Mission d'information sur l'émergence et l'évolution des différentes formes de racisme et les réponses à y apporter

Réunion du jeudi 10 décembre 2020 à 14h30

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • CEP
  • ESSEC
  • concours
  • discrimination
  • diversité
  • science
Répartition par groupes du travail de cette réunion de commission

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La réunion

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La mission d'information organise une table ronde réunissant Mme Bénédicte Durand, directrice de la formation initiale de Sciences Po Paris, Mme Amy Greene, référente égalité femmes-hommes et lutte contre les discriminations ; Mme Marie Morellet, cheffe de projet au centre « égalité des chances » de l'École supérieure des sciences économiques et commerciales (ESSEC), membre du groupe « ouverture sociale » de la Conférence des grandes écoles.

La séance est ouverte à 14 heures 30.

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La mission d'information sur l'émergence et l'évolution des différentes formes de racisme a été créée par la Conférence des présidents de l'Assemblée nationale en décembre 2019. Cette audition est retransmise en direct sur le site de l'Assemblée nationale puis sera disponible en vidéo à la demande et sous forme de compte rendu. Depuis ce matin, nous consacrons un cycle d'auditions à la question des discriminations et à la promotion de la diversité. Dans le cadre de cette mission, nous avons reçu de nombreux interlocuteurs. L'éducation est au centre de nos problématiques. Nous avons ainsi reçu des professeurs, notamment d'histoire-géographie, puisqu'ils jouent un rôle premier dans la lutte contre le racisme en replaçant les choses dans leur dimension historique.

Dans leur mission républicaine, les professeurs font face à des difficultés de plus en plus fortes, voire à de l'hostilité, lorsque sont enseignés des fondamentaux de la science ou de notre histoire. Nous avons reçu le ministre de l'éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, qui a souligné le rôle prépondérant de l'école de la République et le fait qu'elle était une colonne vertébrale de nos valeurs. Nous avons reçu le directeur de l'Institut national supérieur du professorat et de l'éducation (INSPÉ) de Paris et la direction des études et de la prospective du ministère de l'éducation nationale.

Le travail de fond sur les questions éducatives se poursuit, et nous avons maintenant l'honneur de recevoir des représentantes de grandes écoles : Mme Bénédicte Durand, directrice de la formation initiale de Sciences Po, Mme Amy Greene, référente égalité femmes-hommes et lutte contre les discriminations à Sciences Po, et Mme Marie Morellet, cheffe de projet au centre Égalité des chances de l'École supérieure des sciences économiques et commerciales (ESSEC), membre du groupe ouverture sociale de la Conférence des grandes écoles.

Cette audition porte sur l'accès aux grandes écoles qui forment l'« élite » de la République. Nous pourrons d'ailleurs discuter ce terme, qui permet ou non à la méritocratie républicaine de produire son plein effet et de tenir sa promesse. Nous nous intéressons à la question du racisme dans sa dimension conceptuelle mais aussi dans ses conséquences concrètes, notamment les discriminations. Ce que nous allons donc chercher à savoir, c'est si ces écoles ne demeurent pas inaccessibles aux élèves les plus brillants des quartiers difficiles notamment, et obèrent ainsi la réalisation de la promesse d'égalité.

Il s'agit de voir si ces écoles peuvent concilier l'excellence de la sélection nécessaire au parcours d'une grande école et la juste reconnaissance des inégalités de destin ou des difficultés qui sont parfois difficilement surmontables pour certaines élèves, mais qui peuvent – nous l'espérons – se rattraper dans un parcours méritocratique. Des questionnements de fond se poseront alors sur les pratiques universitaires et les nouveaux segments de recherche, puisque notre mission d'information s'intéresse aux nouvelles formes de racisme. Certaines persistent, d'autres apparaissent.

Un débat fait aujourd'hui rage sur les questions d'indigénisme et de racialisme dans les milieux universitaires. Il serait intéressant de s'interroger sur l'émergence de ce genre de débat et la mise en tension du concept d'universalisme républicain, qui nous est cher et qui est aussi un credo dans la conduite des travaux de cette mission. Nous sommes prêts à discuter de ces questions, pour mieux comprendre pourquoi ces nouvelles formes de discussion émergent.

Je laisse la parole à Mme la rapporteure Caroline Abadie. Puis je vous laisserai la parole pour des propos liminaires.

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Depuis plusieurs semaines, nous entrons dans des aspects très pragmatiques. Entre l'éducation et l'emploi se situent vos écoles, la formation, les concours, l'orientation et tous ces moments clés de la vie d'un jeune qui déterminent énormément son parcours ultérieur. Des « expérimentations » ont été menées voilà quelques années, comme cette « discrimination positive » mise en place à Sciences Po. Certains de nos collègues en ont bénéficié, nous disposons donc de bons avocats de ce dispositif…

Cependant, nous avons aussi entendu parler d'effets contre-productifs, même s'ils sont probablement à la marge et même si je pense qu'il est toujours très difficile d'intégrer vos écoles, que ce soit par ce qu'on appelle la « grande porte » ou par une autre porte. Ces expériences nous intéressent. Une fois que toutes ces personnes ont intégré vos écoles, l'étape d'après se passe-t-elle bien ? Ce n'est pas forcément acquis.

