Intervention de Yannick Cravageot

Réunion du jeudi 20 juin 2019 à 16h15
Mission d'information sur l'aide sociale à l'enfance

Yannick Cravageot :

Bonjour à toutes et à tous. C'est une grande fierté pour moi d'être présent aujourd'hui. J'évoquerai la créativité dont les territoires savent faire preuve. Je ne reviendrai pas sur les thèmes abordés assez justement par ma collègue. Ma volonté est de vous présenter une vignette de ce qui se fait à Toulouse et à Colmar.

Je m'appelle Yannick Cravageot. Je suis chef d'un service d'investigations administratives. Ce service est le seul en France à procéder à des investigations à la demande du Conseil départemental et non sur saisine du juge pour enfants, ce qui illustre la volonté du Département de trouver des solutions pérennes aux problématiques en termes de prévention et la volonté de l'ARCEA que je représente aujourd'hui de s'inscrire dans ces problématiques.

À partir de 2003, les inspecteurs de l'aide sociale à l'enfance ont fait émerger quelques demandes en termes de besoins. Il s'agissait notamment de pouvoir bénéficier d'une mesure d'investigation qui puisse les éclairer quand la notion de danger est insuffisamment efficiente pour pouvoir la judiciariser et qu'il demeure un certain nombre de troubles et de questions en suspens sur ces situations. La loi de 2007 qui inscrit le principe de subsidiarité entre le judiciaire et l'administratif a donné davantage de matière à ces demandes pour aboutir, en 2012, à la création d'un service autonome que je dirige aujourd'hui. Nous y faisons uniquement des mesures administratives. Ces compétences administratives des inspecteurs ont été transférées aux espaces solidarité, en l'occurrence aux chefs de service adjoints, dans une perspective de prévention accrue.

Le service, qui intervient sur l'ensemble du territoire haut-rhinois a une capacité d'accueil de 145 mineurs de 0 à 18 ans sur l'année et repose sur l'intervention d'une équipe composée d'un assistant du service social, deux éducateurs spécialisés, une éducatrice de jeunes enfants à temps plein et deux psychologues pour 1,5 équivalent temps plein. Nous avons la chance d'avoir l'équation suivante : une mesure = un mineur, ce qui n'est pas le cas de toutes les mesures qui peuvent exister. La mesure dure six mois non renouvelables et repose sur un contrat tripartite entre le Conseil départemental, les détenteurs de l'autorité parentale et le service que je représente.

Nous avons pour mission d'éclairer les chefs de service adjoints sur la notion de danger, devant entourer les mineurs qui nous sont confiés, de mettre en lumière où se situent les compétences et les difficultés du mineur et de sa famille, et de proposer un projet adapté répondant au plus près des problématiques des familles. Nous nous sommes rendu compte de la nécessité d'adapter les projets singuliers afin de répondre à la famille dans sa temporalité.

Cette dimension administrative pose un certain nombre de questions car elle repose sur l'accord des détenteurs de l'autorité parentale. Jusqu'où peut-on dire qu'une famille est pleinement d'accord et que l'adhésion est entière ? Tel est le travail du service, ce qui sous-entend que si nous devons éclairer la décision du chef de service adjoint, nous devons aussi rendre des comptes à la famille sur nos observations, ce que nous comprenons de la situation et la manière dont nous leur transmettrons pour cheminer avec eux et tenter de comprendre pourquoi ils se sont trouvés sous le phare de l'aide sociale à l'enfance.

Nous intervenons à partir du moment où un signalement a été fait auprès de la famille ayant donné lieu à une évaluation de secteur. Lorsque la situation demeure obscure, il est possible pour nos partenaires de demander une mesure d'investigation.

