Mission d'information sur l'adaptation de la politique familiale française aux défis du xxie siècle

Réunion du mercredi 18 décembre 2019 à 15h15

Résumé de la réunion

Répartition par groupes du travail de cette réunion de commission

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La réunion

Source

Mission d\'information de la Conférence des présidents sur l'adaptation de la politique familiale française aux défis de la société du XXIe siècle

Mercredi 11 décembre 2019

Vice-Présidence de M. Gilles Lurton, vice-président de la mission d'information

– Audition, ouverte à la presse, de M. Eric Mengus, professeur assistant à l'école des Hautes études commerciales de Paris (HEC).

La séance est ouverte à quinze heures quinze.

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. Nous poursuivons nos auditions sur la politique familiale. Après avoir auditionné M. Marc Pichard, professeur des universités de Paris-Ouest, spécialiste des questions de filiation et de genre en droit civil, nous accueillons M. Eric Mengus, professeur à l'École des hautes études commerciales de Paris (HEC), qui va nous conduire à aborder la politique familiale non plus dans ses aspects juridiques, mais sous l'angle de ses impacts économiques et financiers.

Comme toute politique publique, la politique familiale poursuit des objectifs et a un coût, nous en entendons souvent parler dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances de la sécurité sociale que nous venons d'examiner. Cette politique est-elle efficace ? Est-elle adaptée ? Faut-il la faire évoluer dans ses modes de financement ou dans ses composantes ? Qui peut prétendre à en bénéficier ?

Autant de questions dont nous aimerions débattre avec vous. Je vais donc vous laisser la parole pour un exposé liminaire, si vous le souhaitez, mais auparavant, peut-être que ma collègue rapporteure Nathalie Elimas souhaite intervenir.

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. M. Mengus, bonjour. Je suis ravie de vous revoir, cette fois-ci dans le cadre plus formel de la mission, puisque nous nous étions rencontrés avant qu'elle ne soit installée. Aujourd'hui nous avons un cadre qui est bien défini. Nous travaillons sur l'adaptation de la politique familiale aux grands enjeux du vingt-et-unième siècle. C'est volontairement vaste puisque je souhaitais que l'on puisse vraiment embrasser les différents enjeux et mener une réflexion assez large, tant sur les enjeux sociaux, sociétaux, économiques et démographiques. C'est chose faite.

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Eric Mengus, professeur assistant HEC Paris

. Tout d'abord merci pour votre invitation. Je vais parler de certains aspects économiques liés à la politique familiale. Comme vous le savez, depuis le 1er juillet 2015, les allocations familiales sont modulées en fonction du revenu. En quelques mots, les ménages à plus forts revenus perçoivent à présent moins d'allocations. La question que je vais essayer de traiter est la suivante : qu'est-ce qu'un économiste peut raconter à ce sujet, quels sont les enjeux ?

Je vais plus particulièrement me concentrer sur l'un d'entre eux.

Une conséquence évidente de cette modulation est d'abord la redistribution des ressources. En modulant ces allocations, on distribue moins aux plus riches et plus aux moins riches. La deuxième conséquence évidente est que cela a permis de réduire le coût de la politique familiale, c'est-à-dire son impact sur les finances publiques. Je crois que le gain fiscal avait été estimé alors, si je ne me trompe pas, à quelque 800 millions d'euros en 2015. Mais si ce sont les seuls effets de cette modulation, nous détenons alors en quelque sorte un Graal des politiques publiques.

Nous sommes capables de faire plus avec moins. Nous sommes capables de réformer n'importe quelle politique, en faisant d'une pierre deux coups, nous sommes à la fois capables de redistribuer plus et à moindres frais. Il ne faudrait pas se priver, il faudrait prendre n'importe quelle politique existante et procéder à cette modulation selon les revenus. Cela permettrait d'avoir une politique publique moins coûteuse, plus efficace et plus redistributive.

La question que je dois me poser en tant qu'économiste est la suivante : est-ce vraiment le Graal ? Est-ce qu'il n'y a pas un certain nombre de coûts et de difficultés que peut poser cette modulation en fonction des revenus ?

Cela veut dire que je vais d'emblée mettre de côté les questions d'estimation du coût de la politique et d'estimation de la redistribution, je laisse cela à d'autres. La question est celle des coûts. Quel peut être le coût de la modulation de cette politique familiale, et plus exactement les allocations familiales ? En quelque sorte, quel calcul oublions-nous de faire ?

Je vais commencer par vous montrer qu'en conditionnant ces aides au niveau des revenus, nous avons simplement créé une imposition supplémentaire sur les revenus, et plus généralement une imposition supplémentaire sur les revenus du travail, qui concernent la classe moyenne au sens large.

La deuxième chose que je voulais dire, c'est que cette imposition supplémentaire a des conséquences possibles que nous ne souhaitons pas forcément, et plus exactement qui ne font pas forcément partie des choses désirées par les autorités publiques en général.

En dernier lieu, je vais vous parler des pistes possibles. Comment essayer de résoudre ce problème lié à cette imposition supplémentaire, cachée via la politique familiale ?

Tout d'abord, je vais expliquer pourquoi on impose sur le revenu en faisant de la modulation de la politique familiale par le revenu. D'une certaine façon, c'est très simple. Si l'on vous donne une aide et que le montant de cette aide diminue à mesure que vous gagnez du revenu, c'est ce qu'on appelle un impôt sur votre revenu. Si vous gagnez soudainement dix euros de plus et que vous avez un euro d'aide en moins, votre variation de revenu nette est de neuf euros. C'est comme si vous aviez été taxé à dix pourcents.

C'est précisément ce qui est arrivé avec la modulation des allocations familiales en fonction du revenu. Je donnerai quelques chiffres mais je vous dis juste un mot auparavant. Cette imposition via les aides, via les services n'est pas l'apanage de la politique familiale. On a aussi ce genre d'imposition « cachée » via d'autres aides, d'autres politiques.

