Mission d'information sur l'adaptation de la politique familiale française aux défis du xxie siècle

Réunion du lundi 9 septembre 2019 à 16h05

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • GPA
  • PMA
  • bioéthique
  • filiation
  • mariage
  • procréation
  • sexe
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La réunion

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Mission d'information de la Conférence des présidents sur l'adaptation de la politique familiale française aux défis de la société du XXIe siècle

Lundi 9 septembre 2019

La séance est ouverte à seize heures cinq.

(Présidence de M. Stéphane Viry, président de la mission d'information de la Conférence des présidents)

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Mes chers collègues, lors de notre réunion constitutive de fin juillet nous étions convenus d'ouvrir nos travaux par une série d'auditions nous permettant d'avoir sur la famille une réflexion large d'ordre philosophique, sociologique et économique avant d'entendre les acteurs de la politique familiale et d'en examiner les divers aspects.

Nous recevons aujourd'hui pour la première de nos auditions Mme Sylviane Agacinski, qui a souvent eu l'occasion de s'exprimer à l'Assemblée nationale. Notre mission d'information sur l'adaptation de la politique familiale a souhaité vous entendre, madame, pour que vous nous fassiez part de vos réflexions sur ce qui, selon vous, définit la structure familiale et les évolutions qu'elle connaît. Ces évolutions soulèvent de nombreuses interrogations s'agissant de la parentalité, de la filiation ou de l'égalité de sexes – autant de sujets sur lesquels il nous paraît important de nous interroger dès le début de nos travaux.

Notre mission n'a pas vocation à reprendre les débats et discussions menées dans le cadre de l'examen du projet de loi sur la bioéthique, mais il est plus que probable que nous aurons des recoupements. J'indique à cette occasion que le calendrier des auditions qui a été communiqué aux membres de cette mission d'information parlementaire tient compte de l'examen de ce texte par la commission spéciale à laquelle appartient un certain nombre d'entre eux.

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Nous souhaitons engager une réflexion générale et collective susceptible de nous aider à répondre à plusieurs défis qui se présentent aujourd'hui devant nous.

Le premier défi est d'ordre démographique. En effet, la démographie française, qui a longtemps été l'une de nos forces, se délite.

Le deuxième défi est d'ordre sociétal. Les modèles familiaux évoluent, je dirais même qu'ils se diversifient. Or si la procréation médicalement assistée (PMA) pour toutes est votée prochainement dans le cadre de la loi sur la bioéthique, il en résultera de nouvelles évolutions. Cela aura notamment des conséquences sociétales et juridiques sur la filiation, sur lesquelles nous serons amenés à nous interroger.

Enfin, le troisième défi est d'ordre social. Nous disposons en France d'un modèle de protection sociale dont nous avons raison de vanter l'universalité, mais qui est aujourd'hui de plus en plus questionné.

Tel est le cadre général de notre mission d'information.

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Sylviane Agacinski, philosophe et essayiste

Votre invitation à participer à vos réflexions et à vos travaux m'honore et je vous en remercie. Je dois avouer que j'en ai été un peu étonnée également compte tenu de la nature exacte, que vous avez rappelée, de votre mission d'information, qui ne relève pas tout à fait de mon domaine. Néanmoins, une certaine relation s'observe entre les évolutions actuelles de la société et du droit et l'objet de vos travaux.

Qu'il s'agisse des mesures fiscales, des allocations familiales, des places en crèche ou des congés parentaux, la politique familiale s'applique aux familles telles qu'elles existent dans la société. Ainsi, cette politique s'est adaptée aux modifications comportementales des individus depuis le début du siècle dernier : augmentation des divorces et des ruptures, forte croissance du nombre de familles dites monoparentales – elles représentaient ainsi 23,3 % des familles en 2014 contre 9,4 % en 1975 –, multiplication des familles recomposées, etc. Ces évolutions comportementales ne touchent pas réellement la structure de la famille, c'est-à-dire l'établissement des liens de parenté – filiation légale – et des liens d'alliance – mariage, union conjugale – qui dépend du droit civil. Cependant, depuis les années 1970 la politique familiale a accompagné socialement l'évolution du Code civil. En effet, les mesures sociales prises dans le cadre de cette politique dans un souci d'équité et de solidarité ont renforcé les droits de la personne en général. En témoignent les mesures relatives à l'égalité des droits entre mari et femme, entre père et mère avec l'autorité parentale partagée, et à l'égalité entre les enfants, qu'ils soient nés ou non dans le mariage.

