Mission d'information sur l'évaluation de la concrétisation des lois

Réunion du jeudi 23 janvier 2020 à 9h35

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • concrétisation
Répartition par groupes du travail de cette réunion de commission

  PS et divers gauche    En Marche    MoDem  

La réunion

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La séance est ouverte à 9 heures 35

Présidence de Mme Cécile Untermaier, présidente, puis de M. Michel Lauzzana, vice-président

La mission d'information sur la concrétisation des lois entend M. Marc Fesneau, ministre chargé des relations avec le Parlement

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Mes chers collègues, merci d'être venus en nombre pour cette réunion, qui va quasiment clore – nous aurons une ultime table ronde mardi prochain – la série d'auditions générales que nous menons depuis l'automne. Nos rapporteurs préparent avec beaucoup d'enthousiasme – et d'efficacité – un rapport d'étape de nature méthodologique. Nous passerons ensuite aux travaux pratiques en réalisant un certain nombre de déplacements pour faire le point sur le déploiement de plusieurs dispositifs législatifs nouveaux dans les territoires. Ce sera le deuxième versant de notre mission d'information.

Comme vous le savez, monsieur le ministre, nous nous efforçons de mieux comprendre les difficultés que posent l'application juridique et la mise en œuvre, sur le terrain, des lois que nous votons, afin de proposer des voies d'amélioration. Nous réfléchissons également au rôle que nous devrions jouer pour veiller plus étroitement au respect de la volonté du législateur et aux moyens supplémentaires dont nous pourrions avoir besoin à cette fin.

Je précise que cette audition est ouverte à la presse, qu'elle est retransmise en direct sur le site internet de l'Assemblée nationale et qu'elle fera l'objet d'un compte rendu. Je vais vous laisser la parole pour un propos liminaire, puis nous passerons au jeu des questions – réponses.

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Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement

Je voudrais d'abord vous remercier de me donner l'occasion de m'exprimer devant vous sur un sujet essentiel : la capacité de la loi à répondre aux besoins de nos concitoyens. La concrétisation des lois n'est pas une question technique, mais bien politique. C'est un paramètre important de l'action gouvernementale : une loi qui n'est pas appliquée ne produit pas tous les effets annoncés et attendus, elle s'arrête au stade des intentions, voire des incantations.

La première question qui se pose est celle de l'application des lois, c'est-à-dire l'adoption des actes réglementaires. J'y reviendrai dans la première partie de mon intervention, non seulement parce que nous avons fait énormément de progrès en la matière, mais aussi parce que si cette étape venait à être négligée, comme cela a pu être le cas par le passé, la seconde dimension de la concrétisation des lois n'aurait plus lieu d'être. L'application réglementaire de la loi est une première étape fondamentale.

Vient en second lieu la concrétisation des lois, qui désigne leur bonne application au quotidien. Ce second aspect est plus qualitatif que le premier, et donc plus difficile à quantifier, car plus complexe. Il faut que la loi soit claire, intelligible, comprise et acceptée par l'ensemble des acteurs concernés. Le succès de la concrétisation des lois dépend certes des actions que le Gouvernement peut mener, mais pas uniquement.

Je le dis d'emblée : la concrétisation des lois, dans les deux composantes que je viens de distinguer mais qui sont complémentaires, constitue une priorité. Le Gouvernement a la ferme intention de maintenir le taux d'application des lois à un niveau très élevé, et il entend mener à bien l'acte II du quinquennat, qui consiste notamment, comme l'a indiqué le Président de la République, à s'assurer que les réformes votées sont bien exécutées et qu'elles atteignent les objectifs pour lesquels elles ont été proposées.

Je vais d'abord présenter le rôle que joue dans ce domaine le ministère chargé des relations avec le Parlement, puis j'aborderai la question des moyens permettant de parvenir ensemble à la meilleure mise en œuvre possible des lois, dans le quotidien de nos compatriotes.

D'autres l'ont dit avant moi : la loi est restée trop longtemps inappliquée faute d'actes réglementaires. Le secrétaire général du Gouvernement l'a rappelé lors de son audition : lorsque le principe de la remise d'un rapport sur l'application de la loi, six mois après sa promulgation, a été consacré en 2004, on envisageait qu'un nouveau rapport soit présenté un an plus tard si un tiers des dispositions prévues n'avait pas fait l'objet d'un décret d'application. Cette époque est, je crois, révolue : au 31 décembre dernier, le taux d'application des lois datant de plus de six mois était de 95 %. C'est un niveau que l'on n'avait jamais enregistré depuis que cet indicateur existe.

Entre le début de la législature actuelle et le 31 décembre dernier, le nombre de lois promulguées depuis plus de six mois s'est élevé à soixante-quatorze ; trente étaient d'application directe et quarante-quatre appelaient 991 mesures réglementaires pour entrer pleinement en vigueur, dont 941 avaient été prises par le Gouvernement au 31 décembre. Preuve que les efforts significatifs entrepris depuis la fin des années 2000 pour garantir un niveau élevé d'application des lois ont produit leur effet, ce dont nous pouvons tous nous réjouir.

Les circulaires du 29 février 2008 et du 7 juillet 2011 ont précisé les conditions dans lesquelles le Gouvernement assure le suivi de l'application des lois. Le Gouvernement s'est fixé comme objectif de prendre toutes les mesures réglementaires nécessaires dans un délai de six mois suivant la publication de la loi. Dès la promulgation d'un texte, un échéancier d'application est arrêté lors d'une réunion interministérielle réunissant tous les ministères intéressés. Des réunions régulières permettent de garantir le respect des échéances prévues, d'identifier les éventuelles difficultés et d'organiser le calendrier des consultations obligatoires. Mon cabinet est associé à chaque étape. Ces réunions revêtent un intérêt particulier compte tenu de l'importance des modifications apportées au cours de la navette parlementaire au projet de loi présenté par le Gouvernement. L'administration lance souvent les travaux relatifs aux textes réglementaires en parallèle de la rédaction des dispositions figurant dans le projet de loi initial, mais ce n'est pas possible, par définition, pour les dispositions adoptées par voie d'amendement : le travail ne peut pas être anticipé. Il faut donc veiller par la suite à ce qu'il ait lieu.

J'organise aussi, avec le secrétaire général du Gouvernement, des comités interministériels de l'application des lois qui rassemblent les directeurs de cabinet des membres du Gouvernement et les directeurs des affaires juridiques de chaque ministère pour rappeler la nécessité de prendre telle ou telle mesure et pour échanger sur d'éventuels points de blocage. Enfin, je présente deux fois par an une communication sur l'application des lois en conseil des ministres. J'ai eu l'occasion de le faire récemment, lors du conseil des ministres du 15 janvier dernier.

Je tiens à ajouter que le niveau élevé d'application des lois que nous avons atteint doit beaucoup aux échanges féconds entre le Gouvernement et le Parlement. Comme la présidente Valérie Létard vous l'a dit, je rends compte chaque année au Sénat de l'application de la loi au cours d'une longue audition qui permet à chaque commission de faire le point sur les textes dont elle a été saisie. Le Sénat publie à cette occasion un rapport très détaillé, de plusieurs centaines de pages. Ce rendez-vous est un aiguillon efficace, puisque l'on note généralement une accélération de l'adoption des décrets et de la publication des rapports en amont de l'audition…

Pour conclure cette première partie de mon intervention, je voudrais souligner que l'application des lois est aujourd'hui très satisfaisante, alors que cela n'était pas toujours le cas auparavant. Nous devons nous réjouir collectivement de parvenir en peu de temps à rendre pleinement applicable ce que la représentation nationale a voulu. Sans un bilan positif sur ce premier plan, aucune mise en œuvre concrète de la loi ne serait possible.

S'interroger sur la bonne exécution des lois conduit aussi à se poser la question de la manière dont elles sont adoptées. Je ne crois pas que je serai démenti si je dis que la loi a été envisagée pendant de nombreuses années, dans ce pays à forte tradition légicentriste et centralisatrice, comme une règle incontestable ayant automatiquement vocation à ordonner l'ensemble des comportements. Tel n'est plus le cas, ce n'est pas un mystère. J'y vois deux raisons : d'abord, la loi est devenue complexe et par moments difficilement accessible pour les non-juristes ; par ailleurs, l'autorité de l'État et du législateur est parfois contestée. La bonne mise en œuvre d'une loi implique un fort investissement en matière de pédagogie et de dialogue avec le citoyen, les collectivités et les secteurs concernés.

De ce constat, je tire plusieurs enseignements en ce qui concerne la concrétisation des lois.

Premièrement, la loi doit être plus claire et plus intelligible si on veut qu'elle constitue une réalité concrète pour nos concitoyens. Il me semble à cet égard que nous pouvons tous faire des efforts pour limiter l'ampleur des lois adoptées, en distinguant mieux ce qui relève de la loi et du règlement, mais aussi en veillant à nous concentrer sur l'objet initial du projet ou de la proposition de loi, dans le respect du droit d'amendement. L'Assemblée nationale essaie d'avancer sur cette voie, comme le Sénat l'a déjà fait, mais je sais que c'est un chemin parfois difficile.

En second lieu, la concrétisation des lois nécessite un important travail de pédagogie et de négociation qu'on a parfois négligé au nom de la force de la loi. Nous devons expliquer aux acteurs concernés pourquoi nous avons fait le choix de voter telle ou telle mesure, expliciter le sens des dispositions adoptées et éclairer les difficultés qu'elles ont vocation à résoudre. Pour ce qui est des lois dont l'application relève de l'État ou dont il est chargé de contrôler la bonne application, il y a un enjeu de management des administrations chargées d'appliquer la loi et d'être les interlocuteurs des usagers. Je sais qu'il en a été question lors des auditions que vous avez menées. S'agissant des lois dont l'application relève des collectivités locales ou qui s'adressent directement aux citoyens, il faut faire de la communication et de la pédagogie. L'État peut s'en charger, mais il me semble aussi que les parlementaires sont souvent très bien placés pour effectuer ce travail de conviction dans les territoires où ils ont été élus, d'autant qu'ils ont une bonne connaissance des débats ayant précédé l'adoption de la loi.