Ce qui est très intéressant dans le cas de la politique familiale, c'est que beaucoup de ces aides, beaucoup de ces services sont modulés en fonction du revenu. Pour ce qui est des allocations familiales, si nous prenons les valeurs les plus récentes pour trois enfants, nous voyons que ces allocations familiales passent de 300 euros à 75 euros, quand on passe d'un revenu annuel total pour le ménage de 73 900 euros à un revenu de 96 610 euros.

Si nous faisons un calcul très rapide, cela indique qu'on perd 225 euros par mois pendant 12 mois si on a un accroissement de revenus annuel d'un peu plus de 20 000 euros. 225 euros multiplié par 12, cela fait 2 700 euros, 2 700 euros divisés par 20 000 euros, cela fait une imposition supplémentaire de 11,9 %. Imaginez un ménage qui gagne à peu près 73 000 euros, qui a soudainement un coup de chance et passe à plus de 96 000 euros, ce ménage qui avait un taux marginal d'imposition au titre de l'impôt sur le revenu de 30 % se voit taxé de 12 % supplémentaires, c'est-à-dire que son taux marginal sur l'impôt sur le revenu est au moins de 42 %.

Voilà le type de conséquences. Il faut avoir en tête que chaque fois que vous allez rajouter une aide dépendante du revenu, on va avoir un taux marginal d'imposition plus élevé. Cette composante de la politique familiale fait sauter une tranche d'imposition.

Je vous disais qu'il y a d'autres aides et services de la politique familiale qui sont concernés. Nous pouvons parler du complément familial ou de choses tout à fait différentes, comme le coût d'une place en crèche, qui n'est pas de l'ordre de l'aide mais de celui du service. Les tarifs des crèches augmentent avec le revenu.

Cela fait donc une imposition marginale supplémentaire sur le revenu. Pour vous donner une idée, le chiffre est de l'ordre de 9 % pour un enfant qui serait gardé 42 semaines dans l'année et 50 heures par semaine.

Je ne vais pas vous faire la liste exhaustive de toutes les conséquences, il faut simplement avoir en tête que tout cela s'additionne à l'imposition marginale.

Cela crée une sorte d'imposition disparate. Vous n'êtes pas uniquement taxé sur votre revenu, vous l'êtes sur votre revenu, selon votre situation familiale, selon le nombre d'enfants, selon le choix du mode de garde ou ce genre de choses. Est-ce que cela fait partie des objectifs de politique publique, c'est une bonne question.

Je vous ai dit que cela avait des conséquences possibles, quelles sont-elles ?

Cela a plusieurs effets potentiels. Les économistes aiment beaucoup parler de ce taux marginal d'imposition, qui va conditionner vos incitations à essayer de gagner un peu plus de revenus. Si vous avez un taux marginal plus élevé, les économistes vous diraient que vous avez moins d'incitation à travailler davantage. Cela vaut pour ce qu'on appelle la marge intensive du travail, c'est-à-dire le fait d'effectuer des heures supplémentaires, mais cela peut aussi avoir un impact sur la marge extensive du travail. Imaginez un couple dont l'une des deux personnes ne travaille pas. Est-ce que cette deuxième personne a envie de travailler ? Si elle est à mi-temps, a-t-elle envie de passer à plein temps ? C'est le genre de questions qui peuvent se poser.

Avec des taux marginaux plus forts, nous allons avoir une moindre volonté pour ces personnes d'aller travailler. Cela peut notamment avoir des conséquences pour ce qui constitue encore aujourd'hui le deuxième revenu du foyer, c'est-à-dire pour beaucoup de femmes. Ont-elles beaucoup d'intérêt à retourner sur le marché du travail, à travailler davantage, à passer d'un mi-temps à un plein-temps, lorsque leur emploi, leur revenu supplémentaire correspondra à une perte importante d'aides au titre de la politique familiale ?

L'un des enjeux de cette taxation marginale est de savoir si elle a un impact à plus long terme, sur les choix de carrière, sur les choix d'éducation et plus généralement sur la mobilité sociale. C'est l'autre question que nous nous posions. Il est très difficile d'avoir des estimations, des quantifications, mais le fait que la politique familiale soit catégorielle a une conséquence possible en termes de mobilité sociale. Elle tend à contribuer à figer la société française. Or, aujourd'hui, la France est sûrement l'un des pays de l'OCDE la mobilité sociale est la plus faible.

Au fond, le problème posé est très simple.

Nous avons plusieurs objectifs : aider toutes les familles, redistribuer, avoir un coût minimum en termes de finances publiques. Or malheureusement, nous avons un seul instrument. Quand on a un seul instrument et plusieurs objectifs, un économiste vous dira qu'on ne sera pas toujours très bon pour remplir ces différents objectifs. La meilleure des façons est d'essayer le plus possible d'affecter un objectif à un instrument. Or, pour ce qui est de la redistribution, nous avons un instrument qui s'appelle l'impôt sur le revenu. Ce qui sert directement à redistribuer les revenus, c'est l'impôt sur le revenu.

Dans la mesure du possible, au lieu d'utiliser la politique familiale pour faire de la redistribution entre les familles, il serait plus judicieux, plus direct, d'utiliser l'impôt sur le revenu. Cela impliquerait de ne pas moduler les aides, mais simplement de les fiscaliser, c'est-à-dire de les faire rentrer dans l'assiette de l'impôt sur le revenu et de taxer au taux marginal du ménage - ce taux marginal étant calculé de manière équitable par le législateur, de manière transparente et unique, via le barème de l'impôt sur le revenu.

Si nous faisons mieux en termes d'efficacité et d'équité, en termes de taux de taxation, cela veut dire que nous ferons moins bien dans une autre direction : soit en termes de redistribution, car nous devrons diminuer le montant des aides, soit en termes de coût fiscal, c'est-à-dire que nous ne pourrons pas récolter la même chose, en diminuant les aides ou en les fiscalisant. Cela aura donc un coût budgétaire supplémentaire.

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. Merci beaucoup M. Mengus. Mme Elimas a peut-être quelques questions à vous poser sur tout cela ? En tout cas, c'est très intéressant, c'est un travail que j'avais déjà eu l'occasion de mener et ce sont les conclusions auxquelles j'étais également parvenu.

