Commission d'enquête sur les dysfonctionnements et manquements de la politique pénitentiaire française

Réunion du jeudi 25 novembre 2021 à 10h55

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

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La réunion

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Commission d'enquête sur les dysfonctionnements et manquements de la politique pénitentiaire française

Jeudi 25 novembre 2021

La séance est ouverte à dix heures cinquante-cinq.

(Présidence de M. Philippe Benassaya, président de la commission)

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Je vous souhaite la bienvenue pour cette audition commune des directeurs interrégionaux des services pénitentiaires. Je vous rappelle que la commission d'enquête a été créée à la demande du groupe Les Républicains en vue d'identifier les dysfonctionnements de la politique pénitentiaire française. Nous y avons abordé de nombreuses thématiques liées à l'univers carcéral. Nous avons également fait le point tout à l'heure sur l'insertion et la probation.

Mme la rapporteure Caroline Abadie et moi-même avons souhaité vous auditionner ce matin pour un exercice de prospective pénitentiaire et non plus de constat. Avec vous sont représentées toutes les typologies de structures carcérales et au cours de vos carrières respectives, vous avez exploré des problématiques stratégiques pour l'administration pénitentiaire. Vous aurez tour à tour la parole pour un exposé introductif de cinq minutes, puis nous procéderons à la séance de questions-réponses. Vous pourrez également nous adresser des contributions écrites à l'issue de notre commission.

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Je serai brève car je suis certaine que les directeurs interrégionaux présents avec nous ont suivi nos travaux. Nous avons évoqué la population carcérale, la gestion immobilière, les ressources humaines – internes à l'administration pénitentiaire et chez vos partenaires –, la politique pénale, l'activité en prison, l'accès aux soins, à l'éducation et à la formation professionnelle, à la religion. Nous avons également échangé ce matin avec des professionnels de l'insertion et de la probation. Notre rôle, en tant que commission d'enquête, est d'évaluer la situation présente et ses déterminants historiques mais nous souhaitons aussi inclure la prospective à notre réflexion et c'est la raison pour laquelle nous vous avons conviés à cette table ronde. Nous savons que vous êtes capables d'enrichir le débat par des critiques constructives.

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Nous souhaitons effectivement avoir un point de vue critique et prospectif.

L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure. »

(M. Stéphane Gély, Mme Marie-Line Hanicot, M. Hubert Moreau, M. Stéphane Scotto et M. Pascal Vion prêtent successivement serment.)

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Marie-Line Hanicot, directrice interrégionale Grand-Ouest-Rennes

M'appuyant sur le questionnaire qui nous a été adressé, je souhaiterais évoquer les spécificités du territoire dont je suis responsable. Ce dernier regroupe trois régions administratives, cinq cours d'appel, vingt-quatre établissements pénitentiaires et quatorze services d'insertion et de probation. L'animation en partenariat avec les autres administrations de l'État et avec les collectivités territoriales est donc complexe. Notre référent formation professionnelle doit par exemple entretenir des relations avec trois conseils régionaux différents. De même notre référent culture est en rapport avec trois directions régionales des affaires culturelles et notre référent santé travaille avec trois agences régionales de santé. Les personnels du siège doivent parfois effectuer des trajets de six heures aller-retour pour se rendre dans les établissements les plus éloignés, comme Dieppe ou Le Havre. Nous avons un chef de service pour chaque établissement pénitentiaire et chaque service de probation et d'insertion, soit un total de trente-huit.

Comme les autres interrégions, nous accusons une surpopulation carcérale importante avec notamment un taux d'occupation en maison d'arrêt de 118 % à Coutances, petit établissement organisé en dortoirs, et de 202 % à La Roche-sur-Yon, également organisé en dortoirs. Nous dénombrons un total de 279 matelas au sol dans l'interrégion.

Le taux d'extraction judiciaire au profit des juridictions est très insatisfaisant : le taux de carence ressortait par exemple à 17,25 % en octobre. Ces résultats très médiocres s'expliquent par des moyens alloués largement sous-dimensionnés. Les ETP – équivalents temps plein – sont répartis en fonction du nombre d'extractions judiciaires et la présence de deux tribunaux distincts dans chaque département nécessité un dédoublement des équipages pour présenter les détenus à leur juge. Les groupages sont plus complexes que dans les grandes agglomérations et les distances parcourues peuvent être conséquentes.

