Intervention de Gabriel Serville

Séance en hémicycle du jeudi 18 juin 2020 à 15h00
Garantie salaire-formation — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGabriel Serville, rapporteur de la commission des affaires sociales :

Alors que notre pays sort doucement d'une crise sanitaire sans précédent, dont les vagues commencent à peine à frapper de toutes leurs forces de nouveaux pays tels que le Brésil, et alors qu'une partie du territoire national fait encore l'objet de mesures de confinement – je pense notamment à la Guyane, que je représente dans notre assemblée, ainsi qu'à Mayotte – , une certitude semble se préciser à l'horizon : notre économie subira, pendant plusieurs années encore, l'onde de choc de ce qui s'apparente à un véritable tsunami social prêt à emporter des millions d'emplois sur son passage.

Les derniers chiffres de Pôle emploi sont vertigineux : entre le 1er février et le 30 avril derniers, le nombre de demandeurs d'emploi de catégorie A, c'est-à-dire sans aucun emploi déclaré, a crû de plus d'un million, dont 843 000 rien qu'au mois d'avril – c'est 22,6 % de plus par rapport au mois de mars – , pour atteindre le chiffre record de 4,6 millions de demandeurs d'emploi. Dépitée, madame la ministre du travail, vous avez d'ores et déjà avoué que le taux de chômage dépassera, à très court terme, la barre symbolique des 10 %, à des années-lumière de l'objectif de 7 % fixé pour justifier les innombrables attaques contre notre droit du travail et notre système de protection sociale. Les trois quarts de la hausse du chômage s'expliquent par le passage en catégorie A de demandeurs d'emploi inscrits en catégories B et C au mois de mars, c'est-à-dire ceux qui avaient une activité réduite.

Cette envolée touche particulièrement les secteurs qui ont été les plus pénalisés par les mesures de confinement, à savoir l'hôtellerie, la restauration, le tourisme, le bâtiment ou encore le monde du spectacle – la liste est longue, et j'en oublie certainement. Les jeunes sont les plus touchés, avec une augmentation de 29,4 % des demandeurs d'emploi de moins de 25 ans en avril. Cela devrait malheureusement empirer du fait de l'arrivée sur le marché du travail de 700 000 jeunes en fin d'études ou de formation. Manifestement, l'arrêt de l'activité économique a pénalisé les plus précaires, les intérimaires ou ceux qui avaient des contrats courts, que la réforme de l'assurance chômage avait fini d'affaiblir.

Du côté de Bercy, l'ambiance est aussi morose, puisque le ministre de l'économie et des finances évoque un choc économique extrêmement brutal et prévoit une récession de 11 % pour 2020, largement au-dessus des 8 % envisagés au niveau européen par la Banque centrale européenne. D'après l'Observatoire français des conjonctures économiques, le PIB de la France a diminué de 32 % pendant la période de confinement, à tel point que l'OFCE considère qu'une telle chute de l'activité n'a jamais été observée, à part peut-être en temps de guerre. En Guyane et à Mayotte, les mesures de confinement encore imposées risquent d'aboutir à des constats locaux encore plus catastrophiques.

Dans ce contexte, il est impératif d'anticiper les prochaines vagues en changeant sans délai l'orientation politique adoptée depuis 2017, qui a d'ailleurs valu la désertion d'une partie de l'aile gauche de la majorité et dont les effets ne feront qu'aggraver ceux de la crise du coronavirus. Si l'abandon pur et simple de la honteuse réforme de l'assurance chômage précitée apparaît comme un prérequis nécessaire et non négociable – de même que le renforcement des moyens de Pôle emploi – , cela ne suffira pas. Il nous faut mettre en place de nouvelles protections sociales pour mieux protéger les plus fragiles, qui ne doivent pas être sacrifiés sur l'autel de la reconstruction économique. En somme, il est urgent de déployer rapidement des solutions opérationnelles pour accompagner celles et ceux qui, dans les prochains mois, vont perdre leur emploi. Pour ce faire, nous devons tirer tous les enseignements de l'après-crise économique de 2008, en évitant le piège que constituerait un simple accompagnement social de la précarisation du travail, comme cela a été le cas à l'époque.