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. Merci M. Mengus pour ces premiers éléments et ces premiers éclairages. J'aimerais aller un peu plus loin dans la fiscalité des aides. Pourriez-vous davantage développer ce point ? Comment en voyez-vous la déclinaison ? Si elles sont fiscalisées, j'imagine que le risque pour les ménages est également de changer de tranche ?

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Eric Mengus, professeur assistant HEC Paris

. Il y a effectivement le risque de passer une tranche, mais vous voyez qu'aujourd'hui, les allocations familiales sont taxées jusqu'à 75 %. C'est comme si on donnait par exemple 300 euros à une famille de trois enfants, qu'on taxait ensuite à 75 %, de sorte que certaines familles n'ont que 75 euros à la fin.

Si vous entrez dans une tranche d'imposition supérieure, vous n'êtes taxés que marginalement sur ce revenu supplémentaire et au maximum qu'à 49 %, (45 % au titre de la tranche supérieure de l'impôt sur le revenu et 4 % maximum de contribution exceptionnelle sur les hauts revenus). Ici, d'une certaine façon, pour les personnes en question, une fiscalisation des allocations familiales correspondrait à un gain car elles seraient moins taxées marginalement sur ce revenu supplémentaire. J'attire votre attention sur le fait que la situation aujourd'hui est parfois un peu absurde. Je peux trouver des exemples où en combinant certaines des aides et des services, des ménages se retrouvent taxés à 49 % en taux marginal, alors qu'ils gagnent 3 ou 3,5 fois le salaire minimum de croissance (SMIC).

Je pense que le problème est plutôt inverse. Ce n'est pas très grave au fond que quelqu'un passe d'une tranche à l'autre parce qu'il s'agit seulement de taxer le revenu marginal. Par contre, aujourd'hui, on taxe déjà beaucoup et de manière disparate.

Cela répond déjà à la première partie de votre question.

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. Cette taxation des prestations s'accompagnerait d'un retour à une universalité des allocations familiales ?

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. A priori, il n'y a pas de rupture d'universalité, m'a-t-on expliqué pendant des années.

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. C'est juste. Si on dit qu'il n'y a pas de rupture d'universalité, on supprimerait en tout cas la modulation. Ce que j'appelle vulgairement le « retour à l'universalité » mais qui est effectivement insuffisamment précis. On fiscaliserait donc les allocations familiales. Nous sommes bien d'accord sur la proposition qui est la vôtre ?

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Eric Mengus, professeur assistant HEC Paris

. Oui tout à fait.

Je ne suis pas revenu sur ce point-là. Mais effectivement, la solution est que le même montant soit versé à toutes les familles. Ces aides, dans un deuxième temps, sont déclarées par les ménages, dans le cadre de leur imposition sur le revenu. Cette aide, avec leurs autres revenus, sera donc taxée au barème de l'impôt sur le revenu.

Ce sont effectivement des aides constantes quel que soit le revenu.

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. Je vous remercie pour cette explication qui est extrêmement claire. Avez-vous pu estimer l'apport financier d'une telle solution pour l'État ?

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Eric Mengus, professeur assistant HEC Paris

. Je n'ai pas d'estimation précise, je n'ai pas la technologie pour cela. Ce sont aujourd'hui l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) ou d'autres instituts publics qui possèdent les données pour faire ce que nous appellons des micro-simulations qui permettraient de calculer l'impact budgétaire précis.

Tout ce que je peux vous dire, c'est qui gagnerait et qui perdrait.

Qui perdrait ? Cela dépend de la décision du législateur, s'il décide de diminuer les aides, de diminuer le coût de la politique familiale.

Qui gagnerait ? Ce sont les gens qui aujourd'hui sont taxés à 75 % sur ces aides et qui seraient taxés à un taux d'imposition marginal, c'est-à-dire des gens qui sont plus élevés dans la distribution de revenus.

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. Merci. Il serait intéressant d'avoir des simulations sur une telle disposition que nous avions déjà demandée à une époque au ministère, et que nous n'avions jamais pu obtenir.

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. J'ai une autre question en lien avec la réforme des retraites. Un focus est fait dans cette réforme sur les femmes, notamment avec la prise en compte du premier enfant, dans le calcul des droits.

Pensez-vous que nous pourrions, un peu en cohérence, le dupliquer pour ce qui concerne les allocations familiales et donc les verser, non pas à partir du deuxième enfant, mais dès le premier enfant ? Pensez-vous que ce soit intéressant et faisable ?

Deuxièmement, dans ce cas, pourquoi ne pas les forfaitiser ?

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Eric Mengus, professeur assistant HEC Paris

. Je dois dire que je n'ai pas forcément d'avis très tranché sur la question.

J'attire plutôt votre attention, en tant qu'économiste, sur le type de questions qui doit se poser, c'est-à-dire : « est-ce que je dois aider une famille qui a un enfant, dès le premier enfant, ou est-ce que je dois seulement aider une famille qui a trois enfants » ?

Je vous dis simplement de faire attention à ne pas vous interroger en même temps sur un autre sujet, qui est celui de la redistribution, c'est-à-dire : « est-ce que je dois aider uniquement les familles à partir d'un enfant qui ont seulement jusqu'à x euros de revenus, mais pas les autres, etc. » ?

Il faut bien distinguer ces objectifs. En tant qu'économiste, je n'ai pas forcément d'idée préconçue sur la première question relative aux bons objectifs de politique familiale.

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. M. Mengus, je vous remercie pour ces éclaircissements. C'est très intéressant d'avoir eu ces informations.

L'audition s'achève à quinze heures trente.

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Membres présents ou excusés

Mission d\'information de la Conférence des présidents sur l'adaptation de la politique familiale française aux défis de la société du XXIe siècle

Réunion du mercredi 11 décembre 2019 à 15 h 15

Présents. - M. Gilles Lurton, M. Denis Masséglia, Mme Laurence Vanceunebrock, M. Stéphane Viry

MISSION d'INFORMATION

sur l'adaptation de la politique familiale française

aux défis de la société du XXIe siècle

Mercredi 18 décembre 2019

Présidence de M. Stéphane Viry, président

La séance est ouverte à quinze heures vingt.

