Mission d'information sur l'émergence et l'évolution des différentes formes de racisme et les réponses à y apporter

Réunion du jeudi 10 décembre 2020 à 8h30

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • IGPN
  • dossiers
  • déontologie
  • identité
  • interne
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La réunion

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La mission d'information procède à l'audition de Mme Brigitte Jullien, directrice de l'Inspection générale de la police nationale (IGPN).

La séance est ouverte à 8 heures 30.

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Nous avons l'honneur de recevoir Mme Brigitte Jullien, directrice de l'Inspection générale de la police nationale (IGPN). La présente mission d'information a été créée en décembre 2019 par la Conférence des présidents de l'Assemblée nationale, c'est-à-dire antérieurement aux événements récents qui auraient pu, sous le coup de l'émotion, conduire ensuite à la création de commissions d'enquête ou de travaux portant spécifiquement sur la police.

Pour notre part, nous essayons de prendre du recul et de traiter un sujet, le racisme, qui préoccupe le législateur depuis longtemps. À l'issue de nos travaux, nous établirons un rapport le plus exhaustif possible sur les formes de racisme dans notre société et nous élaborerons des pistes de réflexion visant à rendre la lutte contre le racisme plus effective.

Notre mission ne traite pas uniquement, ni même principalement de la police ou des forces de l'ordre, mais nous considérons que celles-ci jouent un rôle majeur dans la lutte contre le racisme car elles ont pour mission de faire appliquer la loi en recevant les plaintes et en réprimant les délits racistes. Parce qu'elles portent l'uniforme de la République, elles doivent également être irréprochables elles-mêmes dans leur activité quotidienne et leurs missions.

En juillet nous avons entendu des sociologues, notamment les spécialistes de la police Fabien Jobard et Sebastian Roché qui écrivent beaucoup sur les relations entre la police et la population. Lorsque nous l'avons reçu, M. Roché nous avait parlé de l'IGPN et de son prétendu manque d'indépendance, ce qui a suscité une certaine interrogation chez nous sur l'IGPN et son fonctionnement. Nous avons récemment auditionné l' Independant office for police conduct (IOPC), l'homologue britannique de l'IGPN connu pour son indépendance. En ce qui nous concerne, nous ne doutons ni de l'indépendance de l'IGPN ni du professionnalisme avec lequel elle contrôle en interne les activités de la police.

Nous aimerions aborder avec vous la question des contrôles d'identité. Le Syndicat de la magistrature, que nous avons également entendu cette semaine a traité de ce point devant nous, et, de manière assez polémique, remettait en cause le contrôle d'identité et son principe même.

Il sera très intéressant de revenir sur le cadre légal du contrôle d'identité et la manière dont vous traitez les éventuelles dérives qui vous sont remontées, ainsi que les instructions données à la police nationale en lien avec la DGPN.

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Nous souhaitions vous rencontrer dès cet été, mais souhaitions d'abord entendre universitaires et associations. À ce stade, nous échangeons de façon plus pragmatique avec différentes institutions ayant un rôle à jouer dans la lutte contre le racisme. Il est évident que nous n'agissons pas sous le coup d'une émotion quelconque. L'objet n'est pas d'ausculter tel ou tel événement, même si nous nous trouvons renforcés dans l'idée que cette mission a des propositions à formuler et que, grâce à votre audition, nous en apprendrons davantage sur le fonctionnement de l'IGPN sans rester sur des idées préconçues.

À la suite d'une rencontre avec votre homologue anglais, nous nous posons quelques questions d'ordre structurel sur l'organisation de l'IGPN et sur les garanties apportées à son indépendance. Au Royaume-Uni, par comparaison, le directeur général de l'IOPC ne peut pas être un policier.

Je souhaite également que nous puissions parler de la plateforme de signalement qui existe, de son efficacité et de la manière dont vous intervenez notamment en cas de comportements racistes supposés au sein de la police.

