Intervention de Jean-Christophe Lagarde

Séance en hémicycle du mardi 3 mars 2020 à 15h00
Motions de censure — Discussion commune

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Christophe Lagarde :

Cet examen inachevé du texte nous laisse néanmoins quelques satisfactions. Vous avez retenu un certain nombre d'amendements, qui peuvent constituer de véritables apports. Parmi eux se trouvent quelques-uns des nôtres, comme celui visant à favoriser la retraite progressive, et celui visant à ce que la nomination du directeur général de la Caisse nationale passe par une audition – utile – devant le Parlement – encore qu'il eût mieux valu que le Parlement soit représenté au sein de cette Caisse nationale, comme il l'est au sein d'autres institutions.

Nous avons toutefois des regrets et de véritables interrogations, auxquelles seule la suite du parcours parlementaire du texte pourra répondre. Nous aurions souhaité que la retraite par capitalisation ne soit plus un tabou : l'exemple de certains de nos voisins européens – je pense aux Suédois – devrait nous inspirer. L'idéal, à nos yeux, serait un système mixte, avec une part de capitalisation obligatoire pour tous, et pas seulement pour les plus aisés, et avec un encadrement satisfaisant qui permette de garantir la valeur du point. Je pense que nous y viendrons un jour, car il s'agit de la seule garantie possible pour nos jeunes d'avoir, le moment venu, une retraite digne dont le fardeau ne serait pas trop lourd pour leurs propres enfants.

Je regrette également que d'autres pistes de financement plus audacieuses n'aient pas été étudiées : la semaine de 37 heures, par exemple, plutôt qu'un âge d'équilibre à 65 ans.

Quoi qu'il en soit, le financement du futur système, monsieur le Premier ministre, a été renvoyé à la conférence de financement. Pour avoir plaidé, dans une tribune, avec Hervé Marseille, président du groupe centriste au Sénat, et Patrick Mignola, président du groupe MODEM à l'Assemblée nationale, en faveur d'une conférence sociale avant même le dépôt du projet de loi, permettre aux organisations syndicales et patronales d'aboutir à des pistes me convient. En revanche, nous n'avons pu suffisamment traiter de ces questions, formuler des propositions, éclairer le débat – voire quasiment pas si l'on considère la discussion baroque que nous avons eue dans l'hémicycle.

Il convient également d'avancer sur la pénibilité, monsieur le Premier ministre, ou plus exactement sur l'usure entraînée par certains métiers. La question est plus que complexe et s'est malheureusement focalisée, ces dernières années, sur une liste de facteurs de pénibilité, alors que nous devrions plutôt nous appuyer sur la démographie des professions, car la plus grande inégalité devant la retraite est le temps dont en bénéficieront les professions les plus favorisées par rapport aux ouvriers. Sur cette question comme sur d'autres, les points qui remplacent les trimestres doivent devenir l'opportunité de permettre des retraites plus précoces aux métiers les plus usants et qui provoquent une diminution de l'espérance de vie.

Mes chers collègues, ces motions de censure sont légitimes, mais nous considérons qu'on ne mène pas à bien une réforme en renversant un gouvernement, surtout en période de crise. Le texte va maintenant poursuivre sa navette au Sénat, où l'obstruction ne fait pas partie des habitudes et où l'utilisation de l'article 49, alinéa 3, est impossible. Ce sont donc nos collègues sénateurs qui accompliront le travail que nous, représentants du peuple français, n'avons pu faire ici. Nous le regrettons amèrement et comptons sur eux pour que des améliorations, des modifications, des réponses soient apportées, notamment aux questions que je viens d'évoquer.

Il reste encore du temps pour rendre cette réforme lisible. Ce n'est pas une mince affaire dans la mesure où elle remet tout à plat, mais c'est une nécessité pour la rendre réellement acceptable par nos concitoyens. Nous espérons encore dans la navette parlementaire pour faire de ce système un système financé et juste pour les carrières non linéaires, peu rémunératrices, ou usantes, sans quoi il ne donnera pas confiance aux jeunes générations, qui s'imaginent souvent qu'elles cotisent, mais qu'elles n'auront pas droit, demain, à une retraite. Sur ce sujet – comme d'ailleurs sur celui du changement climatique – , nous leur devons de restaurer cette confiance, au-delà de toutes les considérations électorales de court terme.

Pour finir, je dirais, monsieur le président, que cet épisode confirme qu'il y a une chose de malade dans notre système institutionnel. Le rôle d'une assemblée n'est pas de bavarder ou de produire des liasses d'amendements ; il est d'éclairer l'opinion, de trancher, de faire la loi et de l'évaluer. Soit parce qu'elle n'en a pas la capacité, soit parce qu'elle ne s'en donne pas la possibilité, l'Assemblée nationale est déjà bien faible dans notre système institutionnel. Pour l'avenir, notre groupe formule le voeu que nous fassions en sorte, collectivement, qu'elle ne s'affaiblisse pas davantage elle-même.

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