2005 et de 2009.

Par ailleurs, vous avez aussi la possibilité de faire des enfants sans être mariés, il s'agit de la « famille naturelle ». Ce terme n'est plus utilisé depuis 2005, cela étant, nous avons longtemps opposé la famille légitime et la famille naturelle.

Faire des enfants hors mariage peut aussi se traduire par le fait de les faire tout seul : ce sont les familles monoparentales. Pour la famille monoparentale, il y a plusieurs approches : vous êtes veuf, vous êtes dans une famille monoparentale ; vous avez divorcé, vous êtes une famille monoparentale. Nous pouvons également choisir de faire un enfant tout seul comme le chante Jean-Jacques Goldman, et cela sera davantage possible avec la loi bioéthique, puisque nous n'aurons plus besoin d'un géniteur. Nous aurons uniquement besoin d'un donneur de gamètes et nous ne nous embarrasserons plus d'un père. Je suis obligée de dire que si le Code civil a ses lois, la nature a aussi les siennes et nous ne sommes plus au temps où nous parlions de parthénogenèse ou de clonage. Nous pouvons décider d'avoir un enfant seul, mais nous ne l'avons pas « fabriqué » complètement seuls – si vous me permettez l'expression.

Aujourd'hui, nous sommes à plus de 60 % d'enfants nés hors mariage. Avec cette masse d'enfants hors mariage, nous avons besoin d'un mode de filiation qui est la reconnaissance d'enfants. Dans le projet de loi, nous utilisons la reconnaissance pour créer quelque chose qui, à mon sens, n'est pas tout à fait de la reconnaissance d'enfants.

Je voudrais dire un mot sur l'égalité des parents par rapport aux enfants, sur la fin du chef de famille, la fin de la puissance paternelle. En 1970, nous ne parlons pas de « coparentalité » – cette expression va arriver en 2002 –, mais nous faisons déjà de la coparentalité, puisque désormais, les deux parents ont les mêmes droits. En 2002, l'évolution porte sur le maintien de la coparentalité même lorsque l'on se sépare.

Par ailleurs, tous les enfants sont égaux en droit comme stipulé à l'article 310 du code civil – la numérotation de l'article va changer dans le projet de loi et je n'ai pas encore intégré le nouveau numéro – qui prévoit que tous les enfants dont la filiation est établie ont les mêmes droits. Nous y sommes arrivés. Le doyen Carbonnier doit être fier de nous, puisqu'il a voulu reconnaître des droits aux enfants naturels en disant qu'il fallait aussi reconnaître des droits aux enfants adultérins. Nous ne partions de rien pour eux et nous ne pouvions pas leur donner tout. De ce fait, nous leur avions donné la moitié de ce qu'ils auraient eu s'ils avaient été légitimes. Les enfants adultérins étaient des enfants conçus pendant que leur auteur était engagé dans les liens du mariage avec une autre personne.

Aujourd'hui, nous n'avons plus à faire toutes ces précisions de terminologie, puisque tous les enfants ont les mêmes droits. Il n'y a plus de catégories, hormis peut-être avec les enfants issus ou non de PMA. En effet, ils ne seront pas tout à fait dans le même moule et cela me dérange, car nous avions bien évolué autour de toutes ces questions. L'enfant est un sujet de droit et nous lui reconnaissons beaucoup de droits. Nous devons protéger toutes les personnes d'une famille, car elles ont toutes le même droit à être protégées, elles ont toutes droit à la parole, même l'enfant. Nous avons mis du temps pour y arriver, mais cela est précisé clairement dans la Convention internationale des droits de l'enfant, mais désormais aussi, dans le Code civil.

En matière de politique familiale, selon moi, il est également essentiel de protéger l'enfant contre les autres membres de la famille. L'État se mêle des affaires privées, puisque la famille n'est plus quelque chose de fermée que l'on peut cacher. Nous avons non seulement le droit d'aller voir ce qui se passe, mais surtout nous en avons le devoir. En effet, nous avons le devoir de lutter contre la maltraitance, de lutter contre les violences conjugales et d'aider les familles, des individus dans les familles, et de les protéger.

Dans les phénomènes emblématiques, il y a aussi la déjudiciarisation, puisque le juge se mêle moins d'un certain nombre de questions. Cela peut être inquiétant et de ce fait, l'État doit continuer à s'occuper de cela. En effet, le juge ne s'occupant plus de toutes ces questions, nous laissons peut-être beaucoup de libertés aux familles. Je sais bien que cela est dans l'air du temps, mais n'est-ce pas dangereux malgré tout, comme les familles qui peuvent faire ce qu'elles veulent pour les noms et les prénoms ? Avec la suppression de l'intervention systématique du juge dans beaucoup de situations familiales, nous avons ébranlé les choses et peut-être allons-nous avoir des regrets.