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Bénédicte Durand, directrice de la formation initiale à Sciences Po Paris

Nous sommes ravies, Amy Greene et moi-même, de venir vous parler d'un sujet qui est au cœur de la politique de l'établissement depuis vingt ans. Je vais vous dresser le portrait le plus fidèle possible de ce que j'ai appelé la « construction de la diversité » à Sciences Po. Il est déjà certain que, sans une politique de diversité volontariste à Sciences Po, notre université serait très endogame sur les plans social et scolaire, ce pour deux raisons.

Premièrement, c'est une université sélective avec un très haut niveau d'exigence à son entrée. Étant donné la structuration sociale et scolaire du système éducatif français, plus les établissements sont sélectifs, plus la fermeture de ces établissements aux classes populaires est forte. Deuxièmement, c'est un établissement qui exige des droits d'inscription. Ils sont progressifs, et l'on ne comprend la politique d'ouverture sociale de Sciences Po que si l'on se rappelle ce point précis. Ils permettent d'exonérer l'ensemble de nos étudiants boursiers – en leur apportant par ailleurs un complément de bourse –, mais l'image d'un établissement payant demeure, ce qui a tendance à engendrer des dynamiques d'autocensure des familles des classes populaires et moyennes françaises.

Pour ces deux raisons, nous avons besoin d'une politique extrêmement volontariste en matière de recrutement d'étudiants.

Par ailleurs, voilà vingt ans nous avons fait le choix d'un dispositif de discrimination positive, d' affirmative action si l'on ne souhaite pas utiliser le mot « discrimination ». Nous le faisons grâce à une disposition législative de 2001, qui nous permet d'avoir un concours réservé pour une partie de nos admis, et par ailleurs nous nous engageons à un quota de places. Nous en décidons le nombre. Depuis vingt ans, il est d'environ 20 % des places disponibles à l'entrée à Sciences Po. C'est ce dispositif dérogatoire qui nous permet de poursuivre une expérimentation qui dure. Cette dérogation nous permet d'accueillir des étudiants issus de lycées conventionnés avec Sciences Po sur des critères exclusivement sociaux. Aucun critère de type ethno-racial ne préside à notre politique de recrutement. La question de la diversité des minorités visibles est d'une certaine façon contenue par la politique d'ouverture sociale. Notre réseau de lycées conventionnés – qui s'est du reste largement fondé dans les quartiers périphériques des grandes métropoles – démontre que la diversité culturelle est entrée à Sciences Po.

Je vais développer cette introduction sous la forme de trois points : les conventions d'éducation prioritaire ; la façon dont nous sommes en train de réinventer ces conventions d'éducation prioritaire, puisqu'elles ont leurs limites et présentent un certain nombre de problèmes ; enfin, les enjeux d'une politique volontariste en matière de lutte contre les discriminations au sein de notre université.

Les conventions d'éducation prioritaire nous lient à des lycées des quartiers populaires. Elles ont vingt ans. Nous pouvons donc en dresser un bilan. Sept lycées étaient en convention avec nous en 2001 et ils sont aujourd'hui 106 sur l'ensemble du territoire national ; 13 000 lycéens ont préparé le concours d'entrée à Sciences Po dans le cadre d'ateliers spécifiques qui sont développés dans ces lycées conventionnés et 2 262 lycéens ont été admis. Ces 2 262 étudiants ont reçu un accompagnement spécifique d'accueil au sein de l'institution, puisque du tutorat leur est systématiquement proposé pour leur premier cycle universitaire, et ensuite ils sont accompagnés par un mentorat d'entreprise. L'ensemble du dispositif est fortement soutenu par le réseau de partenaires dont dispose Sciences Po, notamment des partenaires privés, des entreprises très attachées à ce dispositif et qui nous aident à travailler sur ces populations d'étudiants qui manifestent dès leur entrée dans notre institution une formidable volonté de réussir et souvent un esprit de conquête face à des adversités dans leur scolarité, mais aussi face à des problématiques de niveau académique ou encore au regard de leurs camarades et de l'intégration. Ces problématiques nécessitent que nous les aidions à lever les barrières qui peuvent se dresser devant eux lorsqu'ils intègrent notre institution.

1 137 étudiants ont été diplômés par cette voie dite « convention d'éducation prioritaire » (CEP). Le dispositif a été banalisé. Il n'y a plus aujourd'hui de débat à Sciences Po sur ce sujet, alors qu'il y en a eu beaucoup à la naissance du dispositif. Les débats autour de la discrimination positive étaient très aigus. Les attaques étaient parfois très dures contre Sciences Po. Nous n'avons plus ces problèmes même si nous assumons que ces étudiants ont besoin d'un soutien particulier, que nous leur apportons. Et les résultats sont bons. 84 % d'entre eux s'insèrent en moins de trois mois à la sortie d'établissement. C'est du reste le taux d'insertion moyen des étudiants de Sciences Po, et ce, au même niveau de rémunération.

Il faut noter que ce sont des diplômés qui semblent manifester moins d'attrait pour la fonction publique que leurs camarades. C'est un sujet que nous tentons de saisir. Nous formulons l'hypothèse que ce sont souvent des étudiants qui ont besoin de conquérir leur autonomie rapidement après cinq années d'études, durant lesquelles, lorsqu'ils sont boursiers, ils sont soutenus par la bourse du centre régional des œuvres universitaires et scolaires (CROUS) et par une bourse qui valorise cette bourse à 75 %. Autrement dit, pour 1 euro du CROUS versé, un étudiant boursier à Sciences Po reçoit 75 centimes d'euro, qu'il soit issu de la voie CEP ou non. Tous les boursiers de Sciences Po n'arrivent pas par la voie CEP. Sciences Po compte environ 25 % de boursiers de l'enseignement supérieur, et la voie CEP pourvoit à ce recrutement de boursiers à hauteur d'un peu moins de 10 % de la cohorte. Seuls 60 % des étudiants de la voie CEP sont des boursiers de l'enseignement supérieur.