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Brigitte Jullien, directrice de l'Inspection générale de la police nationale (IGPN)

Beaucoup parlent de l'IGPN sans la connaître. Peu connaissent la diversité de nos tâches et notre mode de fonctionnement. Depuis sa réforme de 2013, elle remplit une grande variété de missions : contrôle des directions et services de la direction générale de la police nationale (DGPN) et de la préfecture de police ; mission générale d'inspection, d'étude, d'audit et de conseil ; pilotage du contrôle interne et de la maîtrise des risques de la police nationale, par délégation du directeur général et du préfet de police ; contrôle du suivi de la mise en œuvre des sanctions prononcées par l'autorité ayant le pouvoir disciplinaire ; diligenter des enquêtes judiciaires d'initiative ou sur instruction de l'autorité judiciaire ; diligenter des enquêtes administratives sur l'ensemble des agents relevant de l'autorité du directeur général, du directeur général de la sécurité intérieure et du préfet de police  ; analyse, évaluation et propositions d'amélioration des règles et pratiques professionnelles relatives à la déontologie ; service de conseil juridique dans ces domaines et en matière de procédure d'enquête ; mission de conseil en management et en organisation ; participation à des missions conjointes avec l'Inspection générale de l'administration (IGA) et d'autres services d'inspection comme l'Inspection générale de la gendarmerie nationale (IGGN) et l'Inspection générale de la sécurité civile.

Notre champ d'action est large et ne saurait être réduit à notre seule fonction d'enquête, bien qu'elle corresponde à une part importante de notre activité. Sur un effectif de 285 agents, soit la plus petite direction de la police nationale, l'Inspection compte 110 enquêteurs répartis entre Paris et huit délégations territoriales (en métropole ou en outre-mer). Sur ces 285 agents, 219 sont policiers, soit près de 70 % des effectifs. Nous comptons également des agents administratifs et techniques, des agents contractuels, notamment des consultants issus du milieu privé, un conseiller de tribunal administratif détaché, un administrateur civil et six apprentis.

Nous nous sommes profondément transformés en nous ouvrant vers l'extérieur. Notre but est de faire en sorte que le fonctionnement du service s'améliore et que la déontologie devienne un facteur de performance. Nous sommes une direction qui sert l'intérêt général et celui des usagers, mais nous ne sommes pas le bras armé de la direction générale, laquelle n'interfère en aucune façon dans la manière dont nous conduisons nos enquêtes. Nous jouons un rôle d'accompagnateur, de facilitateur et de régulateur. Nous contribuons à fortifier le lien entre la police et la population dans la mesure où nous sommes transparents et accessibles pour chaque citoyen, même si cet aspect est actuellement très critiqué.

Nos valeurs ont été choisies par l'ensemble des agents et nous avons publié une charte sur l'exemplarité, l'expertise et l'objectivité, lesquelles guident quotidiennement les pas des agents de l'IGPN.

En 2013, l'IGPN a été fusionnée avec l'IGS, et nous avons créé une coordination des enquêtes avec huit délégations, dont une en outre-mer, et une Mission d'appui et de conseil (MAC) qui vise à améliorer le fonctionnement des services et les conditions de travail des agents. Il s'agit d'un accompagnement pour les responsables de la police nationale dans l'analyse et la résolution des difficultés de nature managériale. Nous proposons également des appuis méthodologiques à la conduite de projet au sein de chaque service.

En matière de management, le cabinet AMARIS (Amélioration de la maîtrise de l'activité et des risques), créé en juin 2016, a pour fonction d'aider l'ensemble des directions et des services à améliorer le contrôle interne et à sécuriser davantage les policiers dans l'exercice de leur métier. Nous exploitons toutes les données issues d'une direction en ce qui concerne les incidents et produisons des fiches mémos, des fiches d'alerte et des fiches de conseils pour tous les policiers dans leur quotidien. Nous avons mis en place une activité du contrôle interne pour laquelle nous travaillons avec l'IGA et nous assurons l'accompagnement des services sur la robustesse des dispositifs de contrôle interne.

En 2013, nous avons créé la plateforme de signalement (PFS), qui est destinée aux usagers ayant des griefs à faire valoir contre la police. Le ministère de l'intérieur avait souhaité ouvrir au public la possibilité de s'adresser directement à l'IGPN pour favoriser la relation entre le service public de la police et l'usager. Cette plateforme est accessible à partir du site internet du ministère de l'intérieur. Grâce à un formulaire en ligne, tout citoyen, quel que soit son lieu de résidence, accède au même service et à la possibilité de signaler un fait dont il est victime ou témoin susceptible de concerner un ou des fonctionnaires de police. La mission des agents de la PFS consiste à orienter au mieux les signalements vers le service de l'administration le plus à même à recevoir des plaintes. Il s'agit d'une mission distincte qui relève de la compétence des autorités et organes judiciaires.