Chaque famille est accompagnée par un binôme de professionnels composé d'un travailleur social et d'une psychologue sur le principe de la responsabilité partagée. Chacun de ces professionnels a une dimension d'investigation et un travail de recherche portant vers une certaine vérité à mener et une forme d'accompagnement auprès des familles. La question qui nous anime est de savoir où s'arrête l'investigation et où commence l'accompagnement. Nous ne sommes pas un service d'accompagnement. Pourtant, générer de l'accompagnement nous permet de récolter un nombre d'informations infini sur les ressources sur lesquelles peut s'appuyer la famille. Il nous appartient d'étayer les fragilités et de favoriser ce qui fonctionne car les familles sont très créatives quand il s'agit de se sortir des situations les plus périlleuses et très en demande d'aide.

Les services sont saturés et il n'est pas très vendeur de proposer une mesure d'investigation alors que la famille a déjà fait l'objet d'une évaluation et qu'elle se trouve dans l'attente de l'intervention d'un éducateur. Il s'agit d'accompagner ces familles vers la compréhension de l'origine du problème et d'éclairer le symptôme. Si les signalements émanent largement de l'Éducation nationale, des territoires ou des centres de pédopsychiatrie, l'idée de l'enfant symptôme est peut-être la partie la plus visible de l'iceberg. Pour un enfant en difficulté, il existe une problématique multifactorielle sur laquelle nous devons intervenir et qui dépasse largement la seule question de l'enfant.

Sur le territoire haut-rhinois, nous constatons une augmentation des phénomènes de paupérisation, d'isolement et de violences conjugales. On ne parlera jamais assez de ces enfants qui sont victimes de ces violences conjugales avec des difficultés scolaires, des fragilités éducatives et psychiques. On pourrait parfois se croire dans l'antichambre de la psychiatrie, mais je vous assure que nous initions autant de parcours de soins pour les mineurs que pour leurs parents, ce qui pose un certain nombre de problèmes. Comment penser la parentalité dès lors que des troubles psychiques entravent ces possibilités ? Cela requiert du diagnostic, du soin, des orientations et de la formation. Nous y travaillons, mais sommes dépassés par le phénomène. Cela demande aussi un travail de collaboration avec les services de soins comme pour tout autre partenaire.

Notre deuxième mission consiste à travailler sur un tissu partenarial dense. Nous ne pouvons pas tout faire avec les familles. L'idée est de pouvoir générer un certain nombre de projets et de voir jusqu'où les familles s'en saisissent, ce qui est trop difficile et jusqu'où nous pouvons les amener. Pour beaucoup, nous devons les ramener autour du droit commun et nos institutions font souvent peur aux familles qui s'en échappent autant qu'elles le peuvent. Certaines familles ont été prises dans des parcours d'accompagnement multiples. La difficulté réside dans le pilotage. Ces parcours se perdent dans le temps et peinent à prendre du sens pour les familles.

Notre rôle est aussi de travailler un tissu partenarial le plus dense possible et de générer des rencontres pluriprofessionnelles dans l'intérêt de l'enfant et autour de lui. Il s'agit de susciter des tables rondes autour de situations d'enfants présentant des difficultés scolaires, de soins, sociales ou familiales afin d'envisager jusqu'où aller dans le domaine de compétences de chacun. Dans nos corps de métiers, il n'est pas simple de parvenir à se faire confiance. Il ne s'agit pas d'une remise en question ou d'un aveu de faiblesse de se dire qu'une institution ne peut plus s'occuper à elle seule de la situation d'une famille. Pour une situation, quatre, cinq, voire sept partenaires doivent être mobilisés sur six mois ou presque un an pour qu'un accompagnement au long cours puisse se faire. Se pose la question du sens pour la famille. Il s'agit souvent de familles que nous perdons en cours de route en raison d'un trop grand nombre d'intervenants, ce qui nous conduit à devoir faire des choix sur ce qui nous semble prioritaire. En ce qui nous concerne, il s'agit de la notion de danger et de mise en sécurité de l'enfant, mais des ponts sont possibles.