Le fait que le taux de boursiers dans la voie CEP n'a cessé de s'affaisser – doucement mais de façon régulière, en particulier ces cinq dernières années – est une des limites de ce dispositif. Cela nous inquiétait quant à l'efficacité sociale et à la diversité de cette voie CEP, mais aussi en matière d'équité par rapport à leurs camarades qui sont recrutés en dehors de cette voie et qui ne bénéficiaient pas d'un concours réservé ni des places garanties au conventionnement. Cette première limite s'explique assez facilement par le caractère figé de la carte de ces lycées, qui n'a pas évolué en vingt ans. Sciences Po a ainsi conventionné avec de plus en plus de lycées mais n'a pas rompu de convention avec des lycées qui ne présentaient plus suffisamment d'étudiants des milieux les plus modestes, du fait de la modification de la carte sociale et territoriale.

Nous avons ainsi aujourd'hui quelques lycées qui ne sont plus des lycées cibles en matière d'égalité des chances, et nous avons par ailleurs des familles qui ont scolarisé leurs enfants dans ces lycées – dans une dynamique de contournement – pour bénéficier du dispositif CEP. Je pense qu'il faut considérer cette stratégie familiale de contournement avec beaucoup de modération parce qu'il ne s'agit pas de tricheurs. Ce sont seulement les intérêts croisés, d'une part de familles qui se trouvent dans des quartiers mixtes et qui valorisent la scolarisation possible dans un établissement partenaire de Sciences Po comme un élément de chance supplémentaire pour leurs enfants et, d'autre part, de lycées qui sont très attachés au maintien de ces familles des classes moyennes, voire supérieures, pour construire de la mixité au sein de leurs établissements. C'est donc un sujet extrêmement délicat qu'il ne faut pas caricaturer. Mais Sciences Po voyait, pour sa part, s'abaisser l'efficacité du dispositif en matière sociale.

Une autre limite concerne la communauté des étudiants CEP. Il existe des problématiques d'intégration, essentiellement dans le rapport des étudiants eux-mêmes face au concours. Nous nous sommes rendu compte que ces étudiants gardaient le sentiment qu'ils n'avaient pas tout à fait passé les mêmes épreuves que leurs camarades. Parfois nous observions des problématiques de confiance en soi. Par ailleurs, notre campus parisien se trouve au cœur du VIIe arrondissement, et l'on peut imaginer les difficultés très particulières de ces étudiants à trouver des repères, des pratiques sociales et des liens de sociabilité qui leur soient familiers. Il en résulte de grandes difficultés d'adaptation.

Les campus en région, au nombre de six, ont pour leur part une culture internationale.

Voilà trois ou quatre ans, nous avons ainsi décidé de travailler à la refonte de ce dispositif CEP. Pour ce faire, nous avons choisi de nous appuyer sur une réforme des admissions, que nous mettons en place à l'occasion de la réforme du baccalauréat. Nous avons pensé que c'était le bon moment pour réviser notre procédure d'admission. Il est important de comprendre que la rénovation du dispositif CEP s'inscrit dans cette réforme générale des admissions générale de Sciences Po, prévue pour 2021, avec une ambition très claire de démocratisation, au-delà de la voie CEP. Nous allons articuler l'établissement à Parcoursup. Ce n'était pas fait mais cela va permettre, par un dispositif simple, lisible et fréquenté par toutes les familles de France, de se porter candidat à Sciences Po de façon beaucoup plus simple qu'auparavant. Nous allons nous passer de l'épreuve écrite de l'examen d'entrée à Sciences Po. Des éléments nous permettaient de penser qu'il ne nous apportait rien par rapport au contrôle des connaissances des étudiants, puisque les lauréats les plus brillants étaient des lycéens extrêmement brillants dans leur parcours scolaire. Par ailleurs, le concours provoquait toute une économie de la préparation, avec des classes de préparation privées qui étaient des écuries de préparation au concours de Sciences Po, bénéficiaient aux familles les plus aisées et interdisaient à toute famille qui n'avait pas les moyens de se payer ces préparations d'envisager de poser une candidature sérieuse dans notre établissement.

Nous nous adressons donc aux familles de France en disant : « Nous exigeons un très haut niveau scolaire. Nous allons le vérifier par vos performances au baccalauréat, un dossier d'examen sur vos années de lycée et une épreuve orale pour tous, quelle que soit la voie d'admission. » Nous rompons ainsi avec la différence du format d'épreuve entre la voie générale et la voie CEP, ce qui nous permet de résoudre cette question qui était parfois difficile à vivre pour nos étudiants CEP qui avaient le sentiment qu'ils n'avaient pas passé « le concours ». Que ce soit la procédure nationale classique sur Parcoursup, la procédure pour le jeune Singapourien ou la procédure pour le jeune élève d'Évry, il s'agira d'un dossier, d'un parcours scolaire, de résultats au baccalauréat et d'une épreuve orale.

Nous renouvelons notre dynamique de convention d'éducation prioritaire, parce que nous pensons que tout ceci ne suffira pas à laisser Sciences Po le plus ouvert possible au mérite scolaire des élèves, quel que soit leur milieu social.