M. le président Stéphane Viry. Mes chers collègues, nous poursuivons nos travaux en accueillant Mme Élisabeth Laithier, coprésidente du groupe de travail « petite enfance » de l'association des maires de France (AMF), accompagnée de Mme Nelly Jacquemont, responsable du département action sociale, culture et éducation de l'AMF, Mme Philippine Tanière-Gillard, conseillère technique, et Mme Charlotte de Fontaines.

Votre audition s'inscrit dans la lignée des auditions des acteurs de terrain de la politique familiale, puisque vous avez été notamment chargée par Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé, et Marlène Schiappa, secrétaire d'État chargée de l'égalité entre les hommes et les femmes, d'une mission visant à élaborer un référentiel de bonnes pratiques sur l'attribution des places en crèche. Ce travail désormais achevé permet de disposer d'un outil d'aide à la décision pour accorder aux familles une aide et une prestation essentielle de la politique familiale. La politique d'accueil du jeune enfant est un sujet que vous connaissez donc parfaitement et nous sommes là pour en discuter avec vous.

Je vais céder la parole à notre rapporteure Nathalie Élimas, puis vous interviendrez pour un propos liminaire avant que nous engagions la discussion avec vous et les personnes qui vous accompagnent.

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Nathalie

Élimas, rapporteure. Mesdames, merci de votre présence aujourd'hui. Le président a fort bien décrit l'objet de l'audition. L'intitulé de la mission d'information, « adaptation de la politique familiale aux enjeux et aux défis du XXIe siècle », est très large. Nous abordons le sujet sous l'angle démographique, social, sociétal, juridique. Notre précédente audition portait sur l'évolution du droit de la filiation ; c'est dire si nous entendons considérer la politique familiale dans son ensemble. Nous sommes heureux de vous entendre sur la question de la petite enfance et sur ce que j'appelle la conciliation entre la vie familiale et la vie professionnelle.

Élisabeth Laithier, adjointe au maire de Nancy, membre de l'association des maires de France. Monsieur le président, madame la rapporteure, je vous remercie de nous fournir l'occasion d'échanger sur une composante importante des politiques de la famille, l'accueil du jeune enfant.

Quelle définition donner aujourd'hui d'une politique familiale, quelles missions lui assigner et quels sont ces défis de la société au XXIe siècle ? Pour répondre à ces questions, il convient de déterminer ce que recouvre une politique familiale. S'agit-il d'une politique nataliste comme elle l'était initialement, s'agit-il d'une politique tournée visant à réduire les inégalités sociales ou s'agit-il d'une politique tournée vers l'éveil du jeune enfant pour en faire l'homme de demain ? Les objectifs visés peuvent être divers. Quant aux défis de la société du XXIe siècle, ils sont nombreux et principalement liés à l'évolution de la structure familiale qui n'est plus inscrite dans un cadre précis : un papa et une maman mariés, avec des enfants.

Pour nous, la politique familiale comporte deux grands volets : d'une part, les aides comme les allocations familiales, qui relèvent de l'État, et, d'autre part, ce que peuvent apporter les communes, chacune sur son territoire en fonction de la composition de la population, des catégories socioprofessionnelles des habitants et même du territoire lui-même. On ne verra pas du tout la même politique d'accueil du jeune enfant dans une commune de montagne que dans un grand centre urbain comme Nice, Marseille ou l'Île-de-France ou encore en Bretagne. Les décisions des élus seront nécessairement différentes mais elles concerneront toutes la politique familiale. Il n'y a pas en la matière de règle absolue. C'est un point auquel l'AMF est très attachée.

Je ne parlerai donc pas des allocations familiales ou du grand fil rouge qu'un président de la République peut dérouler. Les propos que je tiendrai seront pratico-pratiques.

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Nathalie

Élimas, rapporteure. Très bien !

Élisabeth Laithier. Après avoir consulté la liste des personnes précédemment auditionnées, comme Sylviane Agacinsky et François de Singly, je me suis sentie toute petite. Pour ma part, j'évoquerai le concret, la vie des élus, qui fait aussi la vie des Français au quotidien.

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. C'était tout à fait le sens de votre demande d'audition. Notre perspective avec Mme Élimas, les membres de la mission d'information et moi, n'était pas de faire un travail universitaire et théorique mais d'aboutir à des préconisations de politique publique familiale. À cet égard, le regard de collectivités territoriales, en particulier de l'AMF, est important. Nous vous demandons aujourd'hui, dans la mesure du possible, d'être terre à terre, pratico-pratique.

Élisabeth Laithier. Cela me convient parfaitement.

Élisabeth Laithier. J'aurais volontiers écouté ces prédécesseurs s'exprimer. Nous avons besoin de nous nourrir d'autres regards pour faire ensuite avec le terrain que l'on a, ce qui est le quotidien des élus.

Le grand principe de l'AMF est d'agir au plus près des besoins et des attentes de nos administrés à un coût supportable par la collectivité. C'est pourquoi nous ne dirons jamais que tel type d'accueil du jeune enfant est supérieur à tel autre. Dans un territoire très rural, il y a très peu d'établissements d'accueil mais beaucoup d'assistantes maternelles, ce qui n'est pas le cas dans de grandes agglomérations ou dans des métropoles. Ce n'est pas à nous, en tant qu'AMF, de porter des jugements couperets en disant, par exemple, qu'il ne doit plus y avoir que des établissements d'accueil du jeune enfant (EAJE). Pour qu'une politique soit efficiente, et c'est le but que nous visons en tant qu'élus, elle doit correspondre aux attentes et aux besoins de nos administrés.

C'est pourquoi, à la première question, « Quels objectifs doit poursuivre la politique familiale aujourd'hui ? », au regard du constat de l'évolution de la société et si l'on veut qu'elle soit efficiente, nous répondons qu'elle doit s'adapter. Nous n'avons pas le choix. Nous ne sommes pas là pour nous poser en moralisateurs, mais pour répondre au mieux aux besoins.