Vous me demandiez si la façon de faire famille avait changé. « Faire famille », ce n'est pas une expression de juriste. Vivre comme des membres d'une famille, oui, cela a changé, mais constituer une famille n'a pas changé, puisqu'il s'agit toujours de se marier, de faire des enfants, de reconnaître les enfants et de créer des liens.

En revanche, nous ne nous préoccupons peut-être pas assez des situations qui sont à la marge. Sur les liens affectifs, nous voudrions aller dans le sens de la parentalité d'intention, laisser les personnes s'exprimer librement, etc. Des liens du sang, nous sommes passés aux liens du cœur. Ce sont de jolies expressions, mais ce n'est pas que cela, c'est aussi la réalité. Les liens du cœur, nous pouvons les avoir par l'adoption, mais nous pouvons aussi les constater au travers de la notion de possession d'État. Tout cela est bien sûr important, mais nous continuons d'avoir des « étrangers », des personnes qui ne sont pas membres de la famille.

Par exemple, un concubin n'hérite pas de sa concubine. On peut dire qu'il s'agit d'un choix et qu'ils n'avaient qu'à se marier, néanmoins, il y a un décalage. Nous disons que nous entendons leurs revendications, mais en fait, nous ne les entendons pas. Si je prends l'exemple du concubinage, le concubin qui a fait une donation ou un legs à sa concubine pense qu'il a fait son travail, qu'il a été un bon concubin à défaut d'avoir été un bon époux, mais il y a 60 % de droits de mutation pour l'État. Cette loi ne va pas et il faut la changer. Il faut aller jusqu'au bout de cette parenté d'intention, des liens affectifs et reconnaître que si l'on aime quelqu'un, il faut aussi que l'on puisse lui transmettre son patrimoine. Il est peut-être trivial de parler de patrimoine lorsque l'on parle de la famille, mais cela en fait partie.

Par rapport aux enfants, nous avons le même problème. Dans une famille homoparentale, avant que la loi de 2013 soit mise en place, des beaux-parents, des compagnes de la mère, etc., élèvent des enfants. En cas de décès, cela pose de nombreux problèmes, y compris en matière successorale ou en matière de libéralité, parce que nous n'avons pas de liens de droit. Si vous faites un testament en faveur des enfants de votre compagne, enfants que vous avez élevés depuis leur naissance, puisque vous étiez partie en Belgique pour les faire naître, on vous apprend qu'il y a 60 % de droits de mutation. On vous dira peut-être d'attendre qu'ils soient majeurs et de faire une adoption simple, mais l'administration fiscale est un peu réticente à ce sujet.

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Vous avez dit que le deuxième acte fondateur de la famille est la filiation, j'aimerais revenir sur ce point. Sur le texte adopté à l'Assemblée nationale sur la filiation et sur la conséquence juridique de l'ouverture à la PMA pour toutes, le Conseil d'État avait émis une recommandation et la création du titre 7 bis. Quel est votre avis sur le sujet ? J'aimerais aussi que nous revenions sur la reconnaissance, puisque dans la modification du titre 7, nous évoquons la reconnaissance anticipée de volonté. Pouvez-vous approfondir ce point ?

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Isabelle Corpart, maîtresse de conférences en droit privé et sciences criminelles à l'Université Haute-Alsace

La question était de savoir si nous faisions deux droits de la filiation. Je vais avoir une pensée pour M. Osaire, regretté professeur de droit civil, qui parlait des enfants « à l'ancienne », par opposition aux « enfants de la science ». Je pense que nous ne devons pas cloisonner, nous devons accueillir tous les enfants de la même manière. Il aurait été gênant d'avoir une version réservée à certaines catégories d'enfants. Je ne sais pas de quelle manière nous avons évolué, quels ont été les arguments nous faisant renoncer à cela.

Cela dit, nous avons déjà accueilli des enfants. En 1994, nous avons dit qu'il était possible de passer du Code de la santé publique avec l'assistance médicale à la PMA dans le Code civil et de rendre cette filiation inattaquable. Il s'agit de la même filiation, ce sont les mêmes modes d'établissement : l'action en recherche de paternité, la reconnaissance, la présomption de paternité. Tous les modes d'établissements « normaux » sont utilisés pour les enfants de la science, mais c'est une filiation qui est verrouillée et il s'agit de la seule différence.

Finalement, c'est ce que nous allons faire aussi, c'est-à-dire que nous allons prévoir un établissement de la filiation, mais en disant qu'il ne sera pas possible de faire un test ADN pour remettre en cause cette filiation. Il s'agit d'un engagement vis-à-vis de ses enfants. Il existe des petites nuances avec ce que nous avons déjà aujourd'hui dans les articles 319 et 320, mais c'est le même esprit. Je trouve qu'il y a une cohérence, parce que nous gardons les techniques que nous connaissons en disant simplement : « Attention, il faut maintenir dans le temps cette filiation ».