Quatre points vont nous permettre de refondre ce dispositif : nous allons passer de 100 à 200 lycées conventionnés, de 10 % à 15 % des places réservées et nous allons nous assurer que ces 15 % de places réservées sont bien composées de boursiers. Vous pourrez ainsi être dans un lycée CEP si vous n'êtes pas boursier, mais vous ne viendrez pas émerger dans le quota de places des boursiers. Il s'agit que le quota de places des boursiers soit réservé à des élèves qui sont en situation socio-scolaire qui mobilise par ailleurs l'ensemble des moyens de l'éducation nationale autour des très nombreux dispositifs d'égalité des chances. Sciences Po va d'ailleurs s'articuler avec le dispositif des cordées de la réussite. Enfin, nous profiterons de cette nouvelle dynamique pour nous installer dans un paysage de réseau de partenaires, tels que des établissements d'enseignement supérieur avec lesquels nous pouvons co-intervenir dans la préparation des élèves à l'enseignement supérieur.

Dans ces nouvelles conventions, nous allons revoir la question de la préparation. Comme il n'y a plus d'épreuve spécifique à Sciences Po et que notre attente est que tous les profils, tous les talents, toutes les combinaisons de spécialités du nouveau bac puissent venir à Sciences Po, nous allons travailler avec les lycées sur une préparation qui sera davantage une préparation à l'enseignement supérieur qu'une épreuve particulière. Cela permettra du reste de mutualiser les énergies et, si ces élèves ne réussissent pas à Sciences Po, ils pourront réussir grâce à ce partenariat dans d'autres types d'établissements – puisque nous restons et resterons très sélectifs.

Au-delà de cette rénovation du dispositif CEP, la diversité s'incarnera dans d'autres programmes, notamment des programmes internationaux. Un programme Mastercard mené avec la Fondation Mastercard excite pour l'accueil d'étudiants d'Afrique sahélienne. Ainsi, 60 lycéens africains seront accueillis grâce à ce dispositif de bourse qui les accompagnera pendant cinq ans. Un programme dédié aux réfugiés nous permet, depuis trois ans, d'accueillir des promotions de 20 étudiants auxquels nous proposons un certificat en deux ans, dans une dynamique de rebond et de reprise des études. Nous disposons d'un programme de dialogue interreligieux qui s'appelle Emouna. Il concerne plutôt la formation continue et a été fondé après les attentats de 2005, à la demande d'un certain nombre d'autorités religieuses. Nous proposons ainsi à une vingtaine de ministres du culte de huit religions différentes une formation de 150 heures.

Notre corps étudiant est très divers. Près de la moitié des étudiants à Sciences Po ont une autre nationalité que la nationalité française. C'est un des points qui nous permettent d'espérer une meilleure intégration des lycéens des quartiers, des lycéens qui n'ont pas toujours les codes langagiers et sociaux conformes au modèle de l'excellence française, en leur proposant une affectation dans les campus où beaucoup de leurs camarades internationaux se retrouvent dans la même situation, parce qu'ils ont une couleur de peau ou une langue maternelle différente par exemple. Nous nous apercevons qu'avec une affectation de plus en plus grande des étudiants de CEP sur notre campus de Reims, où nous avons un programme Europe-Amérique et un programme eurafricain, que cette mixité nationale dans la mixité internationale est un très grand ferment d'intégration. Cela nous intéresse beaucoup de travailler sur la question de la mixité au contact de l'international.

En matière de lutte contre les discriminations, nous avons un réseau associatif d'étudiants extrêmement dynamique, qui travaillent sur tous les sujets de la vie sociale et de l'engagement et de lutte contre les discriminations. Nous nous appuyons sur eux pour travailler à de la prévention et à de l'action. Nous sommes à l'aube du déploiement d'un grand plan de lutte contre les discriminations, puisque les étudiants de Sciences Po sont toujours à la pointe du débat, y compris dans sa radicalité.

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Marie Morellet, cheffe de projet au centre « égalité des chances » de l'École supérieure des sciences économiques et commerciales (ESSEC), membre du groupe « ouverture sociale » de la Conférence des grandes écoles

Je voudrais tout d'abord excuser Mme Dardelet, directrice du centre égalité des chances de l'ESSEC, qui devait intervenir aujourd'hui et qui a été retenue. Je la représente et l'ensemble de mes propos vont être formulés au nom de la Conférence des grandes écoles, avec une illustration par les actions menées par l'ESSEC sur ces sujets d'égalité des chances, ainsi qu'au nom du groupe ouverture sociale de la Conférence des grandes écoles, que l'ESSEC anime depuis 2005.

Tout comme l'ESSEC, la Conférence des grandes écoles est une structure associative. Elle rassemble 227 grandes écoles, avec une très grande diversité d'établissements : écoles d'ingénieurs, écoles de management, écoles d'architecture, écoles formant aux métiers du design ou aux métiers artistiques, instituts d'études politiques. Les réalités sont extrêmement différentes d'un établissement à l'autre. En fonction de la sélectivité mais aussi de la situation de l'école, les choses sont très variées en matière de diversité, d'accès et de réalités sociales. Je vais illustrer mon propos avec un de ces établissements, l'ESSEC, qui fait plutôt partie des établissements sélectifs, et ce ne sera donc pas nécessairement représentatif de ce qui peut se passer dans l'ensemble des écoles.