Toutes ces mesures ont contribué à aider les deux membres du couple à concilier leur vie familiale et leur vie professionnelle, donc à réduire les inégalités dites de genre, à faire progresser l'égalité réelle entre les hommes et les femmes et à faire reculer la pauvreté des enfants. En ce sens, la politique familiale s'appuie sur les mêmes principes que ceux qui inspirent nos lois de manière générale : la liberté, l'égalité, la solidarité et la dignité des personnes.

En dehors des évolutions comportementales, d'autres facteurs ont touché plus radicalement la structure familiale, à commencer par le développement des biotechnologies appliquées à la procréation dans la mesure où celles-ci peuvent affecter les modalités de la filiation légale. Elles le font surtout lorsque les méthodes d'assistance médicale à la procréation (AMP) nécessitent le recours à de tierces personnes, comme avec le don de gamètes. Ces cas sont en réalité relativement marginaux. En effet, aujourd'hui, dans 96 % des cas les couples infertiles, donc les couples mixtes, n'ont pas besoin de dons de gamètes grâce à la technique de l'injection directe des spermatozoïdes dans l'ovule. Les géniteurs sont donc les parents. Aucun changement fondamental ne survient en ce sens dans la filiation.

Dans 4 % des cas néanmoins, les couples mixtes recourent à un don de sperme ou – beaucoup plus rarement – d'ovocytes. Mais la mère reste celle qui porte l'enfant et qui accouche, et le mari de la mère est le père, comme cela se produit dans le mariage avec la présomption de paternité. Aucun bouleversement n'intervient à cet égard dans la filiation.

La structure familiale a été d'autre part transformée d'une autre façon par le pacte civil de solidarité (PACS) et par la loi du 17 mai 2013 ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe, qui ont touché à la structure de l'alliance, ainsi que par l'ouverture de l'adoption plénière aux couples homosexuels mariés (filiation adoptive). Elle le serait à nouveau, et davantage, avec la loi bioéthique de 2019 si celle-ci permet aux femmes seules et aux couples de femmes de recourir à une PMA. En effet, dans ce cas, la procréation de certains enfants serait immédiatement et dès l'origine unilatérale, c'est-à-dire homosexuée, car rattachée à deux personnes d'un seul sexe. C'est la raison pour laquelle M. Jean-Louis Touraine, rapporteur de la mission d'information sur la révision de la loi relative à la bioéthique, a parlé dans son rapport d'information de « dépasser les limites biologiques de la procréation ». Nous nous inscrivons nettement ici dans ce schéma de dépassement des limites.

En effet, le principe de l'asymétrie des deux sexes dans la filiation serait abandonné. De plus, dans la mesure où la PMA s'effectue par don anonyme, la participation de l'autre sexe à la procréation serait tout simplement effacée. Il s'agit là d'un changement structural important. Comme le rappelait Lévi-Strauss de manière générale et même universelle : « Les liens biologiques sont le modèle sur lequel sont conçues les relations de parenté ». Il en va toujours ainsi, c'est pourquoi ces relations sont bilatérales et asymétriques : géniteur/génitrice, père/mère. Or c'est ce modèle asymétrique et bilatéral qui se trouve ici abandonné, ce qui constitue un changement anthropologique profond.

Comme je le rappelais plus haut, la politique familiale s'occupe des enfants qui sont déjà là : leur bien-être, leurs droits, leur santé, leur éducation. Or dans le contexte du développement des biotechnologies appliquées à la procréation, le législateur chargé à la fois de la politique de la famille et du droit civil en général doit à mon sens s'interroger sur les conditions dans lesquelles les enfants viennent au monde et acquièrent un état civil, ce dernier adjectif ayant quelque rapport avec la civilisation. Dans ce domaine, il pourrait, voire devrait s'inquiéter de la condition qui sera celle des futurs enfants. Je pense ici à la formule du philosophe Hans Jonas qui parlait d'une « éthique du futur » et à cette question que nous répétons souvent : quel monde laisserons-nous à nos enfants ? En l'occurrence, quel statut, quel état civil allons-nous décréter pour les enfants à venir ?