Je ne dis pas que tout va bien et que la concrétisation des lois n'est pas une question de discipline collective ou de communication politique ; je crois, au contraire, que des solutions concrètes peuvent être trouvées, notamment en matière d'évaluation, pour garantir la bonne exécution des lois. Plusieurs mesures ont d'ores et déjà été prises à cet égard par le Gouvernement.

La première d'entre elles concerne les études d'impact et la manière de faire la loi. La circulaire du Premier ministre du 5 juin 2019 relative à la transformation des administrations centrales et aux nouvelles méthodes de travail enrichit les études d'impact des projets de loi en y ajoutant des objectifs mesurables, tournés vers les Français, en partie qualitatifs et plus aisément compréhensibles. Cela permettra de mesurer ex post l'impact concret des dispositions que vous avez votées et de les corriger si nécessaire.

Je sais que le directeur interministériel de la transformation publique vous a longuement parlé des plans de transformation ministériels et des objets de la vie quotidienne (OVQ), dont j'évoquerai brièvement la dimension territoriale : la circulaire du Premier ministre du 3 octobre dernier demande à chaque préfet de région de rendre compte de manière annuelle, lors d'une réunion consacrée à l'action de l'État dans la région et présidée par le directeur de cabinet du Premier ministre, des résultats obtenus dans le cadre des politiques publiques prioritaires, qui concernent directement le quotidien des Français. Dans la même perspective, les préfets de région sont désormais tenus de faire remonter une fois par semestre un bilan du déploiement des OVQ dans leur territoire.

Le Parlement a évidemment toute sa place dans cette culture de l'évaluation. Il s'est d'ailleurs doté, ces dernières années, d'outils efficaces pour exercer pleinement les missions qu'il tient de l'article 24 de la Constitution. Outre la semaine dont l'ordre du jour est consacré, une fois par mois, à l'évaluation et au contrôle, l'article 145-7 du Règlement de l'Assemblée nationale permet à deux députés, dont un issu de l'opposition, de contrôler l'application réglementaire des lois six mois après leur entrée en vigueur. Depuis la dernière réforme de votre Règlement, en juin 2019, ces députés sont désignés dès le début de l'examen d'un projet ou d'une proposition de loi. Le processus qui peut se mettre en place – vote de la loi, évaluation dans le cadre d'un rapport d'information ou d'une commission d'enquête, préconisations d'évolution, puis proposition de loi – a un caractère itératif intéressant. C'est un cercle qui me paraît vertueux.

Beaucoup d'organismes interviennent dans l'évaluation de la loi, mais je pense que la multiplication des points de vue est utile. Les façons de travailler ne sont pas nécessairement les mêmes, l'appréciation portée sur telle ou telle situation peut être différente. Le Parlement a des moyens de contrôle dont il peut se saisir et dont il ne doit pas négliger la portée. L'impact sur le Gouvernement du débat relatif au bilan de l'application des lois au Sénat est un bon exemple.

Le fait de disposer d'une expertise indépendante constitue un atout. Je sais que vous avez réfléchi à l'idée de recourir aux ressources des inspections générales : je rappelle qu'elles sont placées sous l'autorité hiérarchique de l'exécutif – nous aurons peut-être l'occasion de revenir plus tard sur ce point. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle il existe une fonction publique parlementaire, distincte de la fonction publique d'État. C'est un corollaire de la séparation des pouvoirs, me semble-t-il.

Voilà les éléments, peut-être un peu longs, dont je voulais vous faire part à titre liminaire. Je suis naturellement disposé à répondre à toutes vos questions.

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Merci beaucoup, monsieur le ministre. Vous avez mis en avant des considérations que nous devons prendre en compte dans le cadre de cette mission. Nous souscrivons aux propos que vous avez tenus. La concrétisation suppose de mettre en place un dispositif adapté. Je rappelle que, il y a quelques années, nous avions créé avec Richard Ferrand, d'une manière très innovante, une mission de suivi sur la loi dite Macron. C'était une première, qui a d'ailleurs été acceptée, non sans mal, par le Gouvernement – le fait que le ministre concerné était lui-même d'accord a facilité les choses.

(Sourires.)

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Nous avons même fait des réunions à Bercy. Preuve qu'il s'est parfois passé des choses intéressantes pendant le précédent quinquennat…

Le deuxième élément sur lequel je voudrais revenir concerne la pédagogie et la communication. Je pense que les parlementaires ont vraiment un rôle à jouer en la matière. Je considère pour ma part – mais je ne sais pas si l'ensemble de la mission ira dans ce sens – que nous sommes des animateurs des territoires et que nous avons une légitimité pour parler de la loi, en amont – dans ce domaine, je pense qu'il faudrait un peu plus de transparence de la part du Gouvernement pour nous permettre d'en parler mieux – comme en aval, sur le plan de la concrétisation et de l'évaluation. Nous souhaitons inventer un chemin plus efficace et peut-être plus institutionnalisé en la matière.

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Merci beaucoup, monsieur le ministre. Vous avez déjà balayé une bonne partie du champ de notre mission d'information.

Je voudrais d'abord revenir sur la sémantique. La concrétisation de la loi ne correspond pas tout à fait à son application, et c'est sur ce point que notre mission peut être extrêmement utile aux parlementaires et aux citoyens. S'agissant de l'application des lois au sens juridique du terme, nous avons relevé des progrès notables au cours de nos auditions. Là où nous pensons que le parlementaire a un rôle plus important à jouer, c'est dans la façon de faire ressentir la loi dans le quotidien de nos concitoyens, des entreprises, des collectivités locales ou de toute personne physique ou morale concernée de près ou de loin par les mesures adoptées par le Parlement. C'est là où le terme de concrétisation prend toute son importance : une mesure peut être appliquée sans pour autant se concrétiser dans le quotidien des gens. Il y a une zone grise qui est très difficile à appréhender. Il faut être aussi un élu de terrain et ne pas se contenter de vérifier : il faut également faire remonter des données en cas de mauvaise concrétisation de la loi, afin d'améliorer la situation. Nous pensons – je crois pouvoir parler au nom de l'ensemble de la mission – que c'est là que le bât blesse : il faut se demander ce qui se passe quand ça coince, et ce que l'on peut faire pour décoincer les choses quand des lois ou des réformes ont du mal à se concrétiser.

J'en viens à mes questions, en commençant par le rôle de votre ministère. Il est très intéressant de vous auditionner car il me semble que vos services peuvent jouer un rôle central dans le domaine sur lequel nous travaillons. Avez-vous des relations régulières avec tous les acteurs de la concrétisation de la loi ? J'ai l'habitude de dire que la chaîne, dans ce domaine, va du secrétaire général du Gouvernement jusqu'à l'agent de guichet. En ce qui concerne les OVQ, par exemple, vous fait-on remonter, au niveau des administrations déconcentrées, dans les départements, des problèmes de mise en œuvre des lois ? Avez-vous des relations régulières avec les onzièmes conseillers, nouvellement créés, chargés de suivre l'application des réformes au sein des cabinets ministériels ? Avez-vous, d'ailleurs, un onzième conseiller dans votre cabinet ? Vous avez évoqué la direction interministérielle de la transformation publique (DITP). Nous avons auditionné Thomas Cazenave lorsqu'il était responsable de cette structure. Avez-vous des relations régulières avec la DITP ? Jouez-vous un rôle actif en ce qui concerne le suivi de l'application et de la concrétisation des lois ?

Ma deuxième série de questions concerne le rôle du parlementaire sur le terrain. Vous avez souligné, et vous avez eu raison de le faire, que deux députés, l'un de la majorité et l'autre de l'opposition, sont désormais désignés dès le début de l'examen d'un projet de loi pour assurer le suivi de la publication des décrets d'application. Roland Lescure et Daniel Fasquelle nous ont ainsi présenté hier leur travail sur la loi PACTE. C'est extrêmement utile – on voit vraiment ce qui a été publié –, mais il reste toute la suite : les personnes concernées vivent-elles réellement la transformation que la réforme est censée réaliser ?

Comment peut-on, à votre avis – c'est une question ouverte et difficile –, institutionnaliser le rôle du parlementaire sur le terrain, avec toutes les parties prenantes ? Comme vous l'avez dit, les inspections générales sont sous l'autorité du pouvoir exécutif. Cela nous empêche-t-il de travailler avec elles ? Je ne le pense pas. Encore faut-il établir des règles, définir ce que le parlementaire peut faire avec les inspections générales. Ne soyons pas naïfs : si on ne l'écrit pas noir sur blanc, dans un texte, on ne progressera pas. Puisque les députés-maires n'existent plus, nous devons devenir des députés applicateurs. Il faut travailler avec d'autres acteurs, comme les inspections générales, mais pas seulement elles : il y a aussi des acteurs locaux, à commencer par les préfets.

Cette mission a pour vocation, comme l'a indiqué notre présidente, de proposer un outil de suivi permettant de faire remonter des problèmes. Nous avons pour ambition de créer, à terme, une plateforme grâce à laquelle chaque député qui suit tel sujet dans telle partie du territoire pourra faire remonter où cela coince et pourquoi. Cette plateforme pourrait-elle, à votre avis, fonctionner en lien avec vous, par exemple, du côté du Gouvernement, ou avec la DITP, afin qu'il y ait des allers-retours réguliers avec le Parlement sur ces questions ?