J'en viens à ce qui est de notre ressort, nous, élus de terrain, à la tête de communes ou de communautés de communes, c'est-à-dire le volet accueil du jeune enfant, l'une des grandes composantes de la politique d'accueil.

Je le répète, nous n'avons pas à nous prononcer pour un mode d'accueil plus que pour un autre. Au contraire, nous devons nous appuyer sur notre connaissance du terrain, sur nos analyses des besoins sociaux, sur nos liens avec les associations. Le maillage associatif est très utile pour avoir une connaissance des besoins des personnes habitant notre commune.

Aux familles ayant de très jeunes enfants, nous proposons tous les modes d'accueil : établissements d'accueil du jeune enfant, mais aussi accueil individuel, soit en aidant les assistantes maternelles indépendantes par la mise en place de relais assistantes maternelles (RAM), soit en proposant nous-mêmes des crèches familiales.

Ce dernier mode d'accueil qui a tendance à disparaître parce qu'onéreux pour les communes, est très intéressant, dans la mesure où, s'agissant d'accueil individuel au domicile par des assistantes maternelles embauchées et rémunérées par la commune, la famille n'a de relation avec l'assistante maternelle qu'au sujet de l'enfant. Il n'y a pas la relation employeur-employé, qui pose souvent des problèmes. Toutefois, les communes ont tendance à fermer les crèches familiales, parce que l'accueil du jeune enfant est pour elles une compétence facultative. Ce n'est ni une compétence d'État ni une compétence obligatoire. Un autre grand principe est la libre administration des communes. Si, au vu des besoins qu'il a analysés, un élu préfère mettre l'accent sur les EHPAD, le sport ou la culture, libre à lui.

La difficulté de conduire une politique la plus possible homogène s'explique aussi par la multiplicité des gestionnaires. Bien que ce soit une compétence facultative, aujourd'hui encore, 70 % des établissements d'accueil sont gérés par les communes, lesquelles soutiennent en outre les associations par des subventions. Mais les deux principes que j'ai indiqués conduisent des communes à gérer des associations du secteur privé marchand, dont l'activité est en train d'exploser. Des caisses d'allocations familiales (CAF), des départements, des hôpitaux, des maternités, des mutuelles gèrent aussi des structures d'accueil de jeunes enfants. Il est aisé de comprendre la différence qui peut exister entre les structures gérées par une municipalité et celles qui le sont par le secteur privé marchand.

Tous ces intervenants font de l'accueil de la petite enfance, charge au maire d'être l'architecte du maillage territoriale. Toutefois, hormis les établissements que nous gérons, nous ne sommes pas toujours informés de ce qui se passe sur le terrain, en particulier, de l'installation d'une micro-crèche. Nous l'apprenons par les médias. Or l'installation d'une micro-crèche peut déstabiliser d'autres structures existantes pas toujours fréquentées au taux maximum ou mettre en difficulté des assistantes maternelles. C'est pourquoi nous demandons régulièrement la création d'une instance régulatrice que toute personne ou tout organisme désireux d'ouvrir une structure devrait préalablement consulter. Celle-ci regrouperait les trois grands acteurs du monde de la petite enfance : les communes, les CAF et le département, actuellement par le truchement du volet du service de la protection maternelle et infantile (PMI), ses attributions étant en cours de réforme.

Nous constatons de très importantes implantations de micro-crèches, parfois « sauvages » aux effets parfois déstabilisateurs. Elles ont aussi pour elles d'être des micro-crèches PAJE (prestation d'accueil du jeune enfant), qui, eu égard aux tarifs pratiqués et aux avances de trésorerie demandées, accueillent nécessairement des enfants issus de familles d'une certaine catégorie socioprofessionnelle. Dans ces micro-crèches, il n'y a pas la mixité sociale, laquelle est pour nous, élus, un point phare. Tous les travaux engagés depuis deux ans, notamment par Olivier Noblecourt, Adrien Taquet ou Christelle Dubos mettent l'accent sur l'accueil des enfants issus de familles précaires ou des enfants porteurs de handicap, des populations fragiles ou à risque que l'on ne retrouve pas ou très peu dans les micro-crèches.

Sinon une régulation, du moins une instance dédiée permettrait d'échanger avec le porteur de projet et peut-être de l'éloigner vers un autre quartier ou un autre secteur.

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. Ce sujet prend-il beaucoup d'importance partout sur le territoire ou est-il émergent ? Le mal est-il fait ou conviendrait-il de modifier la réglementation ? Ces micro-crèches appartenant à des réseaux privés à vocation commerciale s'installent sans autorisation préalable. D'après des témoignages que nous avons reçus, elles peuvent déstabiliser des structures collectives en place, souvent à fonctionnement associatif, donc dans un équilibre économique toujours à parfaire…

Élisabeth Laithier. Très difficile à maintenir !

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. …ou des assistances maternelles dont le revenu permet d'équilibrer le budget de la famille.

À titre personnel, je considère que c'est une véritable question. Dites-vous que l'AMF est d'avis de légiférer davantage sur le sujet ?

Élisabeth Laithier. Peut-être pas de légiférer, mais de conduire une réflexion en vue de la création d'une instance.

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. Un organe régulateur en amont devrait-il avoir la capacité de refuser une installation ?

Élisabeth Laithier. Tout à fait !

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C'est pourquoi il faudrait légiférer afin de le doter d'une capacité à dire non.

Élisabeth Laithier. Ce n'est pas le cas actuellement. Je suis adjointe au maire à Nancy et, dans la Meurthe-et-Moselle, nous avons mis en place une telle instance informelle, réunissant à un représentant de la CAF, un représentant de la PMI et moi-même, dont l'avis n'est que consultatif.

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Nathalie

Élimas, rapporteure. Si elle n'a qu'un rôle consultatif, vous n'avez pas la capacité d'interdire ?

Élisabeth Laithier. C'est bien ce que nous nous sommes dit à l'issue de notre dernière matinée de réunion. On devrait, au minimum, imposer l'information des élus. À Nancy, j'ai appris par une maman, le vendredi, qu'une micro-crèche ouvrirait le lundi.