La notion d'intérêt de l'enfant et le souci de cet intérêt devraient à cet égard être repensés pour évaluer la légitimité de ce que l'on appelle des techniques, mais qui sont en réalité des pratiques sociales. À ce propos, il me paraît intellectuellement honteux de voir la PMA avec tiers donneur et même la gestation pour autrui (GPA) présentées comme des « techniques de procréation ». Cela revient en effet à éliminer complètement le rapport à la tierce personne à laquelle on a recours comme ressource biologique. En réalité, il y a là une forme tout à fait inédite d'usage du corps humain.

Par ailleurs, nous ne pouvons comprendre le développement des demandes sociétales en matière de procréation de nos jours si nous occultons une certaine réalité mondiale : celle de l'existence d'une industrie de la reproduction et du commerce des moyens de produire des enfants et des enfants eux-mêmes. Mon hypothèse est la suivante : l'inflation de la demande des moyens de procréer ne tient pas seulement au désir naturel d'avoir des enfants, qui est bien évident, mais aussi à l'offre commerciale qui existe aujourd'hui dans de très nombreux pays.

Le modèle idéologique qui tend à dominer à partir de l'imaginaire moderne relève d'une idéologie progressiste de la production généralisée de toute chose, de tout être vivant, de tout animal, de tout être humain. Il existe à titre d'exemple de grandes entreprises de clonage des animaux familiers (chat, chien, cheval). L'une des plus connues s'appelle « My friend again ». Vous avez perdu votre animal familier que vous aimiez beaucoup, l'industrie vous permettra, grâce aux cellules de cet animal, de le reproduire à l'identique comme si elle pouvait également reproduire à l'identique le lien d'amitié qui existait avec lui, dans sa singularité unique. Cet exemple témoigne de façon assez hallucinante de l'imaginaire moderne que je viens de mentionner. Nous pouvons nous demander si demain l'on ne suggérera pas aux parents qui ont eu le malheur tragique de perdre un enfant de se consoler en procédant au clonage de ce dernier.

Cette idéologie s'exprime notamment dans l'ultralibéralisme qui nous dit en substance que l'industrie et le marché permettent de réaliser tous nos désirs, tous nos fantasmes, y compris le désir d'enfant. L'archétype de la réalisation technique de cet idéal se trouve aujourd'hui en Californie, sous la forme des « instituts de reproduction humaine ». Là, tout est possible. Nous pouvons tout acheter, tout vendre : les cellules, les grossesses, les embryons, etc.

L'un des problèmes de fond qui se posent à nous est que ce modèle est radicalement incompatible avec notre droit. Ainsi, la convention de maternité de substitution ( surrogacy agreement ) fonde la filiation sur l'appropriation du corps de la femme et de la vie de la femme pendant neuf mois (tout le temps de la grossesse jusqu'à l'accouchement) et sur l'appropriation de l'enfant et de la filiation maternelle de l'enfant. C'est cette dernière qu'on achète, en définitive : la filiation qui lie l'enfant à sa mère de naissance dans presque toutes les cultures. Il y a là une confusion extrêmement grave entre les liens familiaux, qui sont pour nous essentiellement inaliénables, et les droits de propriété, qui portent sur des biens. On touche ici à la différence fondamentale en droit entre les personnes et les biens, et on traite des personnes comme des biens. Or la mère n'est en aucun cas la propriétaire de son enfant, l'enfant n'est pas un bien et par conséquent il ne devrait pas pouvoir faire l'objet non d'un don, comme on le dit trop souvent, mais d'une donation (il existe en effet des dons – d'organe ou de sang – qui sont d'un tout autre ordre) ni d'une vente. L'enfant ne peut pas non plus, comme en témoignent toutes les lois internationales relatives à l'adoption, faire l'objet d'une commande. Une règle très stricte dispose ainsi l'impossibilité d'adopter un enfant avant sa naissance. Un enfant ne peut être adopté qu'après sa naissance, avec le consentement de sa mère.

Or le projet de loi bioéthique porte en lui une logique tout à fait comparable à celle que suivent les instituts de reproduction californiens dans le contexte du marché. En effet, la filiation, dans un cas comme dans l'autre, est fondée uniquement sur la volonté et le consentement des parents, appelés « parents intentionnels » (intended parents). Cette notion découle directement d'une décision de la Cour de justice de Californie survenue lors d'un des nombreux procès opposant une mère porteuse aux parents commanditaires. La Cour a en effet décidé d'appeler ces derniers « parents intentionnels ». C'est donc de cette pratique même qu'est née la conception de parenté volontaire par consentement, c'est-à-dire de parenté par décision a priori et par commande d'un enfant qui naîtra d'une convention passée avec une surrogate mother (mère porteuse).