Vous avez indiqué, à juste titre, qu'on pourra améliorer la concrétisation de la loi si celle-ci est mieux faite. Je partage notamment l'idée que nous devrions voter des lois moins bavardes et faire davantage confiance à l'administration pour les détails. La relation de confiance entre le Parlement et l'administration reste quand même à améliorer et doit dépasser le « je t'aime, moi non plus ». C'est ce qui explique que nous entrions trop dans les détails quand on fabrique la loi, de peur qu'elle ne soit pas bien appliquée. Il y a un vrai problème : il faut qu'on arrive à se reparler mieux et qu'on réapprenne à s'aimer – je le crois vraiment.

Une idée avait été mise sur la table lorsque nous avons débattu de la révision constitutionnelle à l'été 2018 : soumettre certains amendements – pas tous – au Conseil d'État, comme on le fait pour certaines propositions de loi, par le truchement du président de l'Assemblée nationale. Cela vous paraît-il une idée intéressante pour remédier à la difficulté que vous avez soulignée ? Tout ne peut pas figurer, par définition, dans les études d'impact puisque des amendements vont modifier le texte initial. Comment pourrait-on, dès le stade de la fabrique de la loi et des études d'impact, mieux associer l'ensemble des parties prenantes ? Les rapporteurs des projets de loi le font souvent : ils auditionnent des acteurs qui vont être concernés. Dans le cadre du projet de loi sur les retraites, l'ensemble des filières et des métiers vont ainsi être auditionnés. Peut-on aller plus loin au stade de l'étude d'impact, et peut-être du Conseil d'État, dans l'association de toutes les parties intéressées ? J'ai tendance à penser qu'en les mettant dans la boucle et en tissant une relation de confiance – c'est une remarque faussement naïve – on peut mieux concrétiser et appliquer la loi.

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Marc Fesneau, ministre chargé des relations avec le Parlement

Je vais essayer de répondre à toutes ces questions, qui ouvrent des perspectives multiples.

Je vais commencer par le rôle du ministère chargé des relations avec le Parlement (MRP). Par construction – et c'est le seul ministère à être dans cette situation –, le MRP n'est pas doté de services. La moitié de mon équipe est présente dans cette salle avec moi ! On peut réfléchir à la manière dont on aborde les questions, mais vous voyez bien l'ampleur de notre tâche…

Le MRP participe aux réunions interministérielles qui ont lieu dès la promulgation des lois pour veiller, avec l'ensemble des ministères concernés, à ce qu'il y ait un échéancier pour l'adoption des textes réglementaires. Nous travaillons sur l'application des lois plutôt que sur leur concrétisation – vous avez eu raison de distinguer ces deux sujets. Notre travail consiste à vérifier que l'application des lois a lieu – elle n'est pas acquise par principe.

Avons-nous un onzième conseiller ? Ce serait plutôt un neuvième en ce qui concerne le MRP – vous savez qu'il y en a six, neuf ou onze dans les cabinets des secrétaires d'État, des ministres délégués ou des ministres. Nous n'avons pas nommé de conseiller en charge de ces questions, pour la raison que je viens d'indiquer : le MRP n'est pas en charge d'un domaine thématique particulier. Nous réfléchissons néanmoins à la question du suivi du suivi, car cela pourrait permettre d'avancer sur les sujets que vous évoquez. C'est dans ces termes que l'on peut raisonner, plutôt qu'en termes de suivi et de coordination de l'ensemble. Compte tenu de la nature et, parfois, du volume des textes produits par les assemblées, il est structurellement ou pratiquement difficile d'envisager qu'un seul conseiller du MRP puisse suffire, mais je vois bien la question qui se pose à propos de la concrétisation des OVQ. Nous participons aux réunions interministérielles et nous présidons, avec le secrétariat général du Gouvernement, le comité interministériel d'application des lois.

Vous m'avez interrogé sur notre relation avec la DITP. Nous travaillons avec elle, mais c'est plutôt dans le cadre des couples formés par chaque ministère et la DITP que l'on avance.

Le rôle des parlementaires sur le terrain est une vaste question. Pourquoi est-elle plus prégnante aujourd'hui ? Au fond, pour quelles raisons avait-on le sentiment d'avoir une plus grande prise sur la réalité du terrain grâce au cumul des mandats ? Je vais donner un avis tout à fait personnel : je ne crois pas qu'on ait tiré toutes les conséquences pratiques de la fin du cumul des mandats. Cela fait partie des sujets à traiter.

Comme il n'y a plus que de simples députés, le lien avec les administrations n'est plus aussi naturel que lorsqu'on était en charge d'un exécutif local. Ce lien n'était pas institutionnalisé, mais il fonctionnait bien. Il me semble que ce n'est pas quelque chose d'institutionnel qu'il faut construire, mais plutôt une relation avec les administrations de même nature que celle qu'entretenait un député-maire.

La question qui se pose est pratique. La loi sur le cumul des mandats ne s'est appliquée qu'à partir de 2017 : nous avons donc à peine trois ans de recul, et les parlementaires ont besoin de s'approprier la situation.

Dans de nombreux cas, c'est dans les collectivités que l'on perçoit la concrétisation ou non des textes, même si ce ne sont pas elles qui sont chargées de les mettre en œuvre, car c'est aux collectivités que les citoyens s'adressent. Je pense qu'il y a un travail à mener avec les préfets, qui sont en charge de coordonner l'ensemble de l'action du Gouvernement, pour créer, sans pour autant les institutionnaliser, des rapports de même nature que ceux qui prévalaient à l'époque du cumul des mandats.

Nous avons besoin de construire une relation territoriale entre les parlementaires et les administrations. Cette relation passait autrefois par le cumul des mandats, mais elle peut s'édifier autrement. C'est une question de culture et, me semble-t-il, de temps un peu long. Nous avons encore du travail à faire dans ce domaine. Les administrations et les parlementaires n'avaient pas anticipé les conséquences qui pouvaient se produire.

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Je suis d'accord. Les députés-maires n'étaient pas nécessairement la panacée pour la concrétisation des lois, mais il est vrai qu'ils avaient avec les administrations, en tant que maires, un contact qui n'existe plus. Je suis très content à titre personnel qu'il n'y ait plus de cumul des mandats de député et de maire. C'est une très bonne mesure, même si elle pose effectivement certaines difficultés.

La fin du cumul des mandats laisse un peu plus d'espace aujourd'hui pour recréer un cumul de fonctions – celle de député et celle d'applicateur. C'est un peu ce que le constituant de 2008 a demandé aux parlementaires de faire quand il a insisté sur l'évaluation des politiques publiques : cela revient un peu au même, même si notre question n'est pas celle de l'évaluation mais de la concrétisation, ou alors de l'évaluation in itinere. C'est le rôle du parlementaire. Je ne crois pas que cette mission d'information soit très innovante à cet égard : nous voulons simplement trouver les voies et moyens de travailler efficacement sur le terrain.

Le député n'est plus qu'un député. Il peut avoir un mandat de conseiller dans une collectivité mais il n'a plus de rôle dans un exécutif local, ce qui est une bonne chose à mon avis. Il faut en profiter pour développer une vision plus neutre, plus objective, moins impliquée dans un seul territoire. Je le constate personnellement : cela m'aide de ne pas avoir de mandat dans une des onze communes de ma circonscription. Cela me permet de servir l'ensemble de ces communes, de les aider…

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Exactement.

En ce qui concerne la concrétisation des lois, je peux faire le même travail pour tous, sans le biais classique du député-maire en faveur de sa commune ou de celles d'à côté, comme c'était courant jadis. Utilisons la situation qui est celle du député non cumulard pour en faire un député qui aide vraiment et qui joue un rôle central en matière de concrétisation, qu'il appartienne à la majorité ou à l'opposition.

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Marc Fesneau, ministre chargé des relations avec le Parlement

Je partage votre sentiment à propos du cumul des mandats, sauf peut-être sur un point : ce n'est pas parce qu'on cumulait des mandats qu'on était nécessairement dans une situation de conflit d'intérêts, je l'espère en tout cas. Cela provoquait surtout de réels conflits d'agenda…

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Marc Fesneau, ministre chargé des relations avec le Parlement

Effectivement. Et dès lors que les parlementaires ne voulaient pas être là seulement pour adopter la loi, mais aussi pour travailler sur sa concrétisation, un problème se posait : on ne pouvait pas tout faire.

Je vais vous donner un exemple pour illustrer mon propos.

La loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire a été votée il y a moins de six mois, trop récemment donc pour en calculer le taux d'application. Elle produira sans doute quelques mesures d'application réglementaire. Afin d'en estimer la concrétisation, il faut examiner comment les collectivités se comportent s'agissant du plastique, du recyclage, de la mise en décharge, etc. Lorsque vous étiez maire ou conseiller municipal, vous étiez par nature membre du syndicat et vous regardiez concrètement ce qui se passait – au risque de vous retrouver en situation de conflit d'intérêts. Mais maintenant, comment établir un dialogue avec les administrations concernées par l'application de cette loi, alors que votre statut n'est plus le même ? Il faut réinstaller un statut, qui ne sera pas celui d'un législateur au sens strict – c'est un peu ce que vous dites –, mais conçu comme un moyen de formaliser le lien avec les administrations. Certaines choses sont institutionnalisables, mais d'autres dépendront du travail que vous ferez, du dialogue que construira le député avec le président du syndicat et les habitants, pour vérifier si le système fonctionne ou dysfonctionne et si la loi prévue se concrétise.

À mon sens, la concrétisation doit répondre à deux questions : premièrement, la loi est-elle appliquée ? Deuxièmement, telle qu'elle est appliquée, la loi est-elle efficace ? La loi peut être concrétisée sans pour autant produire le sens ou atteindre l'objectif voulu par les législateurs. L'évaluation porte évidemment sur l'application de la loi, mais ce n'est plus le problème aujourd'hui ; mais la concrétisation suppose de poser la double question : la mesure est-elle réellement appliquée et produit-elle les effets attendus ? Parfois, la réponse de l'acteur n'est pas celle que l'on attendait. Ce second volet de la concrétisation n'est pas tout à fait de la même nature que la relation avec une administration : c'est la relation avec celui qui devrait s'en saisir, mais qui ne s'en saisit pas. Le problème réside alors peut-être dans la loi elle‑même et il faut revenir à un processus itératif.