En 2019, l'IGPN a enregistré 4 792 signalements sur la plateforme avec une augmentation de 22 % entre 2018 et 2019. Au 30 novembre 2020, 5 052 signalements ont été effectués malgré la baisse d'activité de la police pendant le confinement. Nous ne prenons pas les plaintes, mais les signalements et nous orientons vers les directions ou ouvrons nous-mêmes des enquêtes judiciaires, par le biais de l'article 40 du code de procédure pénale, auprès du procureur ou des enquêtes administratives si les faits nous semblent particulièrement graves.

Nous disposons d'une plateforme interne d'alerte et d'écoute appelée signal-discri qui permet aux agents de signaler les situations susceptibles de constituer des discriminations résultant d'un comportement humain ou générées par une application de règles de fonctionnement.

Au nom de la transparence et de l'obligation de rendre compte, nous avons développé deux outils. L'outil Traitement du suivi de l'usage des armes (TSUA) est une application déployée dans les services depuis 2012 qui permet aux agents de déclarer les usages de leur arme, y compris accidentels, réalisés à l'occasion de l'exercice de leurs fonctions. Nous gérons cette base de données et l'exploitons à des fins statistiques ou d'étude pour pouvoir proposer des améliorations ou des modifications sur l'usage des armes.

D'autre part, en 2018 l'IGPN a mis en place le recensement des particuliers blessés ou décédés (RBD) pour recenser, sur le modèle du TSUA, les particuliers blessés ou décédés à l'occasion des missions de police. Jusqu'alors, ne procédant pas à ce type de recensement, nous ne disposions pas de ce type d'information. Nous ne jugeons pas les causes de décès, mais les recensons afin de réaliser des debriefings sur les opérations. Par exemple, nous enregistrons le cas des personnes qui se défenestrent lors d'une perquisition, qui se noient ou percutent un arbre lors d'un contrôle de police. Dans ce cadre, pour que les faits soient recensés, il faut qu'une procédure judiciaire soit engagée et, pour les blessures, qu'une incapacité temporaire de travail (ITT) supérieure à 8 jours soit attribuée.

Nous avons une activité de conseil qui est traitée par un cabinet d'analyse de la déontologie et de la règle. Nous répondons aux questions posées par les policiers de la DGPN et de la préfecture de police sur les statuts et la déontologie. Le directeur adjoint de l'IGPN est le référent déontologue de la police nationale. Nous sommes le point d'entrée unique du Défenseur des droits et du Contrôleur général des lieux de privation de liberté.

L'activité judiciaire représente la moitié de notre activité. Nous traitons environ 1 500 procédures judiciaires par an et augmentons cette activité de 25 % régulièrement depuis deux ou trois ans, sans bénéficier d'une augmentation de 25 % des effectifs.

Concernant les procédures sur les faits de racisme et de discrimination, en 2020, l'IGPN a été saisie de quarante dossiers judiciaires dénonçant des faits de discrimination ou d'injure à caractère raciste ou discriminatoire. Leur nombre était de trente-six en 2019 et de quarante-huit en 2018. Certaines plaintes pouvaient faire état de plusieurs discriminations différentes, notamment lorsqu'il s'agissait d'une procédure pour harcèlement (dans le cadre professionnel), ou lors d'un contrôle ou d'une interpellation d'usager. Les discriminations en tant que telles ont été peu nombreuses depuis le début de l'année, douze exactement : deux cas relatifs à l'orientation sexuelle, un cas de sexisme, quatre cas faisant état de l'origine ethnique, un cas concernant la croyance religieuse, un cas portant sur les orientations syndicales et trois cas liés au handicap physique. Les autres affaires concernent des dénonciations d'injures racistes alléguées par des administrés suite à interpellation.