L'adoption de cette logique de la parenté intentionnelle explique naturellement la présence dans le projet de loi bioéthique de la proposition de transcription directe dans l'état civil de l'acte de naissance des enfants nés à l'étranger d'une convention de GPA. On prétend le faire pour « sécuriser les contrats ». Dans le même temps, le rapport d'information de la mission d'information sur la révision de la loi relative à la bioéthique souligne que la GPA représente « une sérieuse entorse au principe d'indisponibilité du corps humain » et implique « l'exploitation des femmes à un niveau international, la mise en liberté surveillée d'une femme et la remise d'un enfant […] réduisant cet enfant à l'état de chose ». Nous nous réjouissons de cette lucidité. Mais comment peut-on en même temps vouloir cautionner et même sécuriser des contrats que l'on décrit de cette façon ? En voulant sécuriser ces contrats, l'on accepte bon an mal an l'insécurité des enfants, c'est-à-dire la situation dans laquelle ils sont plongés en naissant dans ces conditions à l'étranger.

L'application de cette transcription automatique reviendrait à encourager le tourisme procréatif et rendrait tout à fait impossible la cohérence du droit qui veut que cette pratique soit interdite en France. Il est impossible en effet de dire à la fois que la GPA à l'étranger n'existe pas et que l'état civil des enfants nés de cette pratique doit être automatiquement transcrit dans l'état civil français, et interdire l'usage de cette même pratique sur le territoire national. Une telle incohérence ne saurait tenir sur le long terme. Les partisans de la légalisation de la GPA en France utiliseraient d'ailleurs immédiatement le fait accompli de la reconnaissance des enfants nés de GPA à l'étranger pour demander son autorisation en France.

Dans cette hypothèse, nous renoncerions donc à respecter les personnes de l'enfant et de la mère et leurs droits fondamentaux. Nous renoncerions même à défendre l'intérêt des enfants en général. Je me réfère ici aux travaux de Muriel Fabre-Magnan sur les différentes interprétations de l'intérêt de l'enfant. Nous sommes confrontés à la nécessité de nous soucier de l'intérêt des enfants nés de GPA, qui sont nés dans des conditions très difficiles puisque d'une femme qui ne les attendait pas et qui s'est engagée à les remettre à d'autres, au risque, fréquent d'ailleurs, de les voir refusés par leurs parents d'intention. Les tribunaux sont pleins d'histoires de cette sorte dont certaines ont défrayé la chronique. La France doit donc considérer l'intérêt des enfants nés dans ces conditions. Mais ces enfants ne se trouvent pas, comme la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) l'a reconnu, dans une situation différente de celle des enfants nés dans d'autres familles : l'autorité des parents n'est pas contestée, l'obligation de transcription d'un état civil étranger n'existe pas en France pour les enfants, etc. En réalité, ils jouissent des mêmes droits que les autres enfants. La transcription automatique de leur acte de naissance dans l'état civil français constitue donc un cheval de Troie de l'introduction de la GPA en France.

Le problème qui se pose aujourd'hui au législateur et au système médical français tient au fait que nous attendons de la médecine d'un côté et du droit civil de l'autre qu'ils offrent aux particuliers, hommes et femmes, les mêmes prestations que celles qui sont proposées à leurs clients par des entreprises commerciales privées. Or ces mêmes prestations ne doivent pas être délivrées dans le cadre d'un commerce, mais prises en charge par la sécurité sociale. À ce propos, pointant le manque de sperme qui se manifeste aujourd'hui en France, les médecins font remarquer que l'ouverture de la PMA aux femmes seules et aux couples de femmes se heurterait à cette difficulté. Or l'une des pistes avancées par certains pour y remédier serait d'indemniser les donneurs, ce qui entrouvrirait la porte à une commercialisation des gamètes.

