Intervention de Caroline Haegelin

Réunion du jeudi 20 juin 2019 à 16h15
Mission d'information sur l'aide sociale à l'enfance

Caroline Haegelin :

Mesdames, Messieurs, je suis éducatrice spécialisée diplômée d'État. J'ai fait de la protection de l'enfance l'axe principal de ma carrière. Après de courts passages en maison d'enfants, puis à la protection judiciaire de la jeunesse, J'ai exercé au service d'investigations éducatives du Haut-Rhin en tant qu'éducatrice spécialisée et désormais comme chef de service.

La mesure d'investigation judiciaire est l'amorce de toute mesure en assistance éducative. Outil d'aide à la décision du magistrat, elle nécessite une connaissance fine des problématiques inhérentes à l'enfance en danger, mais également des dispositifs existants sur le territoire. C'est de cette place et à la lumière de cette expérience que je m'adresse à vous aujourd'hui.

La loi du 5 mars 2007 a mis l'accent sur l'intérêt de l'enfant avec une volonté affichée de renforcer la prévention et de déjudiciariser les accompagnements éducatifs en travaillant les notions de collaboration et d'adhésion. Si cette loi s'est avérée stimulante pour les professionnels et les associations, permettant une certaine créativité et des innovations, notamment le développement de mesures renforcées, les placements séquentiels et alternatifs, et les accueils éducatifs de jour, ces dispositifs ont souvent été mis en place à moyens constants, entraînant de fait une diminution des places dites classiques au bénéfice des mesures renforcées. Il en résulte l'augmentation des listes d'attente et une dégradation des situations qui s'avèrent non traitées.

En outre, la loi de 2007 modifie le parcours de l'information préoccupante et du signalement, entraînant notamment une multiplicité d'intervenants auprès des mineurs et de leurs familles dans le cadre des rapports de protection de l'enfance, puis des mesures d'investigations de proximité, puis une judiciarisation, puis une EMJ, puis une AMO. Les familles accompagnées voient intervenir à chaque fois un autre travailleur social et un autre service.

Sur le terrain, auprès des enfants et de leurs familles, ces éducateurs spécialisés, assistants sociaux, assistants familiaux, travailleurs en intervention sociale et familiale, et magistrats de la jeunesse démontrent chaque jour leur engagement sans faille, leur optimisme et leur volonté d'innover à l'endroit de l'enfance en danger. Avec pour consigne de devoir faire plus et mieux avec moins, ces professionnels s'épuisent face à des situations toujours plus dégradées, marquées par la précarité croissante, les parcours migratoires complexes et des situations de violences intrafamiliales.

À l'image de certains reporters de guerre – excusez la comparaison – ces professionnels sont au front et se trouvent souvent démunis face à l'absence de solutions adaptées aux besoins de l'enfant. Ils observent, analysent et restituent, puis se heurtent au manque de places et à des dispositifs embolisés.

Je dresserai une liste non exhaustive de quelques problématiques que j'entrevois de ma place et sur mon territoire. 90 enfants évalués en situation de danger dans leur famille attendent une place d'hébergement en maison d'enfants dans le Département du Haut-Rhin. Ces structures se trouvent en sureffectifs alors qu'elles ne disposent pas moyens humains et matériels. On se trouve dans de situations où il faut aller chercher un lit chez Ikea pour accueillir un enfant dans la soirée alors qu'il se trouve déjà dans les locaux. Je pose la question de l'éthique et de l'humanisme dont nous ne pouvons plus faire preuve dans certaines situations.

Nous manquons de structures pour les jeunes présentant des troubles psychiatriques ; les services hospitaliers étant totalement engorgés avec six, dix, douze mois d'attente. Nous avons des jeunes ayant des idéations suicidaires pour lesquels nous n'avons pas de place en hospitalisation.

Nous constatons un manque de dispositifs de prévention, notamment pour les jeunes en situation de décrochage scolaire, ainsi qu'une difficulté à recruter des professionnels formés, notamment en internat et en maison d'enfants. Les métiers d'éducateur spécialisé et d'assistant social ne font plus rêver. Voici quinze ans, lorsque j'ai passé le concours d'éducateur spécialisé, c'était une aubaine d'avoir un poste rapidement. Aujourd'hui, devant les métiers du social, notamment en protection de l'enfance, il apparaît indispensable de rendre les métiers du social à nouveau attractifs et valorisants.

L'intérêt du mineur et de sa famille devrait être au coeur de nos préoccupations. Or les mesures flash, courtes parce que renforcées, ne prennent pas forcément en compte les temporalités de l'enfant et des familles qui diffèrent de celles du financeur ou de la justice. Parfois, le temps permet aux situations de se dénouer et nous en manquons.

J'observe également un manque de continuité dans le parcours de l'enfant avec des parcours de placement morcelés et de nombreux changements de professionnels, ce qui vient à l'encontre du besoin fondamental de stabilité pour l'enfant comme évoqué par Mme Martin-Blachais.

Je veux néanmoins injecter dans mon propos une touche d'optimisme. L'innovation et la créativité dont font preuve les professionnels de la protection de l'enfance amènent à l'émergence de mesures de milieux ouverts renforcés très efficaces où le travail avec les familles autour de la parentalité peut s'amorcer efficacement. À Mulhouse, l'association Le Lieu propose aux jeunes très abîmés une prise en charge éducative hors les murs qui fait ses preuves. Le dispositif d'éthnoclinique, qui est particulièrement innovant et éclairant, nous permet de prendre en compte l'intégralité de la famille et ses spécificités, et d'y apporter les réponses les plus adaptées.

Afin que mon métier de travailleur social garde, voire retrouve du sens, je suggère l'augmentation de places d'accueil en maisons d'enfants et en familles d'accueil, associée à une hausse des moyens humains afin qu'un travail bienveillant et efficace puisse être mené. Je suggère une augmentation des places en structures spécialisées de type ITEP avec des passerelles possibles entre l'assistance éducative et le handicap. La double vulnérabilité liée au handicap et à la précarité ou aux difficultés familiales se juxtapose et rend la situation des enfants plus complexe encore.

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