Les plaintes dénonçant des faits de propos discriminatoires sont très difficiles à démontrer du point de vue procédural. En l'absence d'écrit ou d'enregistrement explicite, les faits dénoncés doivent être corroborés par de nombreux témoignages pour être retenus comme probants par les parquets, ce qui conduit à des enquêtes longues et compliquées. Ils sont subordonnés aux sensibilités et aux interprétations de chacun, ce qui confère une certaine subjectivité, surtout lorsque l'allusion est le mode opératoire. La difficulté à établir matériellement les faits procède sans doute d'une certaine loi du silence. À l'inverse, il est parfois constaté que ces plaintes peuvent s'inscrire dans une stratégie de contre-feux procéduraux, de moyen de défense à lancer à l'encontre du supérieur hiérarchique exerçant une autorité de contrôle ou contre des policiers interpellateurs dans des cas de rébellion.

Au cours de cette même période, l'IGPN a conduit des enquêtes administratives mettant en évidence des manquements au devoir de neutralité et d'exemplarité. L'IGPN ne conduit pas que les enquêtes administratives prédisciplinaires, mais elle s'attache aux faits les plus graves. Les directions d'emplois, qui constituent l'autorité hiérarchique des agents à l'instar des directions d'entreprise dans le privé, au titre de leur devoir de protection et de réaction due par l'autorité hiérarchique, en sont les premiers acteurs.

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M. Roché était très critique envers l'IGPN, à la fois du fait de la dépendance organique de l'IGPN à la DGPN et du fait que l'IGPN n'aurait pas accès aux suites, notamment judiciaires, données sur les affaires dont elle est saisie et sur lesquelles elle réalise des enquêtes. Je souhaite savoir si cette situation est avérée et si vous attendez un minimum de retours sur les conséquences des enquêtes et des rapports produits par l'IGPN.

Dans un contexte de généralisation des caméras-piéton, un cadre légal est-il prévu pour permettre l'accès de l'IGPN aux images ? Pensez-vous qu'il s'agira d'un instrument utile d'objectivation des contrôles effectués ? Estimez-vous que vous disposez de moyens suffisants, notamment humains, pour faire face à cette généralisation qui entraînera probablement davantage de saisines de la part des fonctionnaires de police et des citoyens, ainsi qu'une augmentation du flux d'affaires à traiter par vos services ?

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Quels sont les modes de saisine possibles de l'IGPN, à côté de la plateforme en ligne ?

Par ailleurs, quelles propositions d'amélioration structurelles pourriez-vous proposer sur le fonctionnement de l'IGPN ? Que pensez-vous, en particulier, du modèle britannique dans lequel le service d'inspection est dirigé par un civil ?

Vous insistez sur l'importance de la déontologie. Dans ce cadre, le tutoiement lors des interpellations a-t-il été remis en cause ? J'ai vu le film  Les Misérables de Ladj Ly, qui ne correspond pas forcément à la réalité, mais qui met en exergue la difficulté de passer du tutoiement au vouvoiement. Nous avons auditionné vos collègues de la gendarmerie, lesquels vouvoient en toutes circonstances. Au cours de nombreuses auditions, ce point nous a été remonté comme pouvant être stigmatisant pour une certaine partie de notre jeunesse.

S'agissant du contrôle d'identité, comment encadrer plus strictement le régime prévu par l'article 78-2 du code de procédure pénale sans priver la police de ses moyens d'action ? Dans d'autres pays, les contrôles d'identité sont largement plus restreints et n'empêchent pas la résolution d'affaires.

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Brigitte Jullien, directrice de l'Inspection générale de la police nationale (IGPN)

Nous avons 118 enquêteurs qui travaillent en judiciaire avec les procureurs et sous l'autorité des juges d'instruction, et d'autres enquêteurs qui travaillent sur les enquêtes administratives. Nous procédons aux enquêtes sur les faits les plus graves. La hiérarchie gère également un très grand nombre d'enquêtes administratives prédisciplinaires puisque c'est son rôle.

Lorsque nous sommes saisis d'une enquête administrative, nous n'avons pas accès au volet judiciaire en raison de la séparation des pouvoirs. En revanche, l'article 11-2 du code de procédure pénale nous permet de demander à l'autorité judiciaire la copie de la procédure judiciaire pour la verser à l'enquête administrative dès lors que des poursuites sont engagées contre le fonctionnaire concerné. Nous sommes ainsi le lien entre l'administratif et le judiciaire. Il est faux d'affirmer que nous ne disposons jamais des suites judiciaires lorsque nous procédons à des enquêtes administratives.