Par ailleurs, comme je le soulignais dans L'Homme désincarné. Du corps charnel au corps fabriqué, nous assistons à un dessaisissement du législateur au profit de décisions prises par des juridictions judiciaires nationales ou internationales (CEDH, Cours d'appel, Cour de cassation). Or ces juridictions statuent sur l'intérêt des enfants après coup, le fait étant accompli. Elles statuent sur l'intérêt des enfants déjà nés dans des conditions illicites. Mais le législateur quant à lui doit défendre plus généralement l'intérêt fondamental de tout enfant. Il doit donc s'efforcer non de réparer des dégâts, comme le font les tribunaux, mais d'empêcher de porter atteinte aux droits des enfants en les faisant naître dans certaines conditions. D'aucuns pourraient objecter que nous n'avons jamais statué sur le droit des enfants relatif à leur mode de procréation. Cependant, la juridiction internationale sur le clonage considère qu'il est contraire au droit de l'enfant de le faire naître par le biais d'un clonage reproductif. Il est donc bien possible et légitime, en vue du statut futur des enfants et de leur insertion dans le droit civil et la loi commune, d'interdire ce mode de reproduction et de lutter contre cette pratique.

Parmi les juridictions judiciaires récentes, nous pouvons citer notamment l'arrêt Mennesson et Labassée de la CEDH du 26 juin 2014, contre lequel malheureusement la France n'a pas osé faire appel. Nous pouvons citer aussi l'arrêt de la Cour de cassation du 3 juillet 2015 par lequel la Cour a reconnu la paternité d'un homme qui avait fourni son sperme dans le cadre d'une PMA commerciale. La Cour savait très bien que la mère qui figurait sur l'acte de naissance était une mère porteuse qui abandonnerait son enfant. Elle a néanmoins fermé les yeux en considérant que le père était le père biologique et la mère celle qui avait accouché, et en faisant fi de la rémunération que celle-ci avait perçue. La Cour a donc jugé qu'il était légitime de devenir père en utilisant une femme de cette façon. La Cour d'appel de Paris a autorisé quant à elle le 18 septembre 2018 l'adoption plénière par l'époux du père biologique de jumelles nées en 2011 d'une GPA au Canada. Maître Caroline Mecary, l'avocate du couple, a déclaré à ce propos : « La mère porteuse ne figure pas sur l'acte de naissance, donc en droit elle n'existe pas. » Une telle phrase a de quoi susciter des interrogations. Enfin, dans son avis du 10 avril 2019, la CEDH a recommandé à la France d'accélérer le processus d'adoption des enfants nés de GPA par les conjoints de leurs parents biologiques, en décidant d'ignorer totalement le commerce de ces enfants. Le législateur peut-il quant à lui fermer les yeux à ce point ? C'est une question qu'il me semble important de poser.

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Récemment, lors d'une interview que vous avez accordée au Point dans le cadre de l'ouverture de la PMA pour toutes, vous avez évoqué « l'abandon de la logique médicale de lutte contre l'infertilité » dont la traduction serait l'instauration d'un droit à l'enfant. Pourriez-vous développer ce point ?

Vous avez dit plus haut que l'industrie et le marché permettaient de réaliser tous nos désirs, en particulier le désir d'enfant. Il est vrai que ce dernier est parfois très fort chez certains couples. Pensez-vous qu'il faudrait assouplir ou à tout le moins revoir les règles encadrant l'adoption en France ?

Enfin, vous aviez pris position en faveur du mariage pour tous, mais aviez émis des réserves quant à l'ouverture de l'adoption plénière aux couples homosexuels. Pourriez-vous nous expliquer ce positionnement ?

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Sylviane Agacinski, philosophe et essayiste

J'avais considéré effectivement que le mariage entre personnes de même sexe, en lui-même, était une bonne chose. Il avait le mérite d'assurer une véritable reconnaissance sociale aux couples homosexuels, donc de mettre fin à l'espèce de marginalisation dans laquelle se trouvait l'homosexualité. En ce sens, cela me paraissait bénéfique.

En revanche, j'avais été assez gênée par la rhétorique employée à l'époque du mariage dit « pour tous », car elle tendait à présenter le mariage entre personnes de même sexe comme l'extension d'un droit dont les personnes homosexuelles auraient été privées préalablement. L'idée était qu'il était possible de concevoir le même mariage, tel qu'il avait toujours existé, pour un couple de personnes de même sexe. Or cette vision était peu rationnelle, car elle revenait à oublier que la tradition du mariage n'a pas été créée en vue de fonder la filiation. En réalité, c'est l'inverse qui s'est produit. L'exemple du mariage romain le montre, de même que la façon dont le mariage est perçu dans presque tous les pays du monde. C'est la nécessité d'établir un lien de filiation stable entre les enfants et les parents qui a conduit à créer le couple conjugal.