Le groupe ouverture sociale est un des groupes de la commission diversité de la Conférence des grandes écoles. Il a été créé en 2005 et s'est d'abord concentré sur une fonction de fédération et d'échange de pratiques entre l'ensemble des écoles qui, dès le début des années 2000 – juste après la mise en place des conventions d'éducation prioritaire à Sciences Po –, se sont interrogées sur cette question de l'égalité des chances. La réflexion a d'abord concerné la préparation globale à l'accès à l'enseignement supérieur, dans une logique de massification et d'ouverture de l'enseignement supérieur à des profils issus de classes populaires, des quartiers prioritaires de la politique de la ville, avec un croisement des questions économiques et sociales mais aussi de la diversité des origines.

Initialement ce groupe ouverture sociale avait pour objectif de faire en sorte que le programme de tutorat – notamment « Une grande école : pourquoi pas moi ? », créé à l'ESSEC en 2002 – se développe. C'est un peu l'ancêtre de ce qui est devenu la politique publique des cordées de la réussite. C'est ce groupe, en lien avec les pouvoirs publics, des structures associatives, des universités et des grandes écoles, qui a permis de faire de ce modèle un des modèles d'engagement des grandes écoles sur ces sujets d'égalité des chances.

Je vais développer quatre sujets : l'amont, la sélection à l'entrée, l'accompagnement des étudiants et la question plus large de l'inclusion et de la transition sociale. Autrement dit comment fait-on de ces écoles des lieux de formation de futurs citoyens qui ont une relation apaisée à la diversité et à la différence et qui, notamment dans le cadre de leurs fonctions professionnelles mais aussi en tant que citoyens, seront ouverts sur ces sujets de diversité ?

En ce qui concerne le tutorat étudiant, les premières réflexions sur cette initiative ont été menées à l'ESSEC dans le cadre des travaux de la chaire sur l'entrepreneuriat social, en 2001 et 2002. En 2003, le dispositif des cordées de la réussite a vu le jour, en partageant le même constat que Sciences Po, mais à une échelle un peu plus large, soit celle de l'enseignement supérieur, en se disant qu'un enfant d'ouvrier a sept fois moins de chances d'accéder aux études supérieures qu'un enfant de cadre. Nous nous sommes concentrés sur des jeunes boursiers. Mais, très rapidement, la question de la politique de la ville est apparue, du fait des différents soutiens – notamment de l'Agence nationale pour la cohésion des territoires (ANCT) – à ces cordées de la réussite et aux dispositifs du même type. Avec la question de la politique de la ville est venue la question de la diversité des origines. Un dispositif de tutorat étudiant s'est mis en place, avec un double objectif. En premier lieu, il faut accompagner ces élèves vers l'acquisition de compétences transversales – sociales et culturelles – en complément des compétences scolaires indispensables, mais non suffisantes, pour la réussite dans l'enseignement supérieur. C'est tout ce qui se joue dans le cadre familial et dans un cadre informel en dehors du cadre scolaire et qui vient en complément du socle scolaire qui fait défaut à un certain nombre de jeunes, notamment pour naviguer dans un monde de l'orientation scolaire et de l'enseignement supérieur très codé, avec beaucoup d'implicite. Des stratégies scolaires peuvent se mettre en place. Sans cela, on se retrouve dans une situation d'exclusion et face à un sentiment de discrimination extrêmement fort. En second lieu, il s'agit de créer du lien social et de la cohésion sociale, par le décloisonnement et la rencontre, entre ces élèves et les étudiants de l'ESSEC.

L'objectif était d'accompagner ces jeunes, mais aussi de faire de cette expérience un levier important de formation et de lien social entre des mondes qui se côtoient peu au quotidien. L'objectif d'« Une grande école : pourquoi pas moi ? » est d'accompagner des collégiens et des lycéens à bon potentiel scolaire de milieux populaires pour travailler sur la connaissance de soi, l'ouverture du champ des possibles, la capacité à effectuer des choix, l'anticipation des attendus – c'est parce que l'on sait ce qui se passe à l'étape suivante qu'on est capable de s'y préparer – et la question de la préparation, notamment pour monter un dossier.

Ce fonctionnement par tutorat, qui a démarré à l'ESSEC en 2002 avec 25 jeunes, est aujourd'hui repris dans une centaine de grandes écoles. Les cordées de la réussite concernent 100 000 jeunes, avec une accélération importante depuis la circulaire du mois d'août, à la demande du Président de la République pour doubler le nombre des bénéficiaires. L'objectif est la massification de l'accès à l'enseignement supérieur (à des études longues ou courtes), en faisant en sorte que les choix soient opérés à la lumière d'un potentiel et d'un projet, au-delà d'une contrainte ou d'une représentation sociale.

Pour piloter ce tutorat étudiant et cette massification de l'accès à l'enseignement supérieur, le groupe ouverture sociale de la Conférence des grandes écoles se retrouve tous les deux mois. Il compte 300 membres, 200 institutions, essentiellement des écoles et des universités, mais aussi des structures associatives, les pouvoirs publics et de plus en plus des délégués du préfet, les rectorats. C'est un lieu extrêmement précieux d'échange et de discussion entre le terrain et les partenaires institutionnels.