L'inscription croissante de nos publics dans le droit commun est à mes yeux l'une des importantes évolutions de ces dernières années. La loi pénitentiaire de 2009 implique une collaboration avec les autres administrations de l'État pour prévenir la récidive, sans oublier les collectivités territoriales et les associations. Le transfert de la santé aux hôpitaux constitue un progrès important par rapport à la médecine pénitentiaire que nous avons connue. Le transfert plus récent de la formation professionnelle aux conseils régionaux est une autre belle réussite. Notre public doit pouvoir bénéficier de la continuité de sa prise en charge par les dispositifs de droit commun. L'incarcération n'étant qu'un épisode de la vie des détenus, nous devons sécuriser la transition à l'entrée comme à la sortie.

La prise en compte croissante des droits des détenus est une autre évolution marquante : présence d'un avocat et d'un assesseur en commission disciplinaire, introduction du contradictoire dans de nombreuses procédures, consultation des détenus, réforme à venir du statut des travailleurs détenus, nouveaux textes sur les conditions indignes de détention, etc.

Je mentionnerai également la création des services pénitentiaires d'insertion et de probation, qui a permis de donner sa juste place au milieu ouvert. Un système de probation à la française est en cours de construction depuis quelques années. Nos conseillers pénitentiaires d'insertion et de probation voient leurs compétences professionnelles s'accroître rapidement.

La diversification des établissements pénitentiaires et de leurs quartiers mérite d'être signalée, ce qui permet d'améliorer la prise en charge en mettant en œuvre des moyens pertinents tant du point de vue de la sécurité que de la nature du public. Je pense notamment au système de binômes créé chez les mineurs entre les éducateurs protection judiciaire de la jeunesse et les surveillants. Des quartiers spéciaux ont été créés pour les détenus violents ou encore pour prévenir la radicalisation. Je pense également aux SAS – structures d'accompagnement vers la sortie.

Les missions des personnels de surveillance tendent à se diversifier : surveillance électronique, extractions judiciaires en armes, etc.

Enfin, j'évoquerai la création des équipes régionales d'intervention et de sécurité, qui nous a permis de gérer de manière autonome tous les incidents graves recensés ces dernières années, et surtout d'en limiter la gravité. Les membres de ces équipes, qui sont avant tout des surveillants, sont animés par la volonté de laisser une situation sereine à leurs collègues en quittant un établissement.

Mon opinion sur le bilan de la politique pénitentiaire se fonde sur le constat d'un effet de balancier perpétuel, selon que la majorité au pouvoir instaure une politique sécuritaire ou au contraire basée sur l'insertion. Des orientations s'en retrouvent alors abandonnées avant d'avoir eu le temps de produire leurs effets. Pour éviter ce phénomène de balancier, je préconiserais d'établir un contrat social qui définirait clairement le périmètre d'une peine de prison, et qui permettrait de construire des références alternatives à l'emprisonnement.

Je prône également une meilleure cohérence entre la politique pénale et la politique pénitentiaire. La politique pénale ne tient pas suffisamment compte de l'offre pénitentiaire, en milieu fermé comme ouvert, ce qui nuit à la lisibilité de la politique pénale et fait perdre du sens à l'exécution de la peine.

Des efforts sont souhaitables au niveau de l'immobilier pénitentiaire – maintenance et construction de nouveaux établissements. La politique visant à construire des pénitenciers neufs et dignes doit absolument se poursuivre, y compris au-delà du quinquennat actuel. Il serait souhaitable que les dortoirs disparaissent. Il est pour moi anachronique de détenir huit personnes dans une pièce, même avec des toilettes séparées.

L'accès au droit commun des détenus en voie de réinsertion pourrait encore être amélioré, en renforçant les obligations de prise en charge de nos publics par les différents services. Nous nous retrouvons souvent contraints d'attribuer sur nos ressources propres des prestations substitutives pour nos publics, en particulier pour ce qui concerne l'accès au logement, du fait du mauvais fonctionnement de certains SIAO – services intégrés d'accueil et d'orientation.

Les actions ciblées vers les détenus invisibles doivent être multipliées ; je désigne par cette expression les détenus qui ont besoin d'actions adaptées. Je pense notamment au développement de l'insertion par l'activité économique en collaboration avec des ESAT – établissements ou services d'aide par le travail.