Saint-Augustin soulignait ainsi que les hommes sont obligés de se marier pour pouvoir connaître leurs fils. Ils doivent établir avec une femme un lien stable et reconnu pour savoir qu'ils ont des enfants et que ces enfants sont bien d'eux. L'engagement conjugal a donc été considéré comme une nécessité pour créer une filiation stable. En l'absence d'une union stable, la femme risque de se trouver seule avec son enfant, l'enfant risque de n'être protégé que par sa mère, et le père ignore sa condition de père. Il faut tenir compte ici du décalage entre les rapports sexuels, la grossesse, et l'accouchement.

Le mariage a donc été essentiellement conçu pour construire la paternité et la parenté de l'enfant. C'est ce qui a fait dire d'ailleurs au doyen Carbonnier que « le cœur du mariage, c'est la présomption de paternité ». Or la présomption de paternité n'a aucun sens dans le cadre d'un couple de deux hommes ou de deux femmes, elle ne peut tout simplement pas s'appliquer. Il aurait donc été à mon sens plus raisonnable de créer un mariage entre personnes de même sexe sans effet direct sur la filiation. Sinon, cela revient à suggérer une procréation par deux personnes de même sexe, ce qui est invraisemblable. Et la filiation est toujours établie par rapport à la procréation, même dans le cas de l'adoption. Jusqu'à présent, l'adoption a toujours utilisé le modèle de la bilatéralité des parents. L'argument de l'invraisemblance a été particulièrement étudié par un psychanalyste spécialiste de l'adoption, Pierre Lévy-Soussan, qui a relevé de graves problèmes dans l'adoption lorsque l'enfant n'arrivait pas, même avec deux parents homme et femme, à se représenter le couple parental comme un couple procréateur.

En outre, s'inscrire dans une filiation à l'égard d'un homme et d'une femme permet à l'enfant de se situer dans son origine réelle – il faut toujours, de toute façon, un homme et une femme pour faire un enfant – donc dans ses propres limites, et ainsi d'accéder à une identité qui ne soit pas toute-puissante. Antonin Artaud a écrit « Moi, Antonin Artaud, je suis mon fils, mon père, ma mère, et moi », mais il s'agit là d'un fantasme. Au fond, la nécessité de l'altérité pour concevoir et procréer est l'une des marques de la finitude de l'être humain.

Par ailleurs, j'ai également été un peu gênée par la rhétorique utilisée dans le cadre de la « PMA pour toutes ». J'y vois une sorte de subterfuge, qui s'exprime dans le mythe de l'extension du droit à la PMA. On répète souvent qu'il s'agit d'étendre un droit jusqu'ici réservé aux couples hétérosexuels et d'assurer ainsi l'égalité entre les couples hétérosexuels et les couples homosexuels. Or tous ces termes sont fondamentalement trompeurs. En effet, comme cela a souvent été rappelé, l'AMP n'est pas du tout proposée à tous couples hétérosexuels, mais réservé à des couples infertiles et vise à répondre à un problème d'infertilité médicale. C'est donc la question de la fonction médicale de l'aide à la procréation qui est ici en jeu. Celle-ci, si elle ne remédie pas directement à la pathologie qu'elle vise, vient répondre à cette pathologie, donc à un problème de santé, sans rapport avec une quelconque orientation sexuelle. D'ailleurs, l'homosexualité n'implique aucun dysfonctionnement des fonctions reproductives. L'argument de la discrimination est donc fallacieux.

Il n'existe pas non plus d'égalité des couples en matière de procréation. La différence de traitement en matière de santé entre des couples de même sexe et des couples mixtes ne porte pas atteinte, comme cela a été d'ailleurs reconnu par le Conseil d'État, au principe d'égalité, ces couples se trouvant dans des situations différentes au regard de la procréation.

Un autre argument fallacieux est celui de la liberté de procréer. Nous touchons ici à la notion de droit à l'enfant que vous évoquiez. En effet, la procréation est une liberté, c'est-à-dire un « droit de » faire quelque chose sans en être empêché, et non une créance, un « droit à » quelque chose (prestations, biens, moyens, etc.) que l'État devrait fournir. Au reste, comme l'a rappelé le Conseil d'État, l'enfant étant une personne, donc un sujet de droit, ne peut de toute façon pas faire l'objet d'un droit. Si cela était, cela aboutirait à la confusion des personnes et des biens que je mentionnais précédemment.

