Intervention de Isabelle Corpart

Réunion du mercredi 27 novembre 2019 à 15h15
Mission d'information sur l'adaptation de la politique familiale française aux défis du xxie siècle

Isabelle Corpart, maîtresse de conférences en droit privé et sciences criminelles à l'Université Haute-Alsace :

La question était de savoir si nous faisions deux droits de la filiation. Je vais avoir une pensée pour M. Osaire, regretté professeur de droit civil, qui parlait des enfants « à l'ancienne », par opposition aux « enfants de la science ». Je pense que nous ne devons pas cloisonner, nous devons accueillir tous les enfants de la même manière. Il aurait été gênant d'avoir une version réservée à certaines catégories d'enfants. Je ne sais pas de quelle manière nous avons évolué, quels ont été les arguments nous faisant renoncer à cela.

Cela dit, nous avons déjà accueilli des enfants. En 1994, nous avons dit qu'il était possible de passer du Code de la santé publique avec l'assistance médicale à la PMA dans le Code civil et de rendre cette filiation inattaquable. Il s'agit de la même filiation, ce sont les mêmes modes d'établissement : l'action en recherche de paternité, la reconnaissance, la présomption de paternité. Tous les modes d'établissements « normaux » sont utilisés pour les enfants de la science, mais c'est une filiation qui est verrouillée et il s'agit de la seule différence.

Finalement, c'est ce que nous allons faire aussi, c'est-à-dire que nous allons prévoir un établissement de la filiation, mais en disant qu'il ne sera pas possible de faire un test ADN pour remettre en cause cette filiation. Il s'agit d'un engagement vis-à-vis de ses enfants. Il existe des petites nuances avec ce que nous avons déjà aujourd'hui dans les articles 319 et 320, mais c'est le même esprit. Je trouve qu'il y a une cohérence, parce que nous gardons les techniques que nous connaissons en disant simplement : « Attention, il faut maintenir dans le temps cette filiation ».

Cela étant, j'ai des interrogations sur l'usage de la reconnaissance. Nous enseignons aux étudiants que lorsque nous reconnaissons un enfant, nous sommes le parent biologique de cet enfant et donc que nous avons procréé. Historiquement, la reconnaissance se conçoit ainsi. D'ailleurs, il est possible de contester une reconnaissance si elle est mensongère et donc si nous n'avons pas procréé. Pourquoi utilisons-nous le même mot ? Pourquoi n'avons-nous pas imaginé autre chose ? Reconnaître un enfant, ce n'est pas la parenté d'intention. Selon moi, la parenté d'intention est l'acte de notoriété constatant la possession d'État. Nous sommes sur ce registre, puisque les liens du cœur correspondent plutôt à cela. Nous allons fabriquer des reconnaissances mensongères. La seule différence est qu'elles se feront chez le notaire qui les authentifiera, et cela me dérange.

Lorsque nous avions travaillé autour de la loi bioéthique de 1994, nous étions partis sur une piste qui me séduisait : l'adoption prénatale. Dans l'évolution de la filiation, j'ai l'impression que nous dénigrons l'adoption. L'adoption n'est plus bonne à rendre mère une femme qui ne procrée pas. Nous avons une femme qui veut devenir mère – bien sûr, je ne lui dénie pas le droit d'être mère –, mais qui ne veut pas de l'adoption, car ce n'est pas assez bien. Je peux comprendre que l'adoption intervenant six mois après la naissance puisse être inquiétante, puisqu'il pourrait y avoir un décès de la mère biologique avant la reconnaissance de la mère adoptive. Cependant, avec une adoption prénatale, ces questions auraient été réglées sans mentir.

Je trouve que la procréation médicalement assistée devient la procréation médicalement artificielle. Nous sommes sur des artifices avec cette notion de reconnaissance. Pour vous dire le fond de ma pensée, je suis choquée que cette femme qui accouche n'ait plus le droit à l'acte de naissance valant preuve de sa maternité. Pourtant en 2005, nous nous étions réjouis d'entendre qu'enfin on reconnaissait à toutes les femmes le droit d'être mère, simplement parce que leur nom figurait dans l'acte de naissance. Parce qu'il faut lutter contre les discriminations, parce qu'il faut accorder les mêmes droits aux deux femmes, nous dénions à une femme qui accouche le droit d'être mère à part entière. De plus, cette femme, nous ne l'autoriserons plus à faire un accouchement sous le secret. Or le droit de renoncer à son enfant à la maternité est reconnu à toute femme qui accouche. Nous n'avons pas du tout parlé de l'accouchement sous le secret.

Par ailleurs, il existe des situations où les couples se délitent à la suite de PMA à rallonge, car cela peut créer des souffrances débouchant parfois sur des incertitudes lorsque la PMA ne fonctionne pas du premier coup. Bien évidemment, mes repères concernent les couples hétérosexuels. Les couples n'ayant pas tenu la route après l'arrivée de l'heureux événement sont plus nombreux que l'on ne le pense. Lorsqu'on a lutté pendant des années pour avoir un enfant, on ne sait plus contre quoi lutter et des catastrophes se produisent. Dans ces situations, je me dis que peut-être certaines femmes ne voudront plus de l'enfant. Il en est de même pour un enfant qui naîtrait trisomique, par exemple. Cependant, nous ne laisserons pas le choix à ces femmes puisque nous leur dirons : « Vous avez reconnu cet enfant et c'est une reconnaissance pour toujours, une reconnaissance qu'il n'est pas possible de remettre en cause ». Dès lors, si le couple de femmes venait à se séparer, il n'y aurait pas de solutions ou d'autres opportunités.

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