Même si les territoires sont un peu inégaux, nous sommes relativement bien dotés dans le Haut-Rhin. À Mulhouse, ainsi qu'à Colmar et sa périphérie, un tissu associatif très important nous permet de trouver des solutions et d'éviter d'orienter des familles vers des services d'accompagnement engorgés comme les services d'aide éducative à domicile. Il n'est pas rare qu'il y ait entre sept et huit mois d'attente, des placements non exécutés en nombre et des attentes infinies en pédopsychiatrie. Toutes les familles ne peuvent se permettre de travailler avec un professionnel en libéral.

La notion de temporalité est difficile à maîtriser car la mesure ne dure que six mois. Ces temporalités ne sont pas toujours compatibles. Il faut laisser le temps à ses familles de faire le deuil de situations familiales traumatiques. Cet élément de travail demande un minimum de formation.

Il convient d'inscrire une pratique aussi créative que possible. Nous avons la chance d'être soutenus par un directeur qui nous aide à développer un certain nombre de projets permettant d'affiner l'observation. Qu'entend-on par la notion de danger ? Il existe une définition de l'enfance en danger, mais je ne suis pas sûr que nous ayons tous la même. Qu'entend-on par moralité et sécurité affective ? Cette question demande à pouvoir disposer de référents clairs afin de tendre vers une investigation aussi objective que possible.

Suite à de nombreuses demandes, nous avons développé quelques actions autour de l'observation du jeune enfant, ce qui ne relève pas tout à fait de notre rôle en tant que travailleurs sociaux. On n'observe pas de la même manière un enfant de 3 mois et un enfant de 17 ans. Nous cherchons à identifier les compétences dans les territoires et dans l'équipe à mettre en oeuvre pour répondre à cette question. Des formations autour de l'analyse systémique de la médiation familiale sont nécessaires car les divorces qui n'en finissent plus engorgent nos services et détruisent la parentalité et ces enfants qui se retrouvent dans des conflits de loyauté féroces.

Les travaux de recherche autour de l'éthnoclinique sont menés par notre directeur, mais nous en sommes un peu héritiers. À Mulhouse, plus de 117 nationalités se croisent, ce qui n'est pas sans poser un certain nombre de problèmes, même si cela génère aussi beaucoup de richesse. Nous accueillons de nombreuses familles issues de l'immigration à la rencontre desquelles nous ne pouvons aller sans être au plus près de ce qu'elles ont pu vivre, de là où elles en sont dans leur exil et de leurs repères. La notion d'éducation est différente chez nos voisins européens ou ailleurs. Dans certaines situations, l'aide sociale à l'enfance a tendance à appeler l'attention sur un danger, ce qui n'est pas du tout pensé de la même manière dans la pratique et la culture. La question est de savoir comment établir des passerelles pour aller à la rencontre de l'autre et travailler dans ce respect. La dimension éthnoclinique est un outil qui nous permet de comprendre un peu mieux cette dimension.

Nous travaillons aussi avec des personnes ressources, notamment avec un médecin pédiatre et un médecin psychiatre. L'idée est de mettre au travail toutes les forces vives qui existent sur le territoire autour de ces familles. Nous ne disposons que de six mois. Le temps nous est compté.

Cette mesure d'investigation administrative est un outil fantastique à destination des départements. Il est regrettable que nous n'ayons pas l'équivalent sur le territoire. Dernièrement, au cours d'un colloque, un certain nombre de chefs de service faisaient valoir qu'ils n'en disposaient pas. Tout ne peut être judiciarisé. Il faudrait trouver des alternatives. Le Conseil départemental reste en difficulté face à ces situations.

L'idée est de pouvoir faire du service d'investigations un laboratoire. Si des Conseils départementaux sont intéressés, nous nous tenons à leur entière disposition pour travailler sur ces questions car je suis convaincu qu'il s'agit d'une réelle plus-value dans le cadre de la protection de l'enfance.

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