De plus, si l'État devait fournir à tous les couples des moyens de procréer, il devrait le faire également pour les couples d'hommes, ce qui entraînerait nécessairement la légalisation de la GPA.

Le Conseil d'État, dans son avis du 24 juillet 2019 portant sur le projet de loi bioéthique, a conclu en substance que l'état du droit et les principes constitutionnels ne s'opposaient ni au statu quo ni à l'évolution (« le Conseil d'État rappelle que l'extension de l'accès à l'AMP, telle qu'elle est prévue par le projet de loi, relève d'un choix politique. Le droit ne commande ni le statu quo ni l'évolution »), comme si nous ne disposions d'aucun principe ni d'aucune loi justifiant une réserve par rapport à cette évolution. Or l'égalité des enfants devant la procréation et devant la filiation est une question. Faut-il considérer, comme le suggère le rapport d'information sur la révision de la loi relative à la bioéthique, que l'exclusion principielle de la paternité pour un enfant né de PMA dans un couple de femmes n'a pas d'importance ? Si l'on affirme cela, cela signifie qu'en règle générale le père est superflu. En ce cas, pourquoi d'autres enfants nés de père inconnu ou dont le père a disparu auraient-ils droit à une recherche en paternité, ce qui serait totalement exclu et impossible, voire interdit a priori pour les enfants nés d'une PMA effectuée par un couple de femmes ?

Le Conseil d'État déclare donc que le droit ne nous dit rien sur ce sujet, que la paternité est finalement superflue, et qu'en somme le législateur peut agir à sa guise, puisqu'il s'agit « d'un problème politique ». Charge aux parlementaires de dire ce qu'ils souhaitent. Mais à mon sens, une éthique s'impose au législateur, et cette éthique a trait à la justice des institutions. J'aime bien la définition que Paul Ricœur donne de l'éthique, qui s'inscrit dans la ligne de celle d'Aristote : l'éthique, ce sont trois soucis principaux : le souci de soi, le souci d'autrui et le souci des institutions justes. Or la question du souci de la justice pour les enfants se pose dans le cas que l'on évoque. Le fait d'invoquer, comme nous avons pu l'entendre au plus haut niveau, un relativisme éthique consistant à dire « à chacun son éthique » revient finalement à dire que nous ne savons pas ce qu'est la justice et que nous renonçons même à nous poser cette question. Mais si cette question n'est plus posée, alors le droit s'effondre. En effet, le droit s'exprime toujours à partir d'une recherche infinie de ce qui est juste.

Pour les différentes raisons que je viens d'évoquer, il me semble donc tout à fait impossible de parler d'un « droit à l'enfant ».

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J'ai été très intéressée par votre réflexion courageuse. Il est difficile de se positionner sur un sujet qui défraie ainsi l'actualité.

Je voudrais revenir sur le sujet de la commercialisation des gamètes que vous avez évoqué et qui constitue à mon sens un vrai risque. Il est souvent fait référence aux campagnes de mobilisation des donneurs qui se font à l'étranger pour rejeter l'idée d'un risque de pénurie de gamètes. Or on s'aperçoit qu'en Angleterre et au Danemark l'augmentation du flux des ressources est liée souvent à des achats de gamètes effectués auprès de banques privées. Je pense qu'il s'agit là d'un sujet important.

Par ailleurs, je souhaiterais revenir également sur la question de la discrimination. Dans le cadre du projet de loi bioéthique, il est question d'accorder un droit, que l'on ne nomme cependant pas ainsi puisqu'on parle uniquement de « désir d'enfant » (la limite entre le désir et le droit étant souvent difficile à percevoir), aux femmes seules et aux couples de femmes. Or ce droit est impossible pour les hommes, tant que l'interdiction de la GPA perdure. En matière d'équité, ne nous heurtons-nous pas ici à une difficulté ?

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Je crois que le futur projet de loi bioéthique prévoit l'instauration d'un droit aux origines pour les enfants nés de PMA effectuées par des femmes seules ou des couples de femmes. Ces enfants devraient pouvoir connaître leurs origines à leurs 18 ans.