Tout cela peut-il s'institutionnaliser ? Je n'en suis pas sûr ; si des parlementaires doivent travailler avec des inspections, un cadre émanant d'une commission, celui d'une mission d'information par exemple, est nécessaire. Nous avons régulièrement ce débat avec M. Barrot : il ne s'agit pas de dire que les 577 députés sont engagés tous azimuts dans toutes les missions sur le terrain. Un cadre doit être fixé, mais sans être trop rigide ; cela étant, le principe de séparation des pouvoirs suppose que chacun soit mis face à ses responsabilités : c'est le Gouvernement, et non l'administration, qui est responsable devant le Parlement, y compris en cas de dysfonctionnement de la loi.

Est-il possible de faire remonter les dysfonctionnements par le biais des plateformes ? Vous savez bien sûr qu'il existe des plateformes gouvernementales, notamment oups.gouv.fr ou voxusagers.gouv.fr. Mais cela peut poser un problème si l'on se retrouve avec un nombre trop élevé de plateformes, à plus forte raison si elles émanent d'entités différentes. Autrement dit, l'idée est bonne, mais il faut veiller à ce que leur multiplication ne conduise pas à des problèmes de lisibilité pour le citoyen. Pour ce dernier, le responsable d'un dysfonctionnement, c'est toujours l'État, même lorsqu'il n'en est pas responsable, même dans une collectivité : nous sommes dans un pays qui rêve de décentralisation, mais sitôt qu'il voit un problème, c'est toujours la faute du Gouvernement… Prenons-en acte, les mentalités n'ont pas encore suffisamment évolué de ce point de vue.

Pour ce qui est de la fabrique de la loi et de la relation de confiance, on se retrouve face à un double problème : premièrement, on est persuadé que ce qui n'est pas dans la loi n'a pas de valeur ; deuxièmement, et c'est assez lourd de conséquences pour vous législateurs, quand c'est dans la loi, on trouve que ce n'est pas suffisant… Dans ces conditions, je ne sais pas ce que l'on produit de mieux ! Il arrive aussi d'entendre, y compris dans la bouche de parlementaires : « C'est dans la loi, mais ce qu'une loi a fait, une loi le défait. », ce qui minimise la force de la loi. Et pour avoir été parlementaire, je reconnais qu'on a tendance à se dire que si l'on ne le met pas dans la loi, non seulement ce ne sera pas fait, mais ce ne sera pas vu… Nous devons essayer de nous prémunir de tout cela. Le travail réalisé dans les deux assemblées pour distinguer ce qui relève du règlement de ce qui relève de la loi rend les choses plus claires. On peut comprendre les motifs de la production de nombreux amendements – on part avec 50 articles et on arrive à 250 –, mais je ne suis pas sûr qu'une loi devenue à ce point complexe produise ensuite facilement de la pédagogie et de la communication. C'est pourquoi cette distinction est importante.

Nous avons déjà parlé des amendements soumis au Conseil d'État, notamment au moment de la révision constitutionnelle inaboutie à ce jour. Comme à l'époque, nous butons sur un problème d'organisation pratique. Comment choisit-on les amendements : en raison de leur ordre d'importance ou des conséquences qu'ils peuvent avoir ? La question du délai d'examen se pose également ; il est relativement court entre le dépôt et la séance publique ou une réunion de commission. Si vous demandez au Conseil d'État de se saisir d'un amendement le vendredi pour un texte examiné le lundi, je ne suis pas sûr qu'il l'accueille avec l'enthousiasme nécessaire – on peut le comprendre. D'autant qu'il s'agit par nature d'amendements à lourde portée, ce qui rend encore plus prégnantes ces questions de délais et de calendrier ; ce processus ralentirait plutôt les choses. Mieux vaudrait y travailler en amont ou en interne plutôt que de systématiquement passer par Conseil d'État. L'expérience qu'en a fait le président Ferrand à l'occasion de propositions de loi ne me paraît pas inintéressante.

Il est nécessaire également que vous puissiez être dotés d'outils d'expertise au moment où vous fabriquez la loi, afin d'éclairer vos propres amendements. Je suis souvent saisi, y compris par des parlementaires, de dispositions votées dans la loi, dont ils mesurent les conséquences seulement une fois qu'elle est votée. Le Gouvernement n'a pas que des qualités dans sa façon de fabriquer la loi, mais il arrive souvent qu'elles résultent des amendements produits au cours de la discussion parlementaire. Après coup, les députés en réalisent les conséquences en matière de délai, de mesure, de portée, etc. Cela aussi a un effet sur la concrétisation de la loi. En tant que ministre des relations avec le Parlement, je n'ai pas l'intention de ne pas respecter vos prérogatives. Il faut trouver le moyen de vous doter d'outils qui vous permettent, en continu et en amont, de prendre la mesure de la portée économique ou sociale de tel ou tel amendement.

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Je pense que le calendrier est aussi un enjeu essentiel : il pourrait permettre aux parlementaires de mieux élaborer les amendements importants. N'y voyez aucun reproche, nous vivions précédemment la même situation. Pour certains dossiers, notre calendrier est quasiment intenable. Cela ne se fera peut-être pas tout de suite, mais nous devons travailler avec l'idée suivante : lors de la fabrication de la loi, un parlementaire qui souhaite continuer à jour son rôle doit pouvoir agir tout à la fois très en amont et très en aval du texte. Telle est l'idée que nous souhaitons développer, de concert avec l'exécutif. Pour l'heure, nous restons prisonniers des délais dans lesquels vous nous enfermez.

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Je reviens sur la formalisation de ce que pourrait être le nouveau rôle du député. Dans nos circonscriptions, nous voyons tous à quel point s'est affaibli le crédit dont jouissaient les députés vis-à-vis des acteurs locaux, y compris de l'administration déconcentrée de l'État ; c'est peut-être moins le cas pour vous qui avez été élu local auparavant. Cet affaiblissement est lié à la fin du cumul des mandats, mais aussi à la coïncidence des élections législatives et présidentielles, qui rend l'élection des députés un peu plus sensible au contexte national et un peu moins à leur implantation locale.

Nous essayons ici d'apporter une solution à ce problème, en donnant aux députés des outils pour leur permettre de faire ce que prévoit l'article 24 de la Constitution, à savoir contrôler l'action du Gouvernement et évaluer les politiques publiques. En théorie, nous devrions déjà pouvoir le faire et certains de nos collègues le font d'ailleurs spontanément : ils interrogent les maires, les services de l'État, etc., sur l'application d'une loi. C'est ce qu'a fait Philippe Bolo pour le volet de la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, dite loi NOTRe, consacré aux communes nouvelles. Une synthèse de ce travail sera publiée sous la forme d'un livret et remise au ministre de la cohésion des territoires. Cela nécessite une intégrité et une conscience professionnelle hors du commun, sur laquelle il ne faut peut-être pas miser.

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Attendons le printemps de l'évaluation !

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Deux éléments peuvent amener les députés à s'emparer des outils évoqués par la présidente et le rapporteur. L'idée est d'abord de faire en sorte qu'ils soient guidés et qu'ils puissent faire remonter les anomalies détectées par le biais d'une plateforme et de documents préformatés : ce sera sans doute une des propositions qui figurera dans notre rapport. Mais ensuite, il faut que cela serve, autrement dit que les administrations, les élus, les responsables d'entreprises et d'associations, etc., aient l'impression que le travail du député de contrôle de l'application, ce n'est pas du vent. Il faudrait que ce travail, qui serait un peu plus formalisé que celui effectué par Philippe Bolo, puisse remonter d'une manière ou d'une autre jusqu'au plus haut niveau, à l'exécutif ou au secrétariat général du Gouvernement.

Parmi les idées auxquelles nous avons pensé jusqu'à présent figure la possibilité de faire remonter les problèmes ou les résultats observés à l'Assemblée nationale et de les transmettre aux présidents de commission. Ces derniers pourraient, à intervalle régulier, rencontrer les ministres ou le secrétaire général du Gouvernement, sinon les deux, afin de procéder à un état des lieux de la concrétisation des lois votées pendant la législature. Cela aurait le mérite de mettre entre les mains des députés un outil ayant un véritable impact, puisque leur travail remonterait jusqu'au Gouvernement, dont vous avez raison de rappeler, qu'il a la responsabilité de la bonne application et de la mise en œuvre par l'administration des lois qui sont votées.

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Marc Fesneau, ministre chargé des relations avec le Parlement

J'ai bien noté l'éloge fait à M. Bolo ! Il n'est pas besoin d'avoir été un élu local pour sentir que cette pratique relève du bon sens : il me semble assez naturel qu'un parlementaire, qui s'implique dans son territoire et qui s'intéresse à la loi, aille discuter avec les citoyens, les chefs d'entreprise, les associations et les collectivités, et ce, qu'il soit de la majorité ou de l'opposition.

La relation entre les députés et l'administration est moins naturelle qu'auparavant, en raison de la suppression du cumul des mandats, mais cela ne signifie pas qu'on ne peut pas construire une autre relation. Un préfet parlait tout autant au député qu'au maire président de l'agglomération : quand c'était la même personne, cela garantissait une certaine fluidité ; les lieux de rencontre étaient d'ailleurs naturels, et l'interaction évidente. Mais le bon sens m'amène à dire que rien ne vous empêche de construire une relation qui vous permette en continu de juger de la concrétisation ou non de telle ou telle disposition législative, et de ses effets, positifs ou non. Vous en êtes d'ailleurs les acteurs, pour bon nombre d'entre vous.