Lorsque le policier n'est pas poursuivi au plan judiciaire, l'enquête administrative repart de zéro. Nous ne nous interdisons pas de procéder à ce type d'enquête en l'absence de condamnation ou d'infraction pénale puisque nous nous basons sur notre code de déontologie et que nous avons normé notre enquête administrative prédisciplinaire qui se base sur des manquements, lesquels sont au nombre de vingt-deux et se déclinent en soixante-sept items.

En annexe du rapport annuel portant sur l'année 2019 de l'IGPN figure l'ensemble des manquements par année. Ces manquements ne correspondent à aucune infraction pénale puisque l'enquête administrative est dissociée de l'enquête judiciaire. Par exemple, un policier peut être relaxé d'une accusation de vol, mais le manquement au devoir de probité peut être relevé en administratif.

Nous avons connaissance des condamnations puisque les tribunaux nous communiquent les suites judiciaires. Les 1 460 dossiers que nous traitons en judiciaire chaque année ne font pas tous l'objet d'une condamnation pénale. Pour le parquet de Paris, sur les 220 enquêtes judiciaires ouvertes sur le mouvement des Gilets jaunes en 2019, nous avons eu un retour sur 99 classements et nous avons une trentaine de dossiers judiciaires en cours.

Sur les contrôles d'identité, la doctrine relative aux caméras-piéton est en bonne voie. Nous aurons accès à ces images dans le cadre légal. Lors de nos enquêtes judiciaires, nous récupérons l'ensemble des supports vidéo afin de disposer d'un maximum d'éléments émanant de particuliers, de policiers, de journalistes et de réseaux sociaux. Pour certaines enquêtes, nous avons visionné 133 heures de vidéos sur les réseaux sociaux et le réseau parisien « zones de développement prioritaires » (ZDP). Les enquêtes sont très complètes, ce qui explique leur durée. Pour nous, il est particulièrement important d'avoir connaissance de l'ensemble de l'affaire et la vidéo est à cet égard très utile.

Le directeur général de la police nationale est parfaitement conscient de l'augmentation de 25 % et des moyens humains nécessaires pour y remédier.

Sur les modes de saisine et sur les chiffres de l'activité, nous sommes saisis en matière judiciaire par les parquets ou les juges d'instruction, ou en matière administrative par le ministère de l'intérieur, le directeur général de la police nationale, le préfet de police et le directeur général de la sécurité intérieure. Nous pouvons nous saisir de manière autonome lorsque nous avons une enquête judiciaire en cours et que nous relevons des manquements. Dans toutes les enquêtes judiciaires médiatiques, l'IGPN ouvre systématiquement une enquête administrative.

La comparaison entre l'Angleterre et la France est complexe s'agissant des lois qui nous régissent et du statut de la fonction publique, lequel n'existe pas en Angleterre. Je précise que l'IGPN ne sanctionne ni ne condamne les policiers. L'autorité indépendante est le Défenseur des droits. Nous ne sommes qu'un organe interne de contrôle indispensable au fonctionnement et à la mise en œuvre de la déontologie au sein de la police nationale. La police a son Inspection, les médecins, les journalistes et les avocats ont un ordre. Le contrôle interne est indispensable et fondamental.

En France, le statut de la fonction publique fait que l'agent public ne peut être sanctionné que par son autorité hiérarchique. Le modèle d'une autorité indépendante, comme en Angleterre, ne peut être transposé en France. Nous ne sommes qu'un organe de contrôle interne qui formule des propositions de sanctions et de poursuites. L'autorité hiérarchique a le pouvoir de sanctionner conformément au statut de la fonction publique. Si une modification nous rapprochant du schéma anglais est mise en œuvre pour la police nationale, elle doit l'être pour l'ensemble de la fonction publique où la règle est que l'autorité hiérarchique a le pouvoir de sanction. Nous sommes en relation permanente avec le Défenseur des droits, lequel nous a adressé douze recommandations sur des problématiques de sécurité. Nous avons suivi ces recommandations sur six dossiers parmi les huit que nous avons traités. Cela doit être rappelé.