Je n'entrerai pas dans le détail pour ce qui concerne la surpopulation carcérale et les conditions de détention. Les trois leviers en milieu fermé sont bien connus : la création de nouvelles places, la rénovation des établissements et le développement des aménagements de peine, comme la systématisation des libérations sous contrainte. Nous devons être capables de présenter la variété de notre offre aux juges correctionnels : en s'inspirant de la plate-forme TIG 360°, il s'agirait de créer une cartographie permettant de connaître le nombre de places disponible en détention sur un territoire donné mais également en travail d'intérêt général, stage de citoyenneté, stage de sécurité routière, au sein des programmes de gestion des émotions ou de prévention de la récidive des violences, etc. Nous pourrions mettre en place des dispositifs d'exception là où les taux d'occupation sont les plus élevés.

Une conférence de l'exécution des peines pourrait se substituer au conseil d'évaluation, qui se limite aux établissements pénitentiaires.

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Je retiens en particulier de votre intervention la problématique des dortoirs et le nombre important de matelas au sol : on en compte environ 1 300 en France, et une part significative d'entre eux sont concentrés dans votre interrégion.

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Stéphane Scotto, directeur interrégional Île-de-France-Paris

La direction interrégionale que je dirige s'étendait originellement jusque dans l'Indre mais son périmètre a ensuite été redéfini et depuis 2008, il correspond à celui de la région administrative d'Île-de-France. Il est en rapport avec deux cours d'appel, soit moins que dans les autres interrégions où j'ai travaillé. Il comprend dix-sept établissements pénitentiaires – majoritairement des maisons d'arrêt – et huit services pénitentiaires d'insertion et de probation.

Un tiers de notre parc immobilier a été construit au XIXe siècle, un autre à la fin du XXe siècle et le dernier a été construit ou profondément rénové au cours des quinze dernières années. Trois structures d'accompagnement à la sortie verront par ailleurs le jour en 2023 ainsi qu'un quartier pour peines de 400 places à Fleury-Mérogis. Un nouvel établissement de 750 places sera opérationnel en 2025 en Seine-Saint-Denis. Enfin, cinq établissements supplémentaires seront livrés entre 2027 et 2028. L'ouverture de ces nouveaux établissements contribuera à la résorption de la surpopulation carcérale – 126 % de taux d'occupation en moyenne et des taux supérieurs à 170 % dans certains quartiers et certaines maisons d'arrêt. Malgré les différents aménagements réalisés, nous dénombrons encore 60 matelas au sol. Nous gérons actuellement 12 700 personnes détenues et 27 000 personnes en milieu ouvert. 98,5 % des extractions judiciaires réclamées par les autorités judiciaires sont réalisées. Cette mission est sous tension actuellement avec le procès V13 – attentats du vendredi 13 novembre 2015 –, qui nécessite des équipages étoffés et lourdement équipés.

Notre direction interrégionale est caractérisée par la surreprésentation des profils lourds et des détenus liés à des mouvances terroristes ou islamistes, ce qui s'explique par l'existence de juridictions spécialisées. Notre région concentre ainsi 26 % des détenus pour terrorisme islamiste, ou TIS, recensés en France. De même nous comptons 26 % des détenus de droit commun radicalisés mais condamnés pour des faits autres que terroristes. Nous disposons de deux quartiers d'évaluation de la radicalisation et un troisième doit ouvrir prochainement pour les femmes détenues. Nous avons également créé un quartier de prise en charge de la radicalisation.

Nos effectifs se montent à 8 000 personnels pour 7 500 équivalents temps plein. Ces effectifs sont plutôt jeunes compte tenu du turnover important et d'un flux de départs vers les polices municipales assez significatif – ces dernières représentent pour nous une concurrence complexe à gérer.

Le début du millénaire a été marqué par l'apparition d'une surpopulation carcérale endémique qui s'explique notamment par l'accroissement démographique francilien. Diverses réformes pénales ont été mises en œuvre afin de développer les aménagements de peine alternatifs à l'incarcération mais malgré la mobilisation des services pénitentiaires, les effets escomptés n'ont pas été pleinement atteints.