Parallèlement à cette question de la massification, et globalement de la démocratisation de l'accès à l'enseignement supérieur, le sujet de l'ouverture sociale des grandes écoles à des réalités très différentes s'est présenté. Si nous nous concentrons sur les écoles les plus sélectives qui préparent la future « élite » économique, intellectuelle et sociale de ce pays, le sujet s'est présenté de manière un peu différente de ce qui a été proposé à Sciences Po. Un certain nombre d'établissements ont en effet décidé de créer des voies spécifiques pour favoriser l'accès d'un public particulier à ces établissements. L'option qui a été choisie par la majorité des établissements, c'est l'accompagnement en amont d'un certain nombre de jeunes par l'aide à la préparation : aller chercher ces jeunes, légitimer leur choix de se projeter dans un établissement de type grande école, accompagner la préparation, expliciter les attendus, etc.

Il s'agit de dispositifs qui préparent en amont, en fonction du type d'établissement du supérieur. Les instituts d'études politiques (IEP) de province ont mis en place un programme qui s'appelle « programme d'études intégrées » (PEI), dans lequel ils accompagnent les lycéens en classe, dans leur lycée d'origine, pour les préparer au concours, qui est unique et commun à tout le monde. Pour ce qui est de l'ESSEC, il s'agit d'une préparation aux admissions sur titre, pour des étudiants boursiers à l'université et qui souhaitent entrer à l'ESSEC par les voies d'admission parallèles. Les initiatives sont donc variées et chaque école dispose d'une liberté d'action.

Les voies d'accès sont aujourd'hui très nombreuses. Il existe sept voies d'accès différentes à l'ESSEC : post-bac, après un brevet de technicien supérieur (BTS), après une licence, etc. Il s'agit donc aussi de valoriser des parcours à différents moments de maturité, en proposant des voies d'accès variées. L'on croit souvent que les grandes écoles recrutent après une classe prépa. Or, dans les grandes écoles, plus de la moitié des étudiants ne viennent pas de la voie classe préparatoire. Le comité stratégique sur la diversité sociale dans l'enseignement supérieur, présidé par M. Martin Hirsch, mène en ce moment des travaux sur ces questions de diversité et d'ouverture sociale des grandes écoles. La ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation, Frédérique Vidal, a entendu les conclusions de ce rapport. Pour approfondir la question de l'accès et des concours, des réflexions sont en cours dans chacune des écoles.

Elles portent sur les points de bonification, comme cela est proposé pour les écoles d'ingénieurs quand on arrive comme candidat au concours après deux ans de classe préparatoire et non trois et sur les questions de double barre d'admissibilité.

Ces questions sont traitées dans les écoles et c'est cette voie qui risque de se développer de façon importante dans les prochains mois dans un certain nombre d'établissements, y compris les plus sélectifs.

La question de l'accompagnement des étudiants est extrêmement importante. Une fois qu'ils sont entrés dans les écoles, la question du financement des études se pose à des niveaux très différents selon le type d'établissement, les frais de scolarité mais aussi la possibilité ou non de suivre son cursus en apprentissage. C'est un outil très précieux d'ouverture sociale pour un établissement d'enseignement du supérieur que le cursus en alternance. Il existe à l'ESSEC, de sorte que les étudiants peuvent suivre leur cursus sans que cela leur coûte un centime. Mais ce n'est pas le cas dans toutes les écoles et nous voyons à l'ESSEC que la voie en alternance est davantage choisie par les étudiants boursiers pour poursuivre leur cursus.

L'accompagnement peut prendre la forme du mentorat pendant les études. Les étudiants vont se trouver en recherche de stage ou d'alternance. Cette recherche prend une tournure assez différente de celle d'étudiants qui ont le réseau adapté et qui sont capables d'aller chercher les expériences professionnelles valorisantes avec un vrai recul sur le projet professionnel. La question de l'accompagnement de ces élèves une fois qu'ils sont entrés dans les écoles se pose donc, y compris pour garantir une valorisation du diplôme à la hauteur de ce à quoi ils peuvent prétendre. La question des « jobs » étudiants se révèle ainsi très intéressante. Les besoins financiers peuvent se révéler tels qu'avoir un « job » étudiant à la place d'un stage, notamment en début de cursus, est parfois envisagé. Il est important de maintenir l'accompagnement une fois que les étudiants sont entrés, pour que la scolarité se passe dans les meilleures conditions.

Par ailleurs, l'adaptation constitue une véritable question, en particulier dans un univers fortement codifié, avec une surreprésentation de certains groupes sociaux, ainsi que des discussions et des pratiques qui sont codées. À l'ESSEC, en 2005, le taux de boursiers était de 5 %. Nous en sommes à 22 %, et l'engagement est d'atteindre 27 % sur les trois prochaines années. La question se pose donc différemment maintenant, mais elle se pose. Nous parlions de la vie associative comme d'un outil très riche et puissant pour travailler sur cette question de la lutte contre les discriminations, d'engagement des étudiants, mais la vie associative étudiante est aussi un monde très codé. Une vraie réflexion est à mener sur ce point. Comment adaptons-nous nos écoles à cet accueil ? Décidons-nous de faire entrer cette diversité et cette richesse dans un moule extrêmement rigide, ou essayons-nous de faire évoluer le moule pour que tout le monde y trouve sa place ? C'est un des enjeux.