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. Un cas identique vient de se produire à Épinal, où une crèche associative fonctionnant depuis des décennies dans des conditions éthiques modèles au n°18 d'une rue a eu la mauvaise surprise de voir s'installer une micro-crèche commerciale au n° 22, avec les conséquences que l'on peut imaginer. C'est pourquoi je demandais si vous préconisiez la création d'une instance de concertation sans pouvoir décisionnaire ou que soit complété un point de droit.

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. Je suis surpris que l'ouverture de ces micro-crèches ne soit soumise à aucun contrôle. L'ouverture de lits pour des bébés requiert nécessairement un contrôle du service de la PMI, qui pourrait au moins conditionner son autorisation à une information des élus de la commune et du conseil départemental concerné.

Élisabeth Laithier. L'ouverture des micro-crèches est bien soumise à l'autorisation de la PMI, mais dès lors que le cahier des charges est rempli, que le ratio entre le nombre de personnels et le nombre d'enfants est satisfait et qu'il existe une pièce de vie et une pièce de sommeil, elle n'a pas le pouvoir d'interdire. Elles ne sont pas obligées de passer par la CAF, puisqu'elles ne reçoivent aucun subside de sa part. De même, les communes ne leur donnent rien. D'où ce qui s'est produit chez M. le président et à Nancy.

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. Dans ces conditions, l'article 49 du projet de loi de financement de la sécurité sociale voté il y a une quinzaine de jours, prévoyant l'obligation pour toutes les crèches, publiques et privées, de déclarer les places disponibles devrait répondre à ce problème.

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Nelly Jacquemont, responsable du département action sociale, culture et éducation de l'AMF

. Les élus déplorent souvent que les micro-crèches bénéficient de normes assouplies en comparaison des établissements d'accueil du jeune enfant. En le signalant à plusieurs reprises, nous avons réussi à éviter le phénomène des micro-crèches doubles, mais les micro-crèches devraient se voir imposer des normes comparables à celles imposées aux établissements d'accueil du jeune enfant.

Élisabeth Laithier. Ou aux crèches associatives, en grande difficulté de gestion au plan national et qui voient parfois ouvrir à côté d'elles une micro-crèche parfois soutenue par une forte action de communication.

Toujours dans le cadre des compétences non obligatoires, les communes mènent des actions de soutien à la parentalité qui connaissent actuellement un important développement, afin de répondre aux besoins de familles éclatées partout en France, notamment des familles monoparentales résultant d'une séparation ou des familles dès l'origine monoparentales, souvent très jeunes. Pour nous, élus, il existe deux types de soutien à la parentalité. Il y a, d'une part, les dispositifs étiquetés, reconnus, officiels, pour lesquels nous pouvons bénéficier de subventions ou d'aides, à savoir les RAM, les lieux d'accueil enfants-parents, où il est fait un excellent travail, et les points info familles, qui avaient été initiés par Christian Jacob, quand il était ministre délégué chargé de la famille. D'autre part, les élus mènent un grand nombre de petites actions au quotidien, qui prennent du temps, dans lesquelles le personnel s'investit, qui sont difficilement quantifiables et pour lesquelles ils ne bénéficient d'aucune subvention ni d'aucun subside.

Concrètement, quand vous faites de l'accueil en crèche, bien souvent, les mamans ou les papas déposent leurs soucis avec leurs enfants. Ils parlent le matin, ils parlent le soir, demandent des conseils. Tout ce temps passé par l'interlocutrice ne l'est pas auprès des enfants. C'est un important investissement de temps. À cela s'ajoute l'organisation de cafés des parents, non pas sous le label officiel, en fonction des demandes. Bien souvent, des points de rencontre sont mis en place par les personnels, avec le soutien des élus. Sans faire partie des grands dispositifs de soutien à la parentalité, ces actions contribuent à rompre l'isolement et à la prévention. Les gros dispositifs de protection de l'enfance dont Adrien Taquet s'est emparé comportent aussi un volet de prévention. Autant la protection de l'enfance relève de la compétence des départements, autant les communes ont un rôle important à jouer dans la prévention, qu'il s'agisse de l'accueil de la petite enfance, des activités périscolaires ou d'offrir des logements corrects et adaptés à ce type de famille, politique tout aussi facultative dont nous nous emparons.

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Nathalie

Élimas, rapporteure. Sans financement ?

Élisabeth Laithier. Sans financement.

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. Vous parlez beaucoup de la politique facultative qui laisse aux collectivités locales la liberté et le choix de se mobiliser ou pas, alors que la prévalence du principe d'égalité des chances est communément admise en matière de familiale. N'est-ce pas incohérent et contradictoire ? Seriez-vous favorable à la remise en cause de ce caractère facultatif ? Conviendrait-il de réfléchir à un nouvel ordonnancement des compétences en matière de politique familiale, notamment en matière d'accueil des jeunes enfants et de soutien à la parentalité ? L'AMF a-t-elle des travaux en cours au sujet de la politique familiale facultative ?

Élisabeth Laithier. Il est vrai que le sujet revient souvent. Si cette politique devenait obligatoire, elle devrait être accompagnée des financements correspondants. Nous serions alors censés accueillir tous les enfants, y compris ceux relevant du droit opposable. Compte tenu du niveau actuel des moyens de financement des collectivités locales, ce serait impossible.

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. Selon vous, convient-il d'envisager un conventionnement différent, plus structurant, entre les communes, voire les intercommunalités et l'État en matière de politique familiale, ou bien le statuoo qu doit-il prévaloir ?