Nous avons assisté à une montée en puissance de la surveillance électronique, à la professionnalisation des agents et à la diversification de leurs activités. Nos services pénitentiaires et de probation fêtent leur vingt-et-unième année. Des équipes régionales d'intervention et de sécurité ont été créées. Je mentionnerai également les équipes cynotechniques et celles en charge des extractions judiciaires et de la surveillance électronique.

Une autre tendance importante est la formalisation des procédures, tant en milieu ouvert qu'en milieu fermé, avec depuis 1995, un recul de la notion d'ordre intérieur, et au renforcement du contradictoire dans les procédures.

Une certaine pluridisciplinarité est apparue dans nos services afin de prendre en charge les différents publics.

Les services pénitentiaires d'insertion et de probation, qui travaillent avec les structures dites de droit commun, bénéficient d'une visibilité accentuée.

Enfin, nous avons assisté à une évolution du profil de nos publics, avec la multiplication des profils spécifiques : TIS, auteurs d'infractions à caractère sexuel, auteurs de violences conjugales, actes de violence par certains détenus, y compris en milieu ouvert, détenus sujets à des problèmes psychiatriques ou à des addictions, etc.

Par ailleurs, la diversification des activités des services pénitentiaires s'est accompagnée d'une professionnalisation des services qui les administrent, en particulier les directions interrégionales, avec la mise en place de missions nouvelles et avec la gestion de marchés de gestion déléguée et de PPP – partenariats public-privé – de plus en plus complexes. Cet élargissement des missions s'est accompagné d'un renforcement des moyens : ma direction interrégionale, qui au début de ma carrière disposait d'un budget annuel de 270 millions de francs, dispose aujourd'hui d'un budget de 183 millions d'euros, plus une enveloppe budgétaire de 25 millions d'euros au titre des investissements immobiliers. La masse salariale atteint 440 millions d'euros.

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Stéphane Gély, directeur interrégional Sud-Toulouse

Merci de nous donner l'occasion de nous exprimer devant des membres de la représentation nationale. Je pense que la situation que je connais depuis trois ans à la tête de ma direction interrégionale illustre tout à fait le titre de votre commission. Je m'efforcerai d'avancer des éléments d'explication pour cette situation.

J'illustrerai mon propos sur trois indicateurs : 6 076 personnes sont actuellement détenues sur notre périmètre alors que nous ne disposons que de 4 808 places opérationnelles dans nos seize établissements, et nous totalisons 519 matelas au sol, soit le nombre le plus élevé parmi les directions interrégionales françaises.

Je suis convaincu que notre offre pénitentiaire ne correspond plus aux besoins judiciaires et à la politique pénale mise en œuvre dans notre pays. En outre, j'estime que l'administration pénitentiaire n'a pas été en mesure de s'adapter à l'évolution démographique de nos territoires. Enfin, pour avoir travaillé dans d'autres circonscriptions, je constate une certaine hétérogénéité de l'offre. Je développe ce dernier point en comparant ma direction actuelle et la précédente : la direction Grand-Est compte 5 860 places pour 5,5 millions d'habitants, alors qu'en Occitanie, nous avons 4 808 places pour 5,9 millions d'habitants : Nous avons donc un millier de places en moins pour 350 000 habitants de plus. Fort heureusement, le plan 13 000 places de la fin du siècle dernier a abouti à l'ouverture de nouveaux établissements dans les années 2010, mais il nous faudra encore supporter la situation de surpopulation actuelle pendant encore quatre ans, jusqu'à ce que quelque 1 600 places supplémentaires deviennent disponibles.

Vous connaissez certainement le concept de séparation des pouvoirs tel qu'exposé par Montesquieu : nous sommes une administration d'exécution, c'est-à-dire que notre rôle est d'exécuter les décisions prises par l'autorité judiciaire. La problématique de la surpopulation pénale ne relève pas de la compétence exclusive de l'administration pénitentiaire mais implique l'ensemble de l'institution judiciaire. Nous devons donc travailler de concert avec les autorités judiciaires, et je dois d'ailleurs saluer une nette amélioration dans ce domaine ces vingt dernières années : tous les sujets peuvent aujourd'hui être débattus sans réserve. Nous devons faire en sorte que les peines prévues par les législateurs puissent être appliquées de manière réaliste.