J'en arrive aux sujets d'inclusion et de transition sociale. Nous travaillons avec les étudiants sur la façon dont nous accueillons et sur la façon dont le vivre-ensemble est au cœur de la formation, tant de la formation académique que de l'ensemble des expériences vécues pendant la scolarité. La pédagogie « tête-cœur-corps » est à l'œuvre à l'ESSEC sur ces sujets. Pour comprendre un sujet, il faut disposer d'une base théorique, et donc enrichir la partie académique d'un certain nombre de concepts et d'une compréhension profonde des sujets, mais il faut aussi la vivre. Pour cela, il existe l'expérimentation de terrain.

L'étudiant peut ainsi être tuteur ou encore effectuer des stages ouvriers, qui le mettent dans des situations où il vit les choses. Ce qui a été vécu est ensuite analysé. L'étudiant de l'ESSEC peut aussi par exemple passer trois semaines dans un collège d'éducation prioritaire ou dans une communauté Emmaüs. Il s'agit ici de vivre cette expérience de la diversité et de la différence, et surtout d'analyser des émotions.

Toujours selon cette approche, nous réfléchissons, à l'ESSEC, à la proposition d'un serious game à l'ensemble des étudiants, en vue d'une analyse de la question des biais cognitifs, des préjugés et des mécanismes de discrimination qui, de manière inconsciente, peuvent se mettre en œuvre à tout moment et dans toute situation. Ce serious game s'appuiera sur la partie cœur de cette pédagogie tête-cœur-corps, en faisant vivre des situations qui peuvent mettre dans un état émotionnel propre à comprendre certaines choses.

Le corps de « tête-cœur-corps », c'est la mise en action, et tout ce qui est proposé aux étudiants, notamment le cadre qui permet une mise en place concrète de ces actions. Il s'agit de reconnaître l'expérience des étudiants et leur engagement.

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Je vous remercie, mesdames, pour vos propos, qui ont été assez complets sur les volets scolarité et les spécificités de vos écoles, ainsi que celles qui sont transversales aux grandes écoles. J'ai envie de vous interroger sur l'avant et sur l'après. Les dispositifs correctifs que vous mettez en place à l'échelle des grandes écoles, avec toute l'inventivité dont ils font preuve, que disent-ils de l'école de la République avant l'enseignement supérieur, et dès le plus jeune âge ? Les inégalités de destin se nouent en effet sur le territoire dans des écoles ou des collèges où l'on n'a pas forcément le même degré d'information, de formation, d'accès aux ambitions et où l'autocensure est assez forte.

Des dispositifs ont commencé à être mis en place dès le plus jeune âge, avec le dédoublement des classes au cours préparatoire (CP) par exemple. Ce genre d'orientation est-il de nature à commencer la correction de ce que vous essayez in fine de rattraper, en tentant d'accélérer les ambitions, la formation et la carrière de jeunes qui n'ont pas eu toutes ces chances initialement ? Il s'agit là plutôt d'une interrogation sur notre système scolaire et sur ce que la recherche dans l'amélioration de la scolarité dans les grandes écoles peut apporter à l'école de la République et à la construction d'un système éducatif plus juste, avec un accomplissement de la promesse républicaine dès le début de la scolarité.

Ensuite, lorsque les diplômés sont entrés dans la vie active, le diplôme d'une grande école constitue-t-il un passeport qui finit par annihiler toute discrimination à l'embauche, à la progression dans l'entreprise, toute différence salariale ? Ou avez-vous encore des retours relatifs à d'éventuels préjugés ou discriminations persistants ? À Sciences Po, celles-ci pourraient être liées au fait que la discrimination positive, bien que connue et aujourd'hui reconnue, a souffert de beaucoup de préjugés lors de sa mise en place.

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Je voudrais revenir sur la question des classes préparatoires intégrées. Il s'agit en quelque sorte de savoir : « Où vais-je placer mon stand ? Dans quels forums et dans quelles villes dois-je assurer la promotion de mon école, en vue de m'assurer un flux divers de candidats ? » Vous avez varié les modes d'admission, permettant à un échantillon plus représentatif que par le passé d'accéder à vos écoles. Le choix des classes préparatoires intégrées permet peut-être d'aplanir sur les deux années précédentes différentes difficultés. Je pense en particulier à la culture générale, qui est souvent l'épreuve la plus redoutée.

Grâce à ces politiques menées depuis près de vingt ans, vous avez maintenant beaucoup d'étudiants qui ont bénéficié de vos enseignements. Ces étudiants ont désormais un rôle de modèle, et pourraient être des locomotives et montrer la voie, montrer que c'est possible, ce qui me semble très important pour lutter contre l'autocensure. Les anciens ont-ils une appétence pour transmettre et aider ? Arrivez-vous à utiliser cette énergie, si elle existe ?

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Marie Morellet, cheffe de projet au centre « égalité des chances » de l'École supérieure des sciences économiques et commerciales (ESSEC), membre du groupe « ouverture sociale » de la Conférence des grandes écoles

Pour ce qui est de l'amont, nous savons que les prescripteurs d'un jeune pour ses choix d'orientation sont variables en fonction de son milieu d'origine. Dans les milieux favorisés, les prescripteurs sont la famille ; dans les milieux populaires, les prescripteurs sont les enseignants. La question de l'orientation constitue donc un sujet crucial, de même que la formation par rapport au sentiment de légitimité et aussi à l'accompagnement des enseignants. À l'ESSEC nous avons un dispositif qui s'appelle « Trouve ta voie », qui accompagne et outille les professeurs sur les questions d'orientation. Les enseignants ont d'ailleurs de plus en plus de missions relatives à ces questions d'orientation : le parcours Avenir, les heures d'accompagnement personnalisé, etc. Le système évolue globalement en ce sens.