Par ailleurs, pourriez-vous terminer le propos que vous aviez entamé plus haut concernant la défense de l'intérêt fondamental de tout enfant et l'importance d'empêcher les enfants de naître dans certaines conditions ?

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Sylviane Agacinski, philosophe et essayiste

Je voulais dire par là que le droit devrait prévenir, d'une certaine manière, les modalités de procréation qui risquent de porter atteinte à l'enfant en le faisant naître dans des conditions préjudiciables. C'est pour cette raison que j'ai évoqué le clonage. Nous pouvons mentionner également les cas de conflits et de procès qui surviennent lorsqu'il y a commerce. Il arrive aussi que des enfants soient abandonnés en raison d'un handicap, ou parce qu'ils sont prématurés. De plus, si l'on transcrit à l'état civil français l'acte de naissance des enfants nés de mère porteuse à l'étranger, il sera impossible de le faire pour certains pays et non pour d'autres. Nous risquons donc de couvrir les pires des procédures qui existent à l'étranger.

Quant à savoir s'il pourrait poser problème d'ouvrir aux femmes seules et aux couples de femmes un droit qui ne serait pas accordé aux hommes, j'ai envie de répondre que nous y allons. J'en suis persuadée. L'ouverture de la PMA aux femmes seules et aux couples de femmes est une étape. La manière dont est construite aujourd'hui la maternité de deux femmes par rapport à un enfant est tout à fait susceptible de justifier demain, au nom de l'égalité, l'autorisation de la GPA en France pour les couples d'hommes. La transcription à l'état civil des enfants nés de GPA à l'étranger est aussi un pas vers cette évolution. De même, la notion de « parents intentionnels » est utilisée à cette fin.

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Nous avons beaucoup parlé de désir d'enfant. Je comprends très bien qu'un couple de femmes ou qu'une femme non mariée ait dans sa vie un désir d'enfant. Mais j'aurais voulu savoir où vous placiez le bonheur de l'enfant dans la vie qui lui sera tracée ensuite.

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Sylviane Agacinski, philosophe et essayiste

Il s'agit là d'un sujet extrêmement complexe qui tombe totalement en dehors des lois. Cependant, la politique de la famille contribue au bonheur de l'enfant en luttant contre la pauvreté. Le bonheur de l'enfant doit donc être recherché après sa naissance. Mais les conditions de sa naissance ne sont pas forcément pour rien dans ce bonheur.

La question du bonheur ne me semble toutefois pas cruciale au sens où je m'intéresse au statut de l'enfant et au droit de la personne en général. Le droit de l'enfant est aussi le droit de la personne humaine en général. Or le statut de cette personne humaine et l'importance de la traiter comme une personne et non comme un bien m'apparaissent comme des questions fondamentales pour la civilisation. À titre de comparaison, si nous nous étions demandé si les esclaves étaient heureux ou malheureux, ou s'ils étaient plus ou moins psychologiquement perturbés ou malades, etc., nous n'aurions jamais aboli l'esclavage. Je souligne à ce propos que l'esclavage est défini comme l'exercice d'un droit de propriété sur une personne. C'est donc totalement à juste titre qu'il a été dit que la GPA était une forme particulière de mise en servitude de la femme.

Je souhaite enfin vous communiquer une information importante qui va dans le sens de mes inquiétudes. Arrivent régulièrement en France des agences de mères porteuses qui viennent recruter des clients. Or rien n'est fait contre cela. Je vous invite sur ce point à visiter le site internet de BioTexCom qui annonce une conférence à Paris le 21 septembre 2019 et précise qu'il sera offert 1 % de réduction aux participants à cette conférence. Je pense que nous devrions être attentifs à ce genre de phénomène si nous souhaitons éviter que cette pratique se généralise.

La séance s'achève à dix-sept heures cinq.

Membres présents ou excusés

Mission d'information de la Conférence des présidents sur l'adaptation de la politique familiale française aux défis de la société du XXIe siècle

Présents. - Mme Pascale Boyer, Mme Nathalie Elimas, M. Gilles Lurton, Mme Zivka Park, Mme Marie Tamarelle-Verhaeghe, M. Stéphane Viry

Excusés. - Mme Christine Cloarec-Le Nabour, Mme Jacqueline Dubois, Mme Laure de La Raudière, Mme Frédérique Meunier