À ce titre, nous venons de signer une convention avec le parquet général et la première présidence de la cour d'appel de Toulouse. L'objectif est de faire en sorte que les alternatives à l'incarcération et les aménagements de peines envisageables au cours de l'exécution de la peine soient parfaitement connus de l'autorité judiciaire. Le ministre de la justice a fait en sorte que les TIG – travaux d'intérêt général – soient parfaitement connus par tous les barreaux de France. À Toulouse, ce sera donc le cas pour tous les aménagements de peine et les solutions alternatives à l'incarcération. Les avocats de la défense seront ainsi plus à même de demander que leurs clients puissent en bénéficier. Je pense que les barreaux français ne se sont pas encore complètement imprégnés de cette question. Nous souhaitons par ailleurs que les chefs d'établissement et les DSPIP – directeurs des services pénitentiaires d'insertion et de probation – puissent jouer un rôle actif de proposition d'aménagements de peine, riches de l'expérience de l'application des ordonnances du 25 mars 2020 dans le contexte de l'épidémie de covid 19. Cette ordonnance a entraîné la libération de près de 1 400 personnes en Occitanie.

Je pense également que nous devons nous interroger sur le cadre d'utilisation des peines privatives de liberté par rapport aux peines restrictives. La prison n'est pas nécessairement la meilleure réponse que la société puisse apporter, et l'incarcération, quelles qu'en soient les conditions, peut entraîner des conséquences individuelles désastreuses. Outre-Rhin, on considère que l'emprisonnement est une parenthèse dans la vie du détenu. Le terme employé, Augenblick, signifie même littéralement « clin d'œil ». J'ai la conviction que l'incarcération devrait être réservée à certaines infractions – notamment les atteintes aux personnes – et que des solutions alternatives doivent être trouvées pour les autres faits de délinquance. Présenter des alternatives ou des aménagements de peine occupe d'ailleurs le plus clair de mon temps.

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Merci pour cette introduction très claire et très directe.

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Hubert Moreau, directeur interrégional Grand-Est-Strasbourg

En préambule, j'aimerais réagir à l'intitulé de cette commission d'enquête, qui ne fait référence qu'aux manquements et aux dysfonctionnements de l'administration pénitentiaire. Or, si notre bilan est loin d'être parfait, j'aimerais connaître les thématiques visées.

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J'appelle votre attention sur le fait qu'il s'agit des manquements et dysfonctionnements de la politique pénitentiaire et non pas de l'administration pénitentiaire. La commission d'enquête ne vise donc pas à pointer des défaillances de l'administration pénitentiaire mais à imaginer les voies d'amélioration que les parlementaires pourraient introduire pour la politique pénitentiaire.

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Hubert Moreau, directeur interrégional Grand-Est-Strasbourg

L'administration pénitentiaire est censée influer positivement sur le taux de récidive, ce qui revient à attendre de sa part qu'elle réussisse là où les autres institutions judiciaires auraient échoué dans le parcours de vie des détenus. La loi de novembre 2009 a expressément indiqué que l'administration pénitentiaire ne pouvait pleinement accomplir ses missions qu'avec le concours des services de l'État spécialisés. Certains transferts de compétences bénéfiques ont été opérés. Je pense notamment à la réforme de la santé pénitentiaire de 2014, qui constitue une grande avancée et qui était devenue indispensable, et à la réforme de la formation professionnelle, qui relève à présent des conseils régionaux.

J'ai conscience que ma direction interrégionale opère dans un contexte moins contraint que mes confrères précédents. Tout d'abord, son périmètre correspond exactement à celui de la région Grand-Est, avec l'ajout en 2017 de la Champagne-Ardenne et le transfert concomitant à la direction dijonnaise de la Franche-Comté. Nous devons cependant composer avec cinq cours d'appel différentes. Notre direction interrégionale comporte vingt-trois établissements depuis la fermeture toute récente des maisons d'arrêt de Colmar et de Mulhouse, et l'ouverture de l'établissement de Lutterbach.

Le taux d'occupation des maisons d'arrêt atteint 109 % en moyenne et le taux d'occupation global est de 96 %. J'ai la chance de disposer de six centres de détention dont les taux d'occupation sont de l'ordre de 92 % et de deux maisons centrales, Ensisheim et Clairvaux. Aucun matelas au sol n'est recensé sur mon périmètre.