Les enseignants se sentent néanmoins extrêmement démunis par rapport à cette connaissance et à cette posture d'accompagnement à l'orientation, puisque la question de l'orientation se joue aujourd'hui au travers de la connaissance des filières et des métiers. Mais personne ne connaît les 13 000 filières de l'enseignement supérieur ni la moitié des métiers, qui auront disparu dans trente ans ou qui ne sont pas encore connus… La question de la légitimité des enseignants à accompagner leurs élèves dans les choix d'orientation, notamment au travers des compétences transversales, est donc essentielle.

Il s'agit d'un changement de posture de l'enseignant vers l'accompagnement, centré sur la question de l'orientation, en travaillant avec les élèves sur la connaissance de soi et la connaissance du champ des possibles. Quand nous formons les professeurs sur les questions d'orientation, il y a un moment déclic où ils se disent : « En fait je suis légitime pour accompagner ces jeunes, même si je ne suis pas un expert des questions d'orientation et de l'ensemble des filières et des débouchés possibles après un parcours dans le secondaire. »

À l'échelle de la Conférence des grandes écoles, un des travaux prioritaires du groupe ouverture sociale est de travailler sur ce sujet des rôles modèles. Il s'agit de travailler à la valorisation de l'ensemble des jeunes qui sont passés par les Cordées de la réussite – ils commencent à être nombreux. J'ai animé pendant longtemps le réseau des anciens des cordées de la réussite, dont une partie est passée par l'ESSEC. La richesse des parcours est incroyable, nous sommes très fiers de ce qu'ils sont devenus. Le meilleur moyen de maintenir le lien avec eux est de leur demander de venir témoigner. Ils n'attendent que cela : retourner dans leur collège, retourner dans leur lycée, revoir les enseignants, accompagner un petit groupe. Cela correspond totalement à ce qu'ils ont envie de faire et ils se sentent très légitimes et valorisés dans ce rôle modèle. Il reste donc à mettre en place l'organisation afférente, à des échelles qui restent à définir. Le potentiel de témoins est en tout cas extrêmement riche et puissant, et actuellement sous-utilisé.

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Bénédicte Durand, directrice de la formation initiale à Sciences Po Paris

Nous observons une belle dynamique des grandes écoles sur ces questions d'ouverture sociale, mais je vais essayer d'être un peu moins consensuelle. Monsieur le président, vous avez évoqué la question de l'état de l'école en France. Très clairement, quand des étudiants arrivent à Sciences Po en n'ayant pas eu de professeur d'anglais ou de mathématiques pendant des années ou simplement parce qu'ils sont issus de certains départements d'Île-de-France et que cela affecte durablement et parfois irrémédiablement leur bagage scolaire et culturel, nous n'assumons pas notre responsabilité collective d'un service équitable d'éducation nationale. Un certain nombre d'établissements d'enseignement supérieur mettent en place des dispositifs de rattrapage. Les collectivités nous accompagnent parfois sur ce plan.

À Sciences Po, nous avons monté un gros dispositif qui s'appelle « premier campus », avec la région Île-de-France. Il ne s'agit pas seulement de parrainage, d'accompagnement ou d'orientation – des choses utiles mais insuffisantes pour faire maîtriser aux lycéens les compétences nécessaires à leur réussite dans l'enseignement supérieur. Le dispositif « premier campus » consiste à accompagner des étudiants pendant trois ans dans des stages complémentaires, des stages d'été. Il s'agit de les accompagner dans leur projet mais aussi dans leurs compétences, dans leur rapport au travail, leurs capacités d'autonomie dans le travail, leurs capacités langagières, en français, ou en langues étrangères, etc. Ce sont autant de compétences qui font la différence en vue de la réussite dans une école comme Sciences Po.

En ce qui concerne la discrimination à l'embauche, nous n'avons pas de problématique CEP à Sciences Po, mais nous avons une problématique pour les personnes issues de milieux modestes sortant de l'école et pour les femmes. Nous savons que les niveaux de rémunération sont moins importants à l'entrée pour les jeunes femmes diplômées et pour les jeunes diplômés issus de milieux modestes. D'où l'importance des dynamiques de mentorat et de suivi pendant toute la scolarité. Autrement dit, l'effort ne doit à aucun moment être relâché. Amy va conclure sur la lutte contre les discriminations.

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Amy Greene, référente égalité femmes-hommes et lutte contre les discriminations à Sciences Po

La question du mentorat nous tient effectivement à cœur. Nous le voyons avec les jeunes femmes étudiantes à Sciences Po, mais nous observons aussi une demande de voir des exemples de la part de nos étudiants, puisque l'on ne peut pas être ce que l'on ne voit pas exister. Il faut donc montrer des exemples. Nous travaillons à élaborer puis à faire adopter un plan d'action – qui est imminent – sur la lutte contre les discriminations et la promotion des diversités. La question de l'accompagnement au-delà des murs de Sciences Po va se poser. Le déploiement de nos anciens et d'autres partenaires de Sciences Po va justement dans cette démarche de montrer l'exemple.

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Je vous remercie, mesdames. J'ai bien noté que le ministère de l'éducation nationale avait encore du travail, notamment en Île-de-France. La tâche est rude mais le chemin se poursuit. Je vous souhaite bon courage dans vos missions respectives et vous remercie d'avoir répondu aux interrogations de notre mission d'information.

La séance est levée à 15 heures 40.