Cela étant, j'ai des interrogations sur l'usage de la reconnaissance. Nous enseignons aux étudiants que lorsque nous reconnaissons un enfant, nous sommes le parent biologique de cet enfant et donc que nous avons procréé. Historiquement, la reconnaissance se conçoit ainsi. D'ailleurs, il est possible de contester une reconnaissance si elle est mensongère et donc si nous n'avons pas procréé. Pourquoi utilisons-nous le même mot ? Pourquoi n'avons-nous pas imaginé autre chose ? Reconnaître un enfant, ce n'est pas la parenté d'intention. Selon moi, la parenté d'intention est l'acte de notoriété constatant la possession d'État. Nous sommes sur ce registre, puisque les liens du cœur correspondent plutôt à cela. Nous allons fabriquer des reconnaissances mensongères. La seule différence est qu'elles se feront chez le notaire qui les authentifiera, et cela me dérange.

Lorsque nous avions travaillé autour de la loi bioéthique de 1994, nous étions partis sur une piste qui me séduisait : l'adoption prénatale. Dans l'évolution de la filiation, j'ai l'impression que nous dénigrons l'adoption. L'adoption n'est plus bonne à rendre mère une femme qui ne procrée pas. Nous avons une femme qui veut devenir mère – bien sûr, je ne lui dénie pas le droit d'être mère –, mais qui ne veut pas de l'adoption, car ce n'est pas assez bien. Je peux comprendre que l'adoption intervenant six mois après la naissance puisse être inquiétante, puisqu'il pourrait y avoir un décès de la mère biologique avant la reconnaissance de la mère adoptive. Cependant, avec une adoption prénatale, ces questions auraient été réglées sans mentir.

Je trouve que la procréation médicalement assistée devient la procréation médicalement artificielle. Nous sommes sur des artifices avec cette notion de reconnaissance. Pour vous dire le fond de ma pensée, je suis choquée que cette femme qui accouche n'ait plus le droit à l'acte de naissance valant preuve de sa maternité. Pourtant en 2005, nous nous étions réjouis d'entendre qu'enfin on reconnaissait à toutes les femmes le droit d'être mère, simplement parce que leur nom figurait dans l'acte de naissance. Parce qu'il faut lutter contre les discriminations, parce qu'il faut accorder les mêmes droits aux deux femmes, nous dénions à une femme qui accouche le droit d'être mère à part entière. De plus, cette femme, nous ne l'autoriserons plus à faire un accouchement sous le secret. Or le droit de renoncer à son enfant à la maternité est reconnu à toute femme qui accouche. Nous n'avons pas du tout parlé de l'accouchement sous le secret.

Par ailleurs, il existe des situations où les couples se délitent à la suite de PMA à rallonge, car cela peut créer des souffrances débouchant parfois sur des incertitudes lorsque la PMA ne fonctionne pas du premier coup. Bien évidemment, mes repères concernent les couples hétérosexuels. Les couples n'ayant pas tenu la route après l'arrivée de l'heureux événement sont plus nombreux que l'on ne le pense. Lorsqu'on a lutté pendant des années pour avoir un enfant, on ne sait plus contre quoi lutter et des catastrophes se produisent. Dans ces situations, je me dis que peut-être certaines femmes ne voudront plus de l'enfant. Il en est de même pour un enfant qui naîtrait trisomique, par exemple. Cependant, nous ne laisserons pas le choix à ces femmes puisque nous leur dirons : « Vous avez reconnu cet enfant et c'est une reconnaissance pour toujours, une reconnaissance qu'il n'est pas possible de remettre en cause ». Dès lors, si le couple de femmes venait à se séparer, il n'y aurait pas de solutions ou d'autres opportunités.

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Sur les impacts des mesures que nous pouvons prendre, il est vrai que parfois nous avons tendance à nous dire que nous sommes en première lecture et que lorsque cela arrivera au Sénat, il y aura des corrections et la sagesse des sénateurs.

Nous avons eu un certain nombre d'évolutions très positives pour les femmes dans leurs droits. Bientôt se posera la question des hommes et de leur place dans notre société. Ma femme a une belle image en disant que si l'homme croit encore qu'il est la tête, la femme est le cou et elle oriente la tête.

Plus sérieusement, vous avez évoqué la question de l'intention du législateur, notamment dans les lois des années 1960 et 1970, et le fait que peut-être aujourd'hui nous étions au-delà d'un certain nombre d'intentions. Désormais, le mariage n'est plus forcément vu par nos contemporains comme le lieu idéal pour protéger les enfants. Avant de modifier les choses, nous pourrions nous poser un certain nombre de questions : quels sont les impacts en particulier pour les enfants ? Les naissances hors mariage peuvent-elles générer des conflits ou de la vulnérabilité ? Dans cette liberté qui est de plus en plus forte, en tout cas tel qu'elle est conçue dans une éthique de l'autonomie, n'avons-nous pas un risque de perte de solidarité ?