L'évolution de l'administration pénitentiaire tend à nous rapprocher du droit commun, ce dont nous pouvons nous féliciter, avec la contribution croissante de services extérieurs. Nous avons fait évoluer le droit dans les établissements ainsi que les droits des détenus. Je ne dispose d'aucun établissement pour mineurs mais de six quartiers pour mineurs dans six maisons d'arrêt différentes, avec des modes de fonctionnement assez hétérogènes. À Chaumont, par exemple, une petite maison d'arrêt, le nombre de mineurs incarcérés oscille entre deux et quatre.

J'aimerais revenir sur le phénomène de balancier évoqué par ma collègue de Rennes. Ce système est effectivement perceptible en dépit d'une tendance globale à l'amélioration. La politique pénitentiaire alterne ainsi entre des périodes où les aspects sécuritaires sont mis en avant et d'autres où l'accent est mis sur l'insertion et nous devons nous adapter à ces changements d'orientations.

Comme l'a souligné mon collègue parisien, nos budgets de fonctionnement et d'investissement sont en constante augmentation depuis de nombreuses années. Nous pouvons nous en féliciter.

Après avoir ouvert l'établissement de Lutterbach en novembre 2021, nous mettrons en service, dans le courant de l'été 2023, une nouvelle maison d'arrêt de 472 places à Troyes-Lavau. Nous avons besoin de nouvelles places de prison, notamment si nous voulons tendre vers l'enseignement individuel. Des évaluations des besoins sont en cours dans chaque région administrative. On peut regretter que les décisions politiques ne soient pas toujours en corrélation avec les besoins recensés, notamment en matière de cartographie des établissements. Cela s'explique aussi par les changements de majorité politique.

Je conclurai sur une remarque. Avec le déploiement progressif d'alternatives à l'incarcération dans le cadre de la loi de 2019, nous pouvons noter que sur notre périmètre, 950 bénéficiaires de la DDSE – détention domiciliaire sous surveillance électronique – étaient recensés en janvier 2020, que ce nombre était descendu à 500 avec la crise sanitaire en septembre et qu'il est remonté à 1 700 aujourd'hui. Cependant, le nombre d'incarcérations n'a pas diminué sur la période : nous sommes quasiment revenus à la population carcérale de janvier 2020. Une première explication de ce phénomène peut être recherchée au niveau des violences intrafamiliales, en très forte augmentation. La plupart des juridictions ont prononcé des peines mixtes, combinant incarcération et suivi en milieu ouvert ; toutefois, pour l'heure, de nombreux auteurs de tels faits ont intégré la population carcérale.

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Pascal Vion, directeur interrégional Grand-Centre-Dijon

Comme cela a déjà été expliqué, le périmètre de notre direction interrégionale a été modifié le 1er janvier 2017 afin de correspondre aux régions administratives Centre-Val-de-Loire et Bourgogne-Franche-Comté. Notre territoire est très étendu, comme celui de ma collègue rennaise. Notre périmètre recouvre six cours d'appel, dix-huit tribunaux de grande instance et deux zones de défense, ce qui n'a pas été sans conséquences pour gérer la crise sanitaire. L'organisation territoriale des missions de la direction interrégionale est donc complexe, l'objectif étant de nous adapter aux politiques publiques régionales. Je m'associe au constat de ma collègue rennaise dans ce domaine.

J'ai également été interpellé par l'intitulé de votre commission, dans la mesure où l'administration pénitentiaire remplit ses missions dans le cadre des moyens qui lui sont octroyés. Se pose naturellement de la question de l'évaluation et de la pertinence des outils. Quoi qu'il en soit, les prisons françaises sont incontestablement sûres.

Je rejoins les propos de Stéphane Scotto sur les moyens, qui ont très fortement augmenté depuis mon entrée dans l'administration pénitentiaire en 1994. Notre principale problématique est la saturation et la vétusté de notre parc immobilier face au besoin d'accueillir nos détenus dans des conditions satisfaisantes. Je pense notamment à une maison d'arrêt de 150 places sur mon périmètre. On pourrait penser que 300 détenus pourraient être logés dans 150 cellules mais la réalité est plus complexe. Peut-on décemment accueillir deux détenus à Vesoul dans une cellule de 5,5 mètres carrés ? Pour leur part, les détenus ne souhaitent pas s'éloigner de leur famille et ne demandent donc pas à être transférés. Au-delà des seuils administratifs – qui mériteraient peut-être d'être revus, soit dit en passant –, quel seuil d'indignité pourrait-on imaginer ? Quel taux d'occupation peut être considéré comme acceptable ? Cette réflexion doit être menée en commun avec les autorités judiciaires. Le dialogue est déjà fonctionnel dans certains territoires et nous n'avons donc pas besoin de convention – on appelle cela la régulation carcérale –, mais le sujet est plus complexe sur d'autres territoires.