Madame la présidente, vous avez évoqué l'éternelle question du calendrier – je salue du reste votre honnêteté intellectuelle. Nous nous y étions penchés lors de la réflexion sur la révision constitutionnelle. Les parlementaires réclament du temps, quand le Gouvernement trouve en général que cela va trop lentement. Le temps est d'ailleurs accéléré par le processus quinquennal : ce qui n'a pas été voté au cours des trois ou quatre premières années ne le sera pas avant la fin du quinquennat. Force est de reconnaître que le temps utile du quinquennat est plus proche de trente-six à quarante mois que de soixante ; cela est à prendre en compte dans l'application d'un programme défini lors des élections présidentielle et législatives. C'est une contrainte qu'il nous faut essayer de gérer collectivement, car j'inclus le Gouvernement dans cette barque. Nous nous efforçons de produire des textes qui ne soient pas trop volumineux ; ceux qui le sont tout de même, pour des raisons évidentes, qu'elles soient juridiques ou tiennent à son objet, aboutissent à un processus de fabrication de la loi plus long.

Ce que disait M. Barrot est juste : il vous appartient de vous doter, en plus du bon sens, d'outils permettant de guider votre action. Mais au-delà, la question est de savoir à quel endroit atterrit ce que vous percevez de la concrétisation ou de la non-concrétisation des lois… La remontée vers les commissions concernées – le cas des commissions spéciales pose une difficulté supplémentaire : il sera difficile de les reconstituer – est une bonne idée ; elles pourront ainsi se saisir de telle ou telle disposition de la loi, quitte à auditionner les ministres.

Je reviens sur l'exercice assez intéressant et qui mobilise beaucoup notre attention, que nous effectuons au Sénat. Dans le cadre d'une délégation du Bureau, une audition est organisée durant quelques heures, à laquelle je participe et qui permet à chaque commission de s'exprimer, essentiellement sur les décrets d'application ; mais d'autres sujets pourraient néanmoins y être abordés. Vous-mêmes pourriez utilement solliciter les ministres au sujet de telle ou telle application des lois ; cela se fait d'ailleurs dans certains cas. Une fréquence annuelle me semble judicieuse ; si elle était plus élevée, le processus itératif serait trop court.

Dernier point de réflexion : la loi, son application, sa concrétisation, mais après ? Lors de la réflexion sur la révision constitutionnelle, nous avions envisagé de fusionner la semaine de contrôle et la semaine d'initiative de l'Assemblée nationale. Cette réflexion était alors partagée par le Gouvernement – j'étais parlementaire à l'époque. L'objectif était de tirer quelque chose d'une évaluation et d'aboutir éventuellement à des évolutions législatives. Cette idée ne doit pas être abandonnée : je trouve utile et même politiquement sain qu'une loi puisse évoluer après qu'on a pris le temps de son évaluation, lorsque l'on constate qu'elle ne produit pas les effets escomptés et qu'elle donne lieu à des biais parce que les acteurs ne répondent pas forcément comme on l'aurait voulu. Cela étant, l'évaluation nécessite un peu de temps et le quinquennat n'en offre pas beaucoup : cinq ans, c'est peu pour englober le moment du vote de la loi, celui de son application et celui de son éventuelle correction.

M. Michel Lauzzana remplace Mme Cécile Untermaier à la présidence.

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Ma réflexion a porté sur les moyens mis à notre disposition en matière de concrétisation des lois. Le premier d'entre eux est le moyen temporel : il faut apprécier le rôle du député vis-à-vis de la loi dans le cycle législatif en considérant autant les étapes situées en amont que celles de l'examen et du vote de la loi, et celles qui suivent. L'exemple de la loi relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite loi PACTE, est révélateur de ce qu'il nous est possible de faire : dans la mesure où elle s'inscrivait dans un temps pas nécessairement long, mais suffisant, nous avons pu en appréhender très en amont les intentions et les grands principes. À partir de là, il a été possible d'organiser dans les territoires, à l'initiative et à la demande du ministre, des ateliers consacrés aux objets que devait traiter cette loi et qui ont permis d'entrer en contact avec les chefs d'entreprise. Ce temps long a permis, par la suite, d'élaborer des amendements. Vous avez signalé le risque que les amendements pouvaient devenir, en quelque sorte, contre‑productifs ; mais le temps long offre la possibilité d'y travailler avec les cabinets ministériels et de nous assurer de leur cohérence et de leur efficience.

Finalement, le temps long permet de retourner vers ceux qui sont concernés par un objet de loi, pour leur présenter ce qui a été fait, avec toute la pédagogie et la communication indispensables à la concrétisation. Aujourd'hui encore, à l'occasion des cérémonies de vœux, des chefs d'entreprise viennent nous parler de la loi PACTE. Ils ne sont pas forcément d'accord avec tout, mais elle est concrète à leurs yeux parce qu'ils en ont compris l'esprit. La concrétisation est ici au rendez-vous et ils deviennent en quelque sorte des relais capables d'expliquer ce texte de loi.

La frontière entre la concrétisation et l'évaluation est ténue ; l'une nourrit l'autre. En faisant acte de pédagogie et de communication, nous obtenons des informations qui contribuent à l'évaluation. Tout cela participe au cycle législatif, qui est semblable au cycle du projet existant dans le monde industriel : on prépare, on agit, on évalue et on corrige. Le binôme évaluation-concrétisation permet d'établir un contrat de confiance avec ceux qui sont concernés par les lois : nous votons des lois, mais comme nous ne sommes pas infaillibles, leur évaluation et l'examen de leur concrétisation permettent de corriger les effets négatifs inattendus.

Monsieur le ministre, vous avez la main sur le calendrier d'arrivée des lois et vous vous situez à l'articulation entre le Parlement et le Gouvernement : serait-il possible d'avoir des calendriers plus favorables à la connaissance en amont des textes de loi, ce qui permettrait de dérouler au mieux ce cycle de projet ?

Outre les moyens temporels, il y a les moyens humains : je ne m'y appesantis pas, puisqu'ils relèvent de l'Assemblée nationale. En revanche, un moyen très simple concerne les amendements : nous les votons, avant de perdre la main sur leur devenir. Serait-il possible, par le biais d'un outil informatique très simple, d'informer par courriel le signataire principal ou l'ensemble des cosignataires d'un amendement du traitement qui lui aura été réservé après son vote – application immédiate ou décret ? Nous aurions ainsi une visibilité sur ce que deviendraient des amendements construits dans un temps long et de manière efficace, et nous disposerions du coup de premiers éléments en matière de concrétisation et d'évaluation.

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Le lien avec l'administration était en effet plus fluide autrefois, en raison notamment du cumul des mandats. Aujourd'hui, nous faisons face au problème de la neutralité des administrations vis-à-vis des politiques. Par le fait que nous n'avons pas de mandat exécutif et que notre relation n'est pas directe, nous nous retrouvons parfois mis de côté. Il faut peut-être trouver le moyen d'institutionnaliser nos relations avec les administrations ; pour l'heure, sans doute contraintes par leur obligation de neutralité, elles ne nous répondent pas toujours facilement.

Comment imaginer une meilleure articulation entre le travail du Sénat, dont Mme Létard nous a parlé, celui de l'Assemblée nationale et vous, monsieur le ministre, concernant le suivi des décrets ? L'audition à laquelle vous vous soumettez au Sénat pourrait être un exemple à suivre : elle me semble être un moyen intéressant de suivre l'évolution de l'application des lois.

Je m'interroge également à propos de l'incidence des autorités indépendantes sur la concrétisation de la loi. Le président de la compagnie nationale des commissaires aux comptes (CNCC), M. Bouquot, auditionné cette semaine, nous a signalé un vrai problème, dont ni le législateur ni le Gouvernement ne sont à l'origine : nous avons voté dans la loi PACTE, le principe d'un audit des petites entreprises ; or une autorité de régulation indépendante vient brouiller l'esprit de la loi dans l'application concrète de ce texte. Autrement dit, le problème ne vient ni du législateur ni du Gouvernement, mais d'une troisième partie, en l'occurrence une instance régulatrice.

Concernant le fameux onzième conseiller dans les ministères, vous indiquez qu'une présentation a été faite dans le cadre du conseil des ministres. Serait-il possible que le Parlement ait un retour des cabinets concernant les objets de la vie quotidienne (OVQ) ?

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Marc Fesneau, ministre chargé des relations avec le Parlement

Les auditions du Sénat s'intéressent beaucoup à l'application des lois et à la concrétisation des actes réglementaires qui en découlent. Il arrive que l'on revienne sur des textes votés trois, quatre ou cinq ans plus tôt, et pour lesquels il manque un ou deux actes, ce qui est problématique. Cela répond à votre première question, madame Motin, mais beaucoup plus imparfaitement aux propos du rapporteur sur la concrétisation. Si cet outil, dans la configuration retenue par le Sénat, me paraît utile, il doit cependant être complété, ce qui répond à votre question relative aux OVQ. Par ailleurs, des rencontres bilatérales entre un ministère et le Parlement seraient judicieuses ; elles permettraient des échanges avec le ministre concerné et son administration, afin de faire un point sur tel OVQ ou telle transformation attendue, en fonction de critères d'évaluation préalablement déterminés.

Les études d'impact et le travail demandé aux différents ministères répondent à une demande réelle d'éléments quantifiables et mesurables, surtout sur le plan qualitatif. Au fond, chaque étape nourrit l'étape suivante – la loi n'est pas appliquée parce que les actes réglementaires ne sont pas appliqués. Plusieurs textes de loi sont à venir, tel que celui relatif à l'économie circulaire ; d'autres auront bientôt plus de six mois d'existence : le gros du travail d'application de la loi, au sens strict du terme, est devant nous. Cela mit à part, il est nécessaire de disposer de résultats – résultats finaux et résultats sur le terrain, ce qui n'est pas tout à fait la même chose – quantifiables.

Quoi qu'il en soit, le format de l'audition, telle qu'elle est pratiquée au Sénat, me paraît intéressant. Il répond à la problématique de l'application et correspond peut-être à la dimension bilatérale évoquée.