L'accélération du réchauffement climatique et la prise de conscience de la nécessité de s'orienter vers un modèle de société plus durable doivent absolument motiver de nouvelles perspectives pour le monde du travail, en lien avec les nécessaires transformations écologiques et sociales de notre économie. Il doit y avoir un après-covid, qui ne consiste pas à reprendre nos vieilles habitudes de consommation sans vision de long terme. C'est là que réside tout le pari de ces prochains mois : adapter la protection sociale aux nouveaux enjeux sanitaires, sociaux et environnementaux pour faire rimer reconstruction écologique avec reconstruction sociale.

En clair, nous devrons passer par des plans de reconversion des emplois et des qualifications, ce qui suppose de faire évoluer drastiquement l'accompagnement des salariés vers ces nouvelles compétences attendues, en lien avec l'évolution des outils de production.

C'est pourquoi cette proposition de loi du groupe de la Gauche démocrate et républicaine vise à jeter les bases d'une véritable sécurité sociale professionnelle afin de maintenir les droits des salariés entre deux périodes d'emploi. Cela passera par la création d'une garantie salaire-formation qui, en s'appuyant sur des dispositifs existants ayant largement prouvé leur efficacité, tels que le congé de reclassement et le contrat de sécurisation professionnelle, sécuriserait la rémunération des salariés sur une période pouvant aller jusqu'à vingt-quatre mois après le licenciement économique tout en permettant à chaque bénéficiaire de se former et de bénéficier soit d'un accompagnement personnalisé et de qualité en vue d'un retour à l'emploi, soit d'une reconversion professionnelle dans des secteurs d'avenir au service de la transition écologique et sociale de l'économie.

En effet, le contrat de sécurisation professionnelle – CSP – et le congé de reclassement sont, pour l'heure, réservés aux salariés licenciés pour motif économique. Le CSP, dont les modalités concrètes de mise en oeuvre sont directement définies par les partenaires sociaux, est destiné aux salariés licenciés d'entreprises de moins de 1 000 salariés. Quant au congé de reclassement, il s'adresse aux salariés d'entreprises d'au moins 1 000 salariés ; contrairement au CSP, qui bénéficie d'un cofinancement, il est intégralement pris en charge par l'employeur.

Encore trop peu sollicités – à peine 2 % des inscrits à Pôle emploi bénéficiant par exemple d'un CSP – , ces dispositifs ont fait leurs preuves. Selon la direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques, la DARES, les deux tiers des bénéficiaires d'un contrat de sécurisation professionnelle ont retrouvé un emploi au cours des vingt-quatre mois suivant leur adhésion au dispositif, dont 40 % un emploi durable.

C'est la raison pour laquelle, afin de sécuriser les transitions professionnelles des actifs pendant cette période de crise et de mieux tenir compte des enjeux de la transition écologique, notre proposition de loi invite à élargir le champ des bénéficiaires du CSP et du contrat de reclassement. Elle propose également d'ajuster leurs objectifs. Loin de toute idéologie, notre attention particulière à la transition écologique en tant que secteur d'avenir tient au fait qu'il s'agit d'une source potentielle de création d'emplois dans de nombreux domaines. C'est le cas dans le bâtiment, par exemple, car il faudra continuer à mieux isoler les logements et à les adapter aux conditions du réchauffement climatique, en particulier dans les zones côtières des Antilles et de la Réunion. C'est aussi le cas dans le secteur agricole, pour tendre vers une agriculture plus soutenable, ou encore dans les biotechnologies, pour accompagner la transition énergétique.

En déployant à grande échelle le mécanisme efficace du chômage partiel, qui a permis de nationaliser les salaires au plus fort de la crise – et de ce fait, une partie des pertes potentielles de nos entreprises – , le Gouvernement a montré sa volonté d'éviter la casse sociale. Il faut effectivement saluer ce choix. Avec la garantie salaire-formation, nous avons l'occasion d'aller plus loin, en concrétisant et en pérennisant cette volonté. Celle-ci doit être le pendant, pour les salariés, des solutions imaginées pour accompagner le patronat, souvent sans aucune garantie sociale, comme on peut le constater avec le scandale annoncé de Renault. Madame la ministre, ne serait-ce pas l'occasion d'amorcer le fameux virage social réclamé jusque dans les rangs les plus fidèles de la majorité…

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