Je conclurai mon propos sur la question des personnels. Notre administration est sujette à des mouvements sociaux fréquents depuis plusieurs décennies. Le plus récent date de 2019 mais le conflit le plus dur a eu lieu en janvier 2018. Tous les établissements pénitentiaires se sont retrouvés bloqués à l'époque. Les discussions avec les organisations syndicales ont débouché sur un concept intéressant : celui de surveillant acteur. L'idée est de créer une nouvelle méthodologie de travail en donnant davantage de sens au métier de surveillant, ce dernier n'étant pas réduit au rôle de porte-clés. Le surveillant est également capable de participer à l'évaluation des personnes détenues dans une logique de prévention de la récidive. Je vous communiquerai des éléments plus précis à ce sujet.

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Une nouvelle fois, l'intitulé de notre commission n'est pas constitutif d'une critique à l'égard de l'administration pénitentiaire mais des propositions politiques, et d'ailleurs, vous nous avez livré des pistes politiques.

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Ma première question porte sur la radicalisation. M. Scotto dirigeait d'ailleurs l'établissement de Fresnes à l'époque de la création des premiers QER – quartiers d'évaluation de la radicalisation. J'aimerai que nous revenions sur leur genèse.

Ma deuxième question porte sur l'attractivité du métier de surveillant, qui est certes dur mais plein de sens pour la société. La revalorisation des agents de catégorie C effective depuis le 1er octobre est-elle suffisante ? Des aides au logement spécifiques doivent-elles être envisagées dans certaines régions ?

Enfin, nous pourrions évoquer le sujet de la régulation carcérale si nous en avons le temps.

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La problématique du logement est cruciale pour les surveillants pénitentiaires franciliens. M. Scotto et moi-même connaissons la situation dans certaines maisons d'arrêt en particulier.

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Stéphane Scotto, directeur interrégional Île-de-France-Paris

L'attractivité des métiers pénitentiaires passe par le contenu et le sens de leurs missions et l'évolution de ces dernières années, se traduisant par une professionnalisation et l'émergence de nouveaux métiers, me semble participer de cette amélioration J'évoquais d'ailleurs la concurrence dont nous pâtissons de la part des polices municipales, qui trouvent dans nos rangs des agents parfaitement formés et à qui elles peuvent offrir de meilleures conditions de logement et de rémunération.

Sur le plan du logement, nous avons développé un concours national d'affectation locale, ce qui permet de verser une prime de 8 000 euros, dont 4 000 la première année, à des agents qui rejoignent certains établissements caractérisés par un nombre de départs supérieur à celui des arrivées. D'autres dispositifs d'attractivité peuvent être utilisés en complément, comme ceux de Seine-Saint-Denis, afin de soutenir les agents en début de carrière. La problématique du logement est particulièrement complexe en Île-de-France, vu le niveau des loyers, surtout pour des agents en début de carrière. Nous travaillons en liaison avec le secrétariat général du ministère de la justice afin de développer l'offre de logement et également pour porter des projets de construction sur des emprises pénitentiaires et notamment à Fleury-Mérogis.

Pour ce qui est de la prise en charge des publics radicalisés, j'ai eu l'occasion de participer très tôt à la lutte contre ce phénomène. Nous devons nous garder de considérer que la prison serait nécessairement une chambre d'incubation pour la radicalisation alors qu'en réalité, les processus de radicalisation sont majoritairement présents hors de la prison et notamment sur Internet. L'administration pénitentiaire a dans un premier temps isolé les détenus radicalisés afin de limiter leur pouvoir d'influence sur les autres détenus. Elle a ensuite travaillé sur le désengagement de ces postures radicales, en cherchant à évaluer précisément quels détenus étaient radicalisés et lesquels ne l'étaient pas, d'où la création des QER, qui complètent les quartiers de prise en charge de la radicalisation, ou QPR. Nous travaillons en relation avec les services pénitentiaires d'insertion et de probation mais également avec des partenaires externes. Nous avons ainsi créé un dispositif de prise en charge en milieu ouvert des personnes fortement radicalisées, que nous avons déployé à Lille, Lyon, Marseille et Paris. Parallèlement, le renseignement pénitentiaire s'est connecté aux autres services de renseignement de l'État.