Vous avez également mentionné les autorités administratives indépendantes. J'aurais tendance à vous dire, non sans malice, que c'est souvent le législateur qui a voulu les créer : nous avons connu une période où c'était de bon ton. Je n'en remets pas en cause le principe en lui-même, mais j'observe qu'il n'est pas sans conséquences, notamment celles que vous évoquiez. Cela dit, je pense qu'il est possible d'engager un dialogue avec ces autorités. Ensuite, le cas échéant, il vous revient de solliciter le ministre concerné pour lui signaler un problème. Toutefois, il me semble que ces autorités travaillent sérieusement et, même si elles identifient un problème dans la loi, je ne suis pas sûr que leur marge d'interprétation soit très large – mais peut-être, sur le point précis que vous avez évoqué, des questions se posent-elles en effet. Libre à vous, au demeurant, d'auditionner ces autorités administratives indépendantes. S'intéresser à la manière dont elles voient les choses peut totalement faire partie de votre travail d'application et de concrétisation de la loi – en amont comme en aval, d'ailleurs.

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On le fait en amont, il faut le faire en aval.

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Marc Fesneau, ministre chargé des relations avec le Parlement

En ce qui concerne le onzième conseiller et les objets de la vie quotidienne, je vous ai déjà répondu.

S'agissant des moyens, soulignés par M. Bolo, il y a le moyen temporel, mais je répète que nous nous heurtons, malheureusement – ou heureusement, je ne saurais dire – à la contrainte de l'accélération globale des processus et à la volonté d'accélérer : nous vivons à une époque où il faudrait que tout soit immédiat, sous le règne des chaînes d'information en continu : un problème soulevé le lundi doit être résolu dès le mardi. Soyons lucides : nous en sommes tous victimes. Il faut essayer de se donner un temps de travail parlementaire qui permette, effectivement, d'avoir un peu de recul, à la fois sur la construction de la loi et sur son évaluation – car je considère que le temps de l'évaluation n'est pas un temps rapide.

Je dirai encore un mot à propos de l'évaluation, car j'en ai fait l'expérience dans une autre vie. En France, nous avons un rapport à l'évaluation qui n'est pas encore tout à fait abouti, si je puis dire. J'ai connu le temps heureux de l'évaluation des fonds européens par les administrations d'État – je n'étais alors ni ministre ni député. Au fond, l'évaluation ne cherchait qu'à démontrer que tout était formidable. Nous entretenons encore un peu, collectivement, ce rapport à l'évaluation. Or, selon moi, l'évaluation n'a de sens que si elle permet de porter un regard lucide sur les choses, ce qui ne veut pas dire, d'ailleurs, remettre en cause telle ou telle administration, y compris dans le travail que vous faites sur ces questions : il doit s'agir de regarder ce qui marche et ce qui ne marche pas. Nous avons, disais-je, un rapport à l'évaluation qui n'est pas encore abouti ; et tant qu'il en sera ainsi, évidemment, il sera plus complexe de mener l'évaluation – je le dis au détour d'une réponse à l'une de vos questions.

Oui, il faut distinguer évaluation et concrétisation ; je l'ai d'ailleurs dit dans mon propos liminaire. La concrétisation consiste à veiller à ce qu'une chose se fasse ; l'évaluation, à vérifier si le sens est respecté et l'objectif atteint – la réduction de l'usage des plastiques, le développement de l'activité des entreprises… Du reste, monsieur Bolo, les deux processus n'ont pas non plus la même temporalité : la concrétisation peut être assez rapide quand l'évaluation peut s'inscrire dans le temps long – les acteurs économiques ne réagissent pas toujours comme on le voudrait.

En ce qui concerne le suivi des amendements, oserai-je vous dire qu'un amendement, une fois adopté, n'appartient plus à son auteur ? Il est la loi de tous, pas celle de son auteur. Par ailleurs – je le dis avec malice –, compte tenu de la nature des dispositions, si vous demandez un suivi amendement par amendement, ce sera difficile. Ce que je peux vous dire, c'est que, dans son travail sur l'application des lois, le secrétariat général du Gouvernement (SGG) procède évidemment article par article. Vous avez donc, par cette voie, la possibilité de regarder où on en est, à l'intérieur d'un article, dans l'application de telle ou telle disposition. Nul n'est propriétaire – ni même auteur – de la loi : c'est une œuvre collective. Du reste, il serait concrètement impossible de faire ce travail de suivi individuel. Le meilleur moyen d'étudier le destin d'une disposition législative introduite par voie d'amendement est, me semble-t-il, d'étudier les tableaux de suivi de l'application des lois produits par le SGG.

Enfin, vous avez raison : un contrat de confiance doit s'instaurer entre le législateur et les administrations. Il faut se parler suffisamment pour que la confiance préalablement établie perdure au moment de la concrétisation et de l'évaluation. C'est pour nous un enjeu important.

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Mes propos paraîtront peut-être redondants par rapport à ceux de Cendra Motin, mais ce n'est pas grave… Sans la moindre volonté de faire de la provocation, je me demande quant à moi, à l'inverse, si, en matière d'évaluation – je rapproche volontairement évaluation et concrétisation, même si j'approuve tout à fait le distinguo que vous avez fait –, le mieux n'est pas l'ennemi du bien : n'aurions-nous pas trop d'organes d'évaluation, dont certains parfois convergents, voire empiètent les uns sur les autres ?

Prenons l'exemple de la merveilleuse loi PACTE, pour laquelle j'ai une tendresse particulière et à laquelle M. Bolo a lui aussi largement contribué. Nous y avons introduit, par voie d'amendement, un dispositif d'évaluation relativement lourd ; autrement dit, la loi que nous avons votée, passant outre certaines réserves du Sénat, comprend une évaluation intégrée. Parallèlement, une mission d'évaluation est menée par France Stratégie, agence dépendant du Premier ministre, qui fait travailler à la fois des parlementaires et – il me semble important d'avoir cet élément en tête – des syndicats et des personnalités de la société civile. Ajoutez à tout cela les travaux cette mission d'information, où des parlementaires examinent certains aspects de la loi PACTE pour voir si la concrétisation est à la hauteur de l'ambition. Au final, pour cette seule loi, pas moins de trois évaluations sont en cours, et qui ne portent pas forcément sur la même échelle de temps. Sans oublier le comité d'évaluation et de contrôle des politiques publiques (CEC), qui ne manquera pas, à un moment ou un autre, de s'intéresser lui aussi au déploiement de la loi PACTE, ce qui nous en fait une quatrième… L'ambition est évidemment louable, mais ne ferions-nous pas mieux de rationaliser l'évaluation en la confiant à un seul organe plutôt que de chercher à l'intégrer un peu partout ?

Allons maintenant beaucoup plus en aval, au moment où la loi, promulguée et assortie de ses décrets d'application, arrive à celui que j'appellerai le destinataire final, autrement dit au citoyen. Ma question va un peu dans le sens de ce qu'a rappelé M. Bolo : alors que notre époque est marquée par la défiance envers la politique, ne pourrait-on songer, pour les années qui viennent, à permettre aux parties directement concernées par nos textes, autrement dit à ceux pour qui ils ont été originellement imaginés et votés – ainsi les entrepreneurs, notamment les patrons de TPE-PME, dans le cas de la loi PACTE –, de participer à ce travail sur la concrétisation de la loi, par le biais d'un outil technologique adapté, une plate-forme en ligne par exemple ? En tant que parlementaire et, accessoirement, citoyenne, je trouverais cela plutôt malin.

Ma dernière question est liée à la précédente. Personnellement, ce qui m'obsède dans l'évaluation et de la concrétisation de la loi, c'est la manière dont il est possible de la faire évoluer si certaines dispositions s'avèrent inadaptées ou méritent d'être élargies, revues, corrigées. Je vois quel peut être le parcours de l'évaluation et de la concrétisation, mais comment faire remonter les évolutions nécessaires au niveau de la loi, faire bouger certaines lignes, reprendre les dispositifs inadéquats, sinon en adoptant une nouvelle loi – une loi PACTE 2, par exemple – au risque de contribuer à l'inflation législative ?

Cette démarche par itération en fin de circuit, en association avec les parties prenantes et les destinataires de la loi, n'a évidemment d'autre but que de l'améliorer, et non de se gargariser en disant que l'évaluation est parfaite, que la loi est merveilleuse, que nous sommes fantastiques… Vérifier si la loi répond aux problèmes des citoyens, telle est bien la finalité de la concrétisation, vous l'avez dit, monsieur le ministre. Je vois à peu près comment nous pouvons atteindre les citoyens : ils sont souvent intelligents et, en ce qui concerne l'application, ne manquent pas d'idées qui peuvent être reprises via des mesures réglementaires, mais parfois aussi dans la loi. Encore faut-il faire revenir la balle, et c'est beaucoup plus difficile. Depuis deux ans et demi que je suis ici, je n'ai toujours pas compris comment y parvenir – mais je manque peut-être de sagacité.

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Monsieur le ministre, je vous remercie pour votre intervention, même si je ne suis pas tout à fait d'accord avec vous en ce qui concerne le cumul des mandats. Comme vous, j'ai été maire et, personnellement, je n'ai jamais eu autant de relations avec l'administration que depuis que je suis députée : lorsque j'étais maire, c'étaient plutôt mes services – notamment le directeur général des services – qui étaient en relation avec elle ; de mon côté, je rencontrais beaucoup plus les associations et les citoyens.