Le tutoiement est contraire à la déontologie. Il n'est pas acceptable qu'un policier tutoie les personnes qu'il contrôle sur la voie publique. Un travail de prise en compte par la hiérarchie intermédiaire, à savoir les brigadiers et les officiers, doit être effectué sur le suivi et les remarques qu'ils doivent adresser à leurs policiers au quotidien. Il faut noter le rôle de la hiérarchie intermédiaire sur le pouvoir de recommandation, de sanction et d'application du code de déontologie où cette recommandation figure explicitement.

L'IGPN a produit plusieurs notes à l'attention du directeur général sur les contrôles d'identité dont l'efficacité et l'efficience sont contestables selon nous. Il s'agit de l'opération la plus pratiquée en France avec plusieurs millions de contrôles par an. Au-delà de la question quantitative, il convient de considérer la finalité et l'utilité. Aujourd'hui, la loi ne répond que partiellement aux besoins des policiers ; les articles 78-2 et suivants du code de procédure pénale ont été détournés de leur finalité. Comment révéler l'identité d'une personne en la contrôlant de manière aléatoire ou sur réquisition du procureur de la République ? Nous invitons à une réflexion sur une réforme globale du contrôle d'identité afin que les moyens soient véritablement donnés aux policiers sur la voie publique d'atteindre les finalités correspondant à leur travail.

En dehors des contrôles aux frontières et dans le cadre de la police de la route, le contrôle d'identité est souvent accompagné de palpations, lesquelles ne sont encadrées par aucun texte mais permettent de révéler une infraction. Comment révéler un usage de stupéfiants ou un vol à l'arraché avec un simple contrôle d'identité ? Nous avons quelques idées en la matière et pouvons être proactifs sur le sujet.

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Vous évoquiez une trentaine à une quarantaine de saisines de l'IGPN pour des faits de racisme et de discrimination, ce qui semble assez faible au regard de l'activité de la police et des allégations de propos racistes régulièrement lus dans la presse ou émanant d'un certain nombre de citoyens. Vous disiez également que l'IGPN n'enquête que sur les faits les plus graves. Le chiffre annoncé correspond-il à l'ensemble des dossiers ou d'autres sont-ils uniquement traités par la voie hiérarchique ?

Dans une interview, l'ancien défenseur des droits Jacques Toubon indiquait qu'en six ans, il avait réclamé l'engagement de poursuites disciplinaires dans le cadre de trente-six dossiers, mais qu'aucune n'avait été suivie d'effet. Comment expliquer cela ?

Je m'interroge également sur la disparition de la case relative aux injures à caractère raciste dans le tableau récapitulatif du rapport annuel de l'IGPN.

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Brigitte Jullien, directrice de l'Inspection générale de la police nationale (IGPN)

Ces quarante dossiers relèvent de l'activité de l'IGPN. Je ne dispose pas des chiffres concernant l'ensemble des directions actives. Chaque direction de police compte un bureau de déontologie. En 2021, j'ai l'intention de modifier le rapport concernant l'activité de l'IGPN, lequel ne reprend pas l'ensemble de la déontologie ou du disciplinaire dans la police nationale. J'espère pouvoir récupérer des chiffres plus importants car de nombreux dossiers sont traités dans les directions départementales. Les parquets saisissent de nombreux services territoriaux, mais je n'ai pas connaissance du chiffre correspondant.

Le chiffre de trente-six dossiers mentionné par le défenseur des droits correspond à une période de plusieurs années. Nos rapports sont annuels. Cette année, nous avons suivi ses recommandations sur six dossiers parmi les douze transmis et avons engagé des poursuites disciplinaires ou adressé les recommandations comme souhaité. Je transmettrai les chiffres au directeur général de la police nationale, lequel pourra éventuellement communiquer sur le sujet.

S'agissant de la présentation du rapport annuel de l'IGPN, la case n'a pas disparu. Les chiffres sont présentés de manière différente. Je ne pensais pas que ce rapport de juin 2020 ferait autant le « buzz ». Nous sommes la seule direction à présenter de manière publique l'activité de sa direction. Malheureusement, les chiffres sont détournés et commentés. Il ne s'agissait que de présenter notre activité. Le rapport est sorti en juin pour l'activité 2019. Il n'y avait bien entendu aucune intention malveillante de ma part. Nous tenons les chiffres à disposition. En 2020, nous avons traité quarante affaires de discrimination contre trente-six en 2019 et quarante-huit en 2018.