Quant à la régulation carcérale, ce vœu fonctionne parfois. J'ai pu voir un tel processus à l'œuvre au niveau de la juridiction de Grenoble, en lien avec l'établissement de Varces. Nous travaillons aussi sur le sujet en région parisienne. Un tel dispositif de régulation pourrait se traduire par la définition d'un seuil : lorsque ce dernier serait atteint, les efforts d'aménagement des peines ou d'alternatives à l'incarcération seraient intensifiés.

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Pascal Vion, directeur interrégional Grand-Centre-Dijon

Le métier de surveillant s'est fortement diversifié ces dernières années mais ce fait reste largement méconnu. J'ai créé une unité de promotion des métiers pénitentiaires au siège de Dijon avec un surveillant et une conseillère d'insertion et de probation qui participent à des forums étudiants et qui interviennent dans des lycées professionnels formant des jeunes à la filière sécurité. Nous invitons également des représentants des métiers.

Outre la surveillance électronique, les équipes régionales d'intervention et de sécurité et les extractions judiciaires, je souligne que certains surveillants exercent des métiers de niche en milieu ouvert. Des contrôles sont déjà opérés au moyen de la surveillance électronique mais on pourrait imaginer la création d'autres métiers, à l'image par exemple des officiers de probation. Nous aurions besoin d'amplifier la communication.

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Une campagne télévisée est en cours, visant à renforcer l'attractivité des métiers pénitentiaires. J'ignore cependant si de telles opérations sont efficaces.

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Pascal Vion, directeur interrégional Grand-Centre-Dijon

Des actions de promotion sur nos territoires me semblent nécessaires.

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Hubert Moreau, directeur interrégional Grand-Est-Strasbourg

Les médias renvoient malheureusement encore une vision très négative de l'administration pénitentiaire, notamment en relayant des discours syndicaux qui ne correspondent pas à l'attachement à leur métier que nous constatons chez les surveillants. J'aurais eu de multiples occasions de quitter l'administration pénitentiaire mais j'y suis resté car j'y suis fortement attaché car mon travail m'apporte beaucoup de satisfaction, eu égard notamment à la prise en charge des personnes qui nous sont confiées.

Je dirigeais la maison d'arrêt de Fleury-Mérogis à la même époque où M. Scotto était directeur à Fresnes. Le directeur interrégional de l'époque avait organisé une réunion de crise en octobre 2014, trois mois avant les attentats de janvier 2015, pour évoquer la problématique du prosélytisme en détention – le terme « radicalisation » n'était pas encore employé. Notre objectif était d'élaborer un plan d'action préventif. Nous avions envisagé trois types de mesures, dont l'isolement des personnes radicalisées du reste de la population carcérale. Notre projet a été rejeté catégoriquement par la garde des Sceaux de l'époque, et notamment le concept de créer des unités dédiées à la prise en charge de certains profils. Je me félicite que ces unités aient finalement vu le jour et qu'elles aient pu être déployées rapidement. Les personnes potentiellement radicalisées sont évaluées au sein des QER puis le cas échéant transférées vers les QPR – celui de mon territoire a été créé fin 2020.

Permalien
Marie-Line Hanicot, directrice interrégionale Grand-Ouest-Rennes

La question de la radicalisation des femmes est également à l'ordre du jour avec l'ouverture récemment d'un QPR au sein de la prison pour femmes de Rennes et un projet en cours en région parisienne, à Fresnes, me semble-t-il.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Tout à fait ; nous avons d'ailleurs eu l'occasion de visiter le futur QER pour femmes à Fresnes il y a une dizaine de jours.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Merci à vous tous pour ces interventions très complètes. N'hésitez pas à nous transmettre des contributions écrites si vous le souhaitez.

La réunion se termine à douze heures neuf.

Membres présents ou excusés

Commission d'enquête sur les dysfonctionnements et manquements de la politique pénitentiaire française

Présents. – Mme Caroline Abadie, M. Philippe Benassaya