Je voudrais vous faire part d'un exemple concret. Je me livre très régulièrement à des immersions. Dernièrement, j'ai ainsi rencontré trente-deux associations, et je me suis aperçue qu'elles ignoraient totalement – je dis bien totalement – le fonctionnement du Fonds pour le développement de la vie associative (FDVA). Je me suis alors renseignée auprès de la sous-préfète en charge de la question dans mon département, la Haute-Garonne, et j'ai appris comment fonctionne la commission du FDVA. On y retrouve l'association des maires et le département, ainsi que l'administration, mais aucun parlementaire… En Haute-Garonne, il y a ainsi 300 000 euros à distribuer à des associations qui ne savent pas quand elles doivent déposer leur dossier – en l'occurrence, cela doit être fait entre le 1er février et le 1er mars. J'ai donc demandé de quelle manière on avait communiqué auprès des associations. Le fonctionnaire compétent m'a répondu qu'il n'y avait pas eu de communication, que la fédération des associations avait été informée mais que, bien entendu, il n'était pas question de les informer une par une. Je m'interroge : mon travail de députée est prioritairement une mission de terrain – c'est en tout cas ma conception. Or l'administration n'informe pas les associations, et les parlementaires ne font pas partie de la commission chargée de répartir les crédits, et c'est exclusivement sur eux que repose tout le travail de communication, alors que celle-ci doit obligatoirement être descendante !

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Marc Fesneau, ministre chargé des relations avec le Parlement

Je sens que ce que j'ai dit à propos du cumul des mandats n'a pas plu… (Sourires.) Je croyais pourtant avoir été assez clair : ce n'était pas une manière détournée de dire que le cumul était quelque chose de formidable. Je pense qu'il était sain de l'interdire ; mais évaluer, c'est aussi observer les conséquences des décisions qui ont été prises. Peut-être n'exercions-nous pas nos mandats de la même façon, mais peu importe : j'entends ce que vous dites, madame Vignon.

Vous abordez une question très précise. Il s'agit pour ainsi dire d'un troisième étage. En effet, le Fonds départemental d'aide à la vie associative a été mis en place, il a donc été concrétisé, même s'il est un peu tôt, à ce stade, pour l'évaluer – peut-être y reviendrons-nous. Vous vous inquiétez surtout du degré d'information et de conscience des bénéficiaires potentiels. Je rappelle que la façon dont il fonctionne a été déterminée par la loi, c'est-à-dire par les parlementaires – j'allais dire : « par les parlementaires que nous sommes », car je l'étais à l'époque. Permettez-moi cette observation, par esprit de contradiction : on ne peut pas à la fois dire que les parlementaires doivent être moins souvent placés en situation de conflit d'intérêts et demander qu'ils siègent dans des commissions comme celle-là, et qu'ils y soient décisionnaires. C'est ou l'un, ou l'autre.

Par ailleurs, votre question soulève ce qui constitue un problème éternel dans notre pays, dans ce domaine comme dans d'autres, le défaut d'information : en témoigne, par exemple, le pourcentage significatif de Français qui n'accèdent pas aux prestations sociales auxquelles ils ont droit, tout simplement parce qu'ils ne les connaissent pas.

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Marc Fesneau, ministre chargé des relations avec le Parlement

J'avais en tête, pour ma part, le chiffre de 20 %, mais vous devez avoir raison.

Ce que vous évoquez à propos des associations vaut d'ailleurs pour les collectivités territoriales : certaines savent aller chercher les moyens dont elles ont besoin pour développer un projet, d'autres pas. La solution au problème passe-t-elle par une institutionnalisation ? Au fond, dans une certaine mesure, vous avez répondu vous-même à cette question : il me semble, effectivement, qu'une partie de votre travail de parlementaire – je me permets de le dire car nous sommes ici pour mener une réflexion collective – consiste à informer les gens, à aller chercher ceux qui ne sont jamais informés. Un certain nombre d'associations ou de citoyens n'apparaissent pas sur les écrans radars, mais je connais aussi des acteurs économiques, notamment des petites entreprises qui, par crainte de l'administration, de peur de passer sous les fourches caudines de telle ou telle structure administrative de l'État, ne s'adressent pas à elle. À cet égard, en plus de fournir des informations, votre rôle s'apparente presque à celui d'un médiateur. C'est un rôle éminent, qui, pour l'essentiel, on le voit bien, n'est exercé par personne d'autre.

Cela dit, les services préfectoraux informent quand même les associations. Et dans le cas du FDVA, force est également de reconnaître que beaucoup d'associations sont totalement dormantes : faut-il vraiment les informer toutes ? Généralement, on informe celles auxquelles on pense spontanément, les plus actives, et celles dont on pense qu'elles pourraient en avoir besoin. Votre rôle, pour ce qui touche à l'information, est complémentaire de celui des services de l'État, me semble-t-il, parce que vous êtes des acteurs de terrain. Et l'immersion, comme vous la pratiquez très souvent sur le terrain, madame Vignon, est aussi l'occasion de diffuser la connaissance des dispositifs, ce qui facilite ensuite l'accès.

Faut-il associer les parlementaires à la distribution du FDVA ? Je ne me déjuge pas par rapport aux débats que nous avons eus en juin 2017 à ce propos. Pour commencer, votre département, pour ne prendre que cet exemple, compte un nombre important de parlementaires. En 2017, nous nous étions dit qu'il n'était pas possible de faire siéger tous les parlementaires dans les commissions, car cela poserait problème ; d'où les choix qui ont été finalement arrêtés. Votre rôle, me semble-t-il, n'est pas tant de siéger dans les commissions que de relayer l'existence de certains dispositifs. En effet, la commission est placée sous l'égide du préfet, et on peut faire confiance à l'administration de l'État dans les territoires pour veiller à ce que les choses soient faites dans la plus grande neutralité. Voilà qui me permet de répondre au passage à une remarque de Mme Motin, qui a dit, tout à l'heure, que les préfets ne lui répondaient pas au nom de la neutralité. Il convient de distinguer les choses. La neutralité est consubstantielle à la fonction des préfets, et elle est respectée. Le fait de répondre à la question posée par un parlementaire n'a rien à voir avec la neutralité. La neutralité, selon moi, ne doit pas être un argument pour ne pas répondre. La non-neutralité, ce serait de ne pas répondre à tous les parlementaires de la même façon. Mais, je puis en témoigner, d'une manière générale, les préfets répondent aux questions et aux sollicitations des parlementaires.

Je prolonge ma réponse concernant le FDVA, car des éléments viennent de m'être fournis : en fait, deux parlementaires siègent au comité consultatif.

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Vous voulez parler de la commission DETR ?

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Marc Fesneau, ministre chargé des relations avec le Parlement

Non, du comité consultatif national.

Nous nous étions posé la question – à l'époque, j'étais dans vos rangs – de savoir si les parlementaires devaient siéger dans la plupart des commissions locales, comme c'est effectivement le cas pour les commissions de la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR). Un certain nombre de parlementaires l'avaient demandé, même s'il ne s'était pas dégagé de majorité en ce sens. De mémoire, nous avions limité la présence des parlementaires à la commission DETR et à la commission départementale de la coopération intercommunale (CDCI). Tous les parlementaires ne sont pas présents. Si l'on multiplie les instances où il est exigé que les parlementaires siègent – je ne dis pas cela pour caricaturer votre propos : je réfléchis tout haut –, cela risque de se faire au détriment d'autres activités, ou bien les parlementaires ne seront pas présents, ce qui ne donnera pas d'eux une meilleure image : il leur sera reproché de ne pas être venus défendre tel ou tel dossier visant à bénéficier du fonds départemental. Je pense que, dans le travail de concrétisation qui est le vôtre, vous avez plutôt un rôle d'information et de médiation auprès de ceux qui n'ont pas accès aux informations.

Madame Grégoire, vous vous demandez s'il n'y a pas trop d'organes d'évaluation. Le fait que des regards différents se portent sur le même objet peut poser des difficultés, mais peut-être pourriez-vous avoir un rôle dans ce domaine, car vous êtes les auteurs de la loi,…

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Marc Fesneau, ministre chargé des relations avec le Parlement

… donc les responsables de ses conséquences. Le Parlement pourrait être le lieu où convergent les différentes évaluations, dont il tiendrait compte pour se forger son opinion en tant que législateur, car c'est de lui que dépendront les évolutions qui pourraient s'avérer nécessaires à la suite des évaluations. Je ne trouve pas inutile qu'il y ait des regards croisés, même s'il faut, à un moment donné, faire une synthèse, rassembler les éléments dont vous, législateur et évaluateur, pourrez tirer argument. Cela ne me gêne donc pas, dès lors qu'au final vous pouvez procéder vous-mêmes à une évaluation, puis vous poser les bonnes questions. Cette démarche me paraît aller de soi, mais peut-être n'est-ce pas le cas. Une fois la loi adoptée, vous vérifiez sa concrétisation et vous procédez à son évaluation. Si vous constatez qu'un dispositif ne fonctionne pas, vous avez le moyen de corriger, par exemple à travers une proposition de loi.

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Mais, ce faisant, nous contribuons à l'inflation législative !

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Marc Fesneau, ministre chargé des relations avec le Parlement

C'est vrai. C'est pour cela que plus le champ de chaque article d'une loi est restreint, mieux c'est. Sinon, vous êtes obligés, pour les modifier, de déposer des propositions de loi qui ressemblent à des projets de loi des temps anciens, c'est-à-dire très larges. Je ne vois pas d'autre moyen de procéder : ce que la loi a fait, seule une loi peut le corriger ou l'amender. D'où l'intérêt d'avoir des lois plus restreintes, en nombre d'articles comme en volume : il est plus facile de modifier un décret ou un arrêté que de changer la loi, et d'aggraver effectivement l'embouteillage législatif. Les fenêtres sont assez restreintes.

Par ailleurs, il faut un an pour qu'une loi soit complètement mise en œuvre, puis encore un an pour l'évaluer. Autrement dit, il faut compter deux ans : le processus est assez long, et il est tout aussi difficile de corriger son résultat. Sans doute faut-il donc, en amont, réfléchir collectivement – et c'est vrai au premier chef pour le Gouvernement – à l'élaboration de lois qui soient suffisamment générales, qui n'entrent pas dans le détail, et, en aval, recourir à des propositions de loi pour les modifier.