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Nelly Jacquemont, responsable du département action sociale, culture et éducation de l'AMF

. Cela renvoie aux conventions territoriales globales (CTG) que la caisse nationale des allocations familiales (CNAF) s'efforce de mettre en place et de généraliser d'ici à 2022 sur l'ensemble du territoire national. Nous sommes réservés non sur le principe d'un objectif partagé entre l'État et les collectivités, mais sur la très forte incitation, pour ne pas dire l'obligation, de la CNAF à contractualiser à l'échelle intercommunale. Il s'agit de remplacer les contrats « enfance et jeunesse ». Cette compétence peut relever des communes mais aussi des intercommunalités. Or certaines intercommunalités peuvent n'avoir que la compétence petite enfance et pas celle de l'enfance et de la jeunesse. La CNAF s'efforce de contractualiser à une échelle où l'intercommunalité n'a pas l'ensemble des compétences, ce qui nous alerte. Nous avons beaucoup de remontées de maires mécontents que la CAF de leur département contractualise à une échelle qui n'a pas la compétence.

Élisabeth Laithier. De fait, l'incitation de la CNAF à la signature des conventions territoriales globales est forte, mais tous les départements ne s'emparent de ses directives de la même façon. Certaines CAF sont compréhensives au bon sens du terme, c'est-à-dire facilitatrices, d'autres sont quasiment prescriptives, au point que nous considérons qu'elles outrepassent leurs droits et leur fonction. Pour nous, la CAF doit être au côté des élus pour les aider à monter des projets financièrement viables, mais elle ne doit pas exercer une pression pour la mise en place de CTG. De toute façon, il n'y aura plus de signature de contrat enfance jeunesse (CEJ) à la fin de cette année mais plus qu'un seul renouvellement. Le système est donc imposé. Nous n'y sommes pas hostiles si toutes les compétences sont transférées sur la base du volontariat des communes et des intercommunalités et pour certains territoires ruraux. Dans les territoires très urbains et des métropoles, la commune doit rester maître de ses choix, parce que ce sont des compétences de proximité et que nous sommes au plus près de nos administrés.

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. Je reviendrai sur les places de crèche. Vous avez dit que toutes les politiques tendaient à ce que les crèches assurent une mixité sociale, l'accueil des enfants en situation de précarité et en situation de handicap, ce qui me paraît être une sage politique. La ministre de la solidarité et de la santé et la secrétaire d'État, Christelle Dubos, entendant revenir sur le précédent projet de création de 235 000 places de crèche durant le quinquennat qui n'a été une réussite, ont opté pour un projet de création de 30 000 places de crèche dans le cadre du « plan pauvreté » pour les quartiers les plus difficiles, dans le cadre de la politique de la ville. Qu'en est-il de ces créations de places de crèches, dont on me dit qu'elles auraient beaucoup de mal à sortir de terre ?

Élisabeth Laithier. Vos informations sont justes. Ces places de crèche ont beaucoup de mal à sortie de terre, pour au moins deux raisons. Construire un EAJE de soixante places en moyenne dans un quartier prioritaire de la ville (QPV) et prétendre qu'il soit uniquement fréquenté par des enfants de milieux très défavorisés est utopique pour différentes raisons souvent d'ordre culture. Je citerai : le spectre de l'enlèvement de l'enfant par le service de l'aide sociale à l'enfance ; le fait que des mères sans travail n'ont pas les moyens de confier leur enfant à une crèche, même au tarif le plus bas ; le grand développement de l'entraide dans ces quartiers et le fait que ces mères n'ont pas eu elles-mêmes une éducation ouverte à la culture et à l'acquisition du langage.

En revanche, pour accueillir ces enfants il faut « apprivoiser » ces familles. C'est l'idée que j'avais soutenue auprès d'Olivier Noblecourt quand il nous avait auditionnées. Il faut aller au-devant d'elles et les amener à nous, par la succession de trois structures. D'abord, des lieux d'accueil enfants-parents, où l'on reste sans être jugée et anonymement avec son enfant. Grâce à la présence de l'accueillante, ces familles apprenant à sortir de chez elles. Ensuite, les haltes garderies, qui font de l'accueil occasionnel par petits bouts de journée, quelques heures, pour apprendre progressivement le détachement. Enfin, au bout d'un an ou d'un an et demi, l'enfant arrive en EAJE pour un accueil continu.

Vouloir à tout prix mettre tous ces enfants dans les EAJE cinq jours par semaine est une utopie. Au regard des règles de cofinancement de la CAF et de la prestation de service unique (PSU), qui nous oblige à avoir un taux de fréquentation élevé et le différentiel entre le nombre de jours retenu et le nombre de jours réellement utilisés le plus bas possible, et à 14 000 euros en moyenne la place de fonctionnement par an, les élus ne peuvent se permettre d'avoir des structures à moitié vides. Ce n'est ni un manque d'envie ni un désaccord avec cette philosophie, et cela fait partie des éléments relevés dans le vade-mecum, mais une impossibilité. À ce jour, nous sommes bien en deçà des 30 000 places. Je crois savoir que 7 000 places ont été réalisées. De surcroît, l'année prochaine sera blanche car nous savons que six mois avant et six mois après les élections municipales, rien ne bouge. Or la convention d'objectifs et de gestion (COG) s'achève en 2022 et nous y serons très vite. Donc, je suis inquiète.

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Nelly Jacquemont, responsable du département action sociale, culture et éducation de l'AMF

. J'ajouterai que déjà, les élus nous font part de leur difficulté à maintenir les places de crèches existantes ou même le service offert aux familles. Pour assurer des taux de remplissage et obtenir un cofinancement optimal de la CNAF, les élus sont contraints, soit de fermer pendant les périodes de vacances scolaires, soit de réduire l'amplitude d'ouverture journalière.

Élisabeth Laithier. Cela avait même été relevé, puisque le premier objectif de la COG est le maintien de l'existant. Chez moi, à Nancy, nous avons grapillé une demi-heure en début de journée et une demi-heure en fin de journée, car la masse salariale représente 80 % de la dépense. Nous fermons une semaine pendant les vacances de Noël.

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. Il y a donc globalement une régression de l'offre de prestations ?

Élisabeth Laithier. On peut en arriver là. C'est déjà le cas dans certaines communes. D'autres, tout en maintenant l'existant, arrêtent la gestion municipale et font appel à des structures privées par le biais de délégations de service public.

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Nathalie

Élimas, rapporteure. Ce que vous venez d'évoquer a-t-il été observé au niveau national ?