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Y a-t-il un niveau de gravité à partir duquel vous initiez une enquête en interne ? Par ailleurs, est-il possible que les membres d'une équipe ou d'un commissariat s'entendent pour vous cacher la vérité sans que vous puissiez découvrir des faits répréhensibles ?

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Brigitte Jullien, directrice de l'Inspection générale de la police nationale (IGPN)

Nous travaillons sur les niveaux de gravité les plus importants. Lorsque des officiers ou des commissaires de police sont mis en cause, les directions actives préfèrent que l'IGPN traite les dossiers. La direction d'emplois peut nous demander, par le biais du directeur général, de travailler sur des enquêtes administratives en présence de soupçons et face à une situation qui semble grave. Nous sommes alors saisis par le directeur général ou le préfet de police et travaillons en administratif dans un premier temps. Si au cours de l'enquête nous relevons des infractions pénales, nous en informons le parquet par le biais de l'article 40 du code de procédure pénale. Quand des enquêtes judiciaires sont déjà ouvertes, nous pouvons ouvrir en parallèle des enquêtes administratives pour sanctionner les comportements qui, au-delà de leur qualification pénale, constitueraient un manquement à la déontologie.

Les enquêtes administratives offrent une très grande latitude à la hiérarchie de nous saisir car l'on peut faire jour d'un manquement ou d'une absence de manquement. Nous sommes souvent saisis sur des dossiers de harcèlement au travail, lesquels sont très complexes à gérer, et nous parvenons parfois à établir l'absence de harcèlement.

En termes de saisine, l'enquête administrative n'est pas normée. Elle se base sur le ressenti des directions qui nous saisissent pour faire la lumière sur les éléments dont ils disposent.

S'agissant de cacher la vérité, les policiers nous présentent une version, mais en enquête administrative, nous ne disposons pas de moyens de coercition ni d'enquête et de réquisition. Lorsque nous constatons que des policiers commettent une infraction, nous demandons l'ouverture d'une enquête judiciaire, ce qui nous confère le pouvoir de les placer sous surveillance. Dans la plupart des cas, ce genre de comportement n'est pas supporté au sein du commissariat. L'IGPN travaille lentement, mais il s'agit parfois d'une qualité car, à la longue, la loi du silence s'effiloche, la solidarité finit par tomber et nous obtenons les éléments de vérités qui étaient dissimulés au départ.

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La présidente de la commission des lois évoquait récemment la possibilité d'un rapprochement entre le Défenseur des droits et l'IGPN. Cette approche vous semble-t-elle propice à un meilleur travail ?

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Brigitte Jullien, directrice de l'Inspection générale de la police nationale (IGPN)

Certes mais pourquoi le Défenseur des droits ne recrute-t-il pas un policier au sein de son équipe pour pouvoir travailler avec la connaissance du métier ?

Je suis en possession d'une lettre de mission du ministre de l'intérieur pour monter une commission d'évaluation de la déontologie de la police nationale, qui devrait se réunir début janvier, comprenant un journaliste, deux magistrats, le Défenseur des droits, un maître des requêtes au Conseil d'État, une personnalité de la société civile désignée par le Conseil économique et social, un avocat et peut-être un représentant d'Amnesty International. Nous travaillerons sur des dossiers de fond concernant les méthodes de la police nationale, la déontologie, l'usage des armes et le contrôle d'identité. Le ministre de l'intérieur a donné la capacité à ce comité de proposer des recommandations et des modifications législatives sur les dossiers dont nous nous saisirions. Nous pourrions publier ces travaux en garantissant l'anonymat des membres du comité.

Le ministre réfléchit à la création d'un arrêté fixant la composition de ce comité d'évaluation de la déontologie, qui serait placé auprès de l'IGPN. Il s'agirait d'une façon d'ouvrir l'IGPN sur l'extérieur. Nous ne travaillerons là non pas sur des dossiers individuels, mais sur des questions de fond comme l'usage des armes et de la force ou les contrôles d'identité.

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Nous vous souhaitons bonne continuation dans vos fonctions et vos missions qui sont très importantes pour l'intégrité de la police nationale et le respect de l'autorité républicaine.

La séance est levée à 9 heures 30.