Il m'est venu l'article du Code civil que l'on nous rappelle lors d'un mariage : les époux se doivent mutuellement fidélité, secours, respect et assistance. Dans « secours et assistance pour le meilleur et pour le pire », nous voyons bien que si nous oublions totalement l'éthique de la vulnérabilité, cela peut être risqué dans la manière de faire société ensemble et de faire famille avec tout ce que cela suppose.

J'en arrive à une autre problématique qui concerne la dépendance de nos aînés. S'il n'y a plus de mariage et que l'on ne se doit plus rien, se pose la question de la solidarité avec nos enfants, mais aussi avec nos parents. En effet, si nous avons moins de personnes connectées, nous avons moins de solidarité, y compris vis-à-vis de nos aînés. Certains départements vont chercher jusqu'aux petits-enfants, mais cela est plus difficile si nous ne sommes pas connectés dans les maillons de la chaîne familiale.

Par ailleurs, vous avez évoqué des problèmes de sémantique et vous avez même parlé de PMA artificielle. Nous utilisons le même terme « PMA » qu'elle soit sans tiers donneur ou avec tiers donneur et cela nuit beaucoup à la lisibilité de nos débats.

Sur les questions de réalités vécues et d'adoptions, nous avons beaucoup parlé du titre 7, mais le titre 8 a été complètement oublié. Cela est un peu paradoxal, car si nous revenons aux intentions affichées notamment en 2013, nous pouvons nous demander pourquoi nous les avons mises en place, si cela ne valait pas la peine.

Pour finir, à travers ce que nous mettons en place en tant que législateurs, ne devons-nous pas protéger l'enfant dans la durée, y compris lorsqu'il devient très âgé ?

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Isabelle Corpart, maîtresse de conférences en droit privé et sciences criminelles à l'Université Haute-Alsace

Je ne m'inquiète pas pour les enfants nés hors mariage, car leur place est garantie par les textes sur l'autorité parentale, etc. Nous avons encadré les obligations parentales, par exemple, aujourd'hui, nous n'avons même plus le droit de mettre des fessées.

Dans une réforme de 2015, nous avons mis fin à une discrimination pour les familles monoparentales. En effet, lorsque l'on est un enfant né hors mariage, un enfant de concubin ou un enfant d'une famille monoparentale, si on a un patrimoine, celui-ci est géré exactement à l'identique, parce que nous avons supprimé l'administration légale sous contrôle judiciaire. En d'autres termes, nous faisons désormais confiance aux parents et il n'y a plus de stigmatisation des familles monoparentales.

Par ailleurs, les couples voudraient avoir les mêmes droits que les époux, mais ils oublient que, dans ce cas, ils devraient aussi avoir les mêmes devoirs et obligations. Dès lors, il y aurait des obligations alimentaires, des obligations vis-à-vis de la belle-famille avec par exemple le devoir de payer la maison de retraite. Si nous voulons faire famille entièrement, il faut aussi accepter tout cela, comme l'obligation de fidélité qui pourrait être sanctionnée – même si nous ne sommes plus du tout sur une cause péremptoire de divorce.

Je m'inquiète également pour les hommes et pour leur « effacement ». Il est étonnant de lever l'anonymat des donneurs de gamètes, alors qu'il n'y a pas de place pour un homme quand deux femmes procréent un enfant ensemble. En effet, que viendra-t-il faire ? À quoi cela va-t-il servir ? Je suis pour l'égalité, mais je ne suis pas pour que les femmes gagnent et prennent le dessus. Même si je suis foncièrement contre la gestation pour autrui (GPA), j'ai du mal à comprendre une société dans laquelle nous accueillerons la PMA pour toutes les femmes mariées ou célibataires et dans laquelle nous continuerons à refuser la GPA pour les hommes qui veulent être pères. Un désir d'être père est tout aussi fort qu'un désir d'être mère. Si nous accueillons le désir d'être mère, comment pouvons-nous refuser le désir d'être père ?

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Je m'aperçois de la force du droit civil et de son importance pour réguler un certain nombre de pensées et de conceptions sociétales.

La réunion s'achève à 16 heures 15.

Membres présents ou excusés

Mission d'information de la Conférence des présidents sur l'adaptation de la politique familiale française aux défis de la société du XXIe siècle

Présents. - Mme Pascale Boyer, Mme Nathalie Elimas, M. Gilles Lurton, Mme Zivka Park, Mme Marie Tamarelle-Verhaeghe, M. Stéphane Viry

Excusés. - Mme Christine Cloarec-Le Nabour, Mme Jacqueline Dubois, Mme Laure de La Raudière, Mme Frédérique Meunier