Élisabeth Laithier. Oui. Cela a été remonté à l'AMF de différentes régions.

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Nathalie

Élimas, rapporteure. Cela me surprend, car je n'ai pas l'impression que ce soit ainsi perçu partout, en tout cas pas en Île-de-France, où la demande des familles est forte pour trop peu de places.

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Nelly Jacquemont, responsable du département action sociale, culture et éducation de l'AMF

. Ce n'est pas le même sujet que la demande des familles. La réduction de l'amplitude des horaires d'ouverture et la fermeture pour la période de Noël sont liées aux modalités de cofinancement, les familles restant en demande. Le retour que nous vous faisons est le résultat du groupe de travail petite enfance de l'AMF qui regroupe 40 à 50 membres actifs de tous types de territoire : intercommunalités, communes, métropoles, zones rurales, zones de montagne. Le constat a plusieurs explications mais il est unanimement partagé par les élus.

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Nathalie

Élimas, rapporteure. J'ai compris l'hétérogénéité territoriale. Nous avons aussi parlé de mixité au regard du plan pauvreté, du meilleur accueil possible de tous les enfants, mais j'aimerais vous entendre plus spécifiquement sur le handicap.

Élisabeth Laithier. Notre principe de base est de pouvoir accueillir tous les enfants, à condition que l'accueil en collectivité ne présente pas de danger. À Nancy, nous avions essayé d'accueillir une petite fille atteinte de la maladie des os de verre. Les suites ont été d'autant plus difficiles que le poids du handicap s'est fait plus lourdement sentir.

La COG prévoit un bonus handicap et un bonus de mixité sociale. Aujourd'hui, le bonus handicap est accordé aux enfants fréquentant des structures de la petite enfance et bénéficiant déjà de l'allocation d'éducation de l'enfant handicapé (AEEH), autrement dit ceux dont les parents ont effectué l'ensemble du parcours incluant notamment la maison départementale des personnes handicapées (MDPH), et l'on sait le temps que cela prend, c'est-à-dire finalement peu d'enfants. Sauf lorsqu'ils apparaissent à la naissance, les handicaps psychiques sont détectés dans les trois ou quatre premières années de la vie. Dans nos structures, nous avons des enfants dépourvus de la mention AEEH pour lesquels il est déjà besoin de déployer davantage de temps, davantage d'attention, voire d'acheter du petit matériel spécifique sans avoir la moindre aide supplémentaire.

Nous nous en sommes ouverts à la CNAF et à Christelle Dubos. Des réunions ont été organisées par la CNAF. À partir de 2020 seront inclus les enfants en démarche ou ceux pour lesquels le médecin traitant ou un médecin de centre d'action médico-sociale précoce (CAMPS) aura fourni un certificat attestant la nécessité de davantage de soins, d'attention, voire de moyens à mettre en œuvre.

Ce bonus de fonctionnement nous convient. Depuis des années, l'AMF réclamait des bonus de fonctionnement. En investissement, nous arriverons toujours à construire une structure, mais encore faut-il la faire fonctionner. Tel qu'il était prévu dans la COG, il était peu utilisé car peu d'enfants répondaient aux critères d'éligibilité. Nous pouvons espérer que l'amélioration apportée à l'issue de trois grandes réunions auxquelles participait l'AMF incitera davantage d'équipes à se diriger vers l'accueil de l'enfant handicapé. Cet accueil nous paraît primordial pour banaliser le handicap et faire en sorte que les adultes n'aient plus le recul qu'ont encore certains d'entre eux, d'un certain âge, parce que l'on ne connaît pas fait peur.

Quant au bonus de mixité, n'ayant pas obtenu une réponse aussi favorable, nous maintenons nos demandes auprès de la CNAF. Il fallait pour en bénéficier que la moyenne des participations familiale s'établisse à 1,25 euro de l'heure. Mais comme les élus n'avaient pas attendu ce bonus pour faire de la mixité sociale, elle était dépassée et nous n'y avions pas droit. À Nancy, j'ai une structure de cinq places en QPV et la moyenne est à 1,50 euro. Comme je le disais tout à l'heure, les familles QPV ne fréquentent pas les crèches, on tourne en rond. En revanche, dans les haltes garderies, à 0,50 et 0,75 euro, nous l'avons largement. Une de nos demandes était de revoir les conditions d'éligibilité au bonus mixité, en établissant une moyenne dans la ville, par arrondissement pour les très grandes communes ou par quartier, mais non plus par structure. Accueillir des publics précaires signifie une présence très irrégulière des enfants. On ne compense pas de la pauvreté par de l'argent. Des familles vont venir parce que l'assistance sociale ou le centre médico-social le leur aura dit. De bonne foi, elles prendront cinq jours par semaine, mais après elles viendront très irrégulièrement. Dans le même temps, l'écart se creusera entre ce qui est pris et ce qui est réellement facturé et la participation de la CNAF dégringolera.

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. Quand j'entends dire que les crédits affectés pour les 30 000 créations de places de crèche ne seront pas dépensés parce qu'on n'avance pas sur le dossier, pourquoi les réserver uniquement aux quartiers prioritaires de la ville, car de nombreuses communes non classées QPV ont besoin de classes de crèche et ne trouvent pas les moyens de les réaliser ?

Élisabeth Laithier. Je suis entièrement d'accord avec vous, mais cela relève de la CNAF et des décisions de la COG.

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. Le constat pratique de l'AMF rejoint l'interpellation de M. Lurton.

Élisabeth Laithier. Tout à fait !

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. Merci, madame Laithier. N'hésitez pas à nous faire parvenir une éventuelle contribution écrite ou des observations. Le sujet n'est pas fermé. Si l'AMF avait des préconisations, des idées, des observations, n'hésitez pas à nous alimenter.

(La séance est levée à seize heures quinze.)

Membres présents ou excusés

Réunion du mercredi 18 décembre 2019 à 15 h 15

Présents. - Mme Nathalie Elimas, M. Gilles Lurton, M. Denis Masséglia, M. Stéphane Viry