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J'entends ce que vous dites sur l'utilité de porter des regards différents ; mais ce qui parfois me rend la tâche difficile, ce sont les différences de temporalité. Il y a des évaluations à très long terme – trois ans, par exemple, pour le comité d'évaluation de la loi PACTE –, et d'autres à beaucoup plus court terme ; sans oublier, mais cela dépasse un peu le cadre de notre mission d'information, que la temporalité est un élément important dans les jugements politiques portés sur tel ou tel texte. Cela dit, je trouve votre réponse très intéressante : c'est à nous de faire converger et de synthétiser.

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Marc Fesneau, ministre chargé des relations avec le Parlement

Il faut assumer la différence de temporalité. Je nous invite collectivement à prendre conscience du fait que le temps politique n'est pas le temps de l'immédiateté « tweetérienne » et « facebookienne ». Je sais d'ailleurs que vous partagez mon avis sur ce point. Les effets d'une politique publique découlant d'une disposition législative relèvent du temps long. Il faut l'assumer, et c'est d'ailleurs une vérité que nous devons aux citoyens sur un certain nombre d'enjeux. Certaines dispositions peuvent avoir des effets immédiats – une baisse de l'impôt sur le revenu, par exemple : grâce au prélèvement à la source, on peut la constater assez rapidement – en l'occurrence, dans les jours qui viennent pour les Français qui en sont bénéficiaires. Mais ce n'est pas le cas de toutes les mesures que l'on prend. Les politiques industrielles ou la stratégie énergétique engagées dans les années 1960, par exemple, représentent en réalité un travail qui s'est prolongé sur plusieurs septennats. C'est pour cette raison que, dans le travail de construction de la loi, il faut donner du sens, sans pour autant opposer le concret et le sens : les citoyens ont aussi besoin, quand nous fabriquons la loi, d'en comprendre l'objectif.

Je continue à tirer ma pelote de la question énergétique ; si vous dites aux citoyens : « Voilà le point d'où nous partons, voilà celui où nous allons arriver dans cinquante ans » – car c'est sur cette échelle de temps que nous travaillons – « et voilà les étapes, avec des objets concrets à un an, à dix ans : on ferme telle ou telle usine, on fait évoluer tel ou tel dispositif », vous crédibilisez tout à la fois la concrétisation et le sens de la loi.

Par ailleurs, quand on évalue un objet, il faut faire en sorte qu'il puisse l'être effectivement dans le temps qu'on s'est donné : quand la temporalité est courte, on est plutôt dans la concrétisation ; quand on s'inscrit dans le moyen terme ou le long terme, on est plutôt dans l'évaluation profonde des dispositions. La loi PACTE, pour reprendre votre exemple, est une loi de transformation – mais je ne vous ferai pas cette injure de vous l'expliquer. Je pourrais en revanche vous dire ce que j'en ai compris…

(Sourires.)

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Venant de vous, monsieur le ministre, cela ne me pose aucun problème !

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Marc Fesneau, ministre chargé des relations avec le Parlement

C'était un peu l'enjeu de la loi PACTE, d'ailleurs : rendre compréhensible pour ceux qui en sont directement bénéficiaires un dispositif dont l'objectif profond est de favoriser le développement économique. Globalement, c'est aussi une loi qui bénéficie aux citoyens, car elle vise à favoriser l'activité économique. Quoi qu'il en soit, il faut assumer l'idée selon laquelle on ne saurait évaluer en un an les effets d'une politique industrielle ou économique, de même qu'une modification du comportement des acteurs. À ceux qui prétendent faire des évaluations de cette nature, vous êtes fondés, me semble-t-il, dans le travail de coordination que j'évoquais, à dire : « Vous ne pouvez pas juger de cela en un an ; mais vous pouvez juger d'autre chose ».

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Eh oui ! C'est exactement à cela que nous assistons à propos de la suppression de l'ISF.

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Marc Fesneau, ministre chargé des relations avec le Parlement

C'est comme cela qu'il faut procéder : il faut accepter le temps long. Dans l'évaluation, vous devez être les gardiens vigilants de la bonne temporalité, non pas tant au motif qu'on déboucherait, sinon, sur une évaluation tronquée, que parce que cela permet de faire une évaluation crédible. Une politique économique s'inscrit dans le temps long ; une politique territoriale, comme celle que nous essayons de reconstruire, s'inscrit aussi forcément dans le temps long. Cela n'empêche pas d'articuler ce temps long avec de premières concrétisations immédiates. C'est d'ailleurs dans cette articulation que, selon moi, vous avez un rôle à jouer.

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Il me revient de vous poser la dernière question, monsieur le ministre, et elle rejoint un peu ce dont vous venez de parler. Vous avez dit que des choses avaient changé, que vous aviez mis en place des processus pour faire en sorte que l'étude d'impact soit plus efficace. L'étude d'impact peut-elle, précisément, inclure la prévision de l'évaluation et de la concrétisation ? Comment l'avez-vous fait évoluer ? Ce thème est souvent revenu lors de nos auditions : selon nos interlocuteurs, il faudrait améliorer l'étude d'impact, en amont des lois.

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Marc Fesneau, ministre chargé des relations avec le Parlement

N'oublions pas que les projets de lois sont adoptés après avoir fait l'objet de nombreuses modifications. Or si le texte de départ fait l'objet d'une étude d'impact, ce n'est pas le cas pour vos nombreux amendements – j'en reviens à ce dont nous parlions tout à l'heure : il faut réfléchir à la manière dont vous pourriez vous-mêmes proposer des études d'impact. En disant cela, je ne cherche pas à me défausser.

Une loi organique de 2009 a précisé le contenu des études d'impact. Nous y avons adjoint – il s'agit là d'éléments participant de la concrétisation – des critères d'évaluation plus qualitatifs. En voici quelques exemples à propos du projet de loi relatif à l'énergie : la baisse annuelle des émissions de gaz à effet de serre, le nombre de projets de territoire pour sortir du charbon – à ce propos, peut-être des études d'impact, dans certains pays qui ont renoncé rapidement au nucléaire, auraient-elles permis de montrer que cela n'était pas positif s'agissant des émissions de CO2 –, les diminutions annuelles de consommation d'énergie, les baisses annuelles du nombre de clients bénéficiant des tarifs réglementés de vente pour le gaz. Ce n'est pas tant une question d'impact immédiat, d'ailleurs : il s'agit de critères qui permettent de piloter l'impact si l'on souhaite le faire. Ces critères, que nous avons ajoutés, me paraissent utiles. Au-delà de cela, je pense que les études d'impact sont de bien meilleure qualité, et ce n'est pas seulement dû à ce Gouvernement : cette tendance s'observe depuis 2009. Il n'en demeure pas moins que vous pouvez avoir des débats sur les études d'impact. Le débat parlementaire sert aussi à cela.

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Marc Fesneau, ministre chargé des relations avec le Parlement

Vous avez toujours les études d'impact.

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Marc Fesneau, ministre chargé des relations avec le Parlement

Je suis parfois obligé de rappeler la procédure – pas à vous, bien sûr ; les personnes visées se reconnaîtront. Il se trouve que les études d'impact ne sont fournies qu'au moment de la présentation du projet de loi en conseil des ministres. J'entends parfois des parlementaires dire : « On n'a même pas d'étude d'impact ! ». Et pour cause : la procédure prévoit que le texte passe par le Conseil d'État – ce que certains ont découvert – auquel il faut donner le temps de les examiner, et que, par ailleurs, ô surprise, les études d'impact ne sont fournies qu'au moment de la présentation du texte en conseil des ministres… C'est peut-être idiot, mais c'est la procédure – et parfois, dans la vie, ce n'est pas mal de s'y tenir.

Quoi qu'il en soit, je pense que les études d'impact sont de bonne facture. Par exemple, avec le projet de loi portant réforme des retraites, qui va vous occuper prochainement, vous aurez une étude d'impact assez fournie – je pèse mes mots –, qui permettra d'éclairer les débats, et peut-être même de donner une image différente de celle qui a été répandue par ceux qui disaient qu'il n'y avait pas d'éléments d'impact. Certains trouveront sans doute le moyen de dire désormais qu'il y en a trop, qu'il aurait fallu une étude d'impact plus courte. Quoi qu'il en soit, je le répète, je pense que les études d'impact sont meilleures, et cela ne tient pas seulement à ce Gouvernement : collectivement, nous avons mieux travaillé sur la question de l'impact. C'est une bonne chose de définir des critères objectifs qui permettent de dire si cela marche ou pas.

Ce qui pose question, en revanche – j'y reviens et j'y insiste, car je l'ai vécu à l'époque pas si lointaine où j'étais moi-même parlementaire –, c'est le fait que les projets de loi sont assez profondément modifiés par les assemblées. En tant que ministre chargé des relations avec le Parlement, je considère que c'est une bonne chose ; le problème tient à l'absence d'étude d'impact de ces dispositions. Certains se demandent si l'on pourrait en solliciter une pour tel ou tel amendement, mais la question se pose en réalité pour tous les amendements : il faudrait avoir systématiquement une idée de leur impact. Du fait de l'adoption des amendements, une partie de l'élaboration de la loi se fait à l'aveugle, parce que vous n'avez pas eu le temps de mesurer l'impact des dispositions. De ce point de vue également, la temporalité compte.

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Monsieur le ministre, nous avons dépassé le temps prévu pour cette audition ; je vous remercie de vos précisions et de votre contribution à nos travaux.

La séance est levée à 11 heures 10

Membres présents ou excusés

Présents. - M. Jean-Noël Barrot, M. Philippe Bolo, Mme Olivia Gregoire, M. Michel Lauzzana, Mme Cendra Motin, M. Laurent Saint-Martin, M. Buon Tan, Mme Cécile Untermaier, Mme Corinne Vignon

Excusé. - M. Claude Goasguen