Intervention de Mathilde Panot

Séance en hémicycle du lundi 17 juin 2019 à 16h00
Engagement citoyen — Discussion d'une proposition de résolution

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMathilde Panot :

Nous voici aujourd'hui réunis pour discuter d'une proposition de résolution dont le titre me laisse déjà plus que perplexe : inviter le Gouvernement à poursuivre et amplifier son effort en faveur d'une politique ambitieuse d'engagement citoyen. Cela ne vous surprendra pas, monsieur le secrétaire d'État : je ne vous soutiendrai pas pour poursuivre et amplifier votre politique, bien au contraire !

En politique, il faut avoir de la mémoire – et en la matière, il n'y a pas à chercher très loin. C'était en août 2017. Le Gouvernement baissait alors considérablement le budget alloué aux contrats aidés, ce qui mettait en péril de très nombreuses associations : 120 000 contrats aidés ont été supprimés depuis le début de l'année 2018 ; 25 000 associations ont disparu depuis septembre 2017 ; entre 900 millions et 1,3 milliard d'euros du budget de l'État consacré aux associations ont ainsi disparu.

Ces associations permettaient pourtant de maintenir du lien social là où l'État et les services publics avaient déserté. Le Gouvernement, avec ses calculs d'épicier, a perçu ces contrats comme une charge, un coût supplémentaire. Les associations concernées s'engageaient dans les domaines de la culture, du spectacle vivant, de l'aide à la personne, de la petite enfance.

Au-delà des chiffres, ce sont des visages et des vies : Myriam qui, mi-septembre, ne savait pas si elle avait encore un emploi à la fin du mois ; Jean, en fauteuil roulant, qui avait retrouvé goût à la vie en allant nager une fois par semaine et qui a perdu ce plaisir et ce loisir car l'association a dû fermer ; Mehdi, qui pendant plusieurs mois n'a pas pu accéder à la bibliothèque de son école car le contrat aidé de la bibliothécaire était terminé. Ce sont aussi ces enfants des quartiers populaires qui ont perdu 25 000 éducateurs sportifs. Vous avez oublié que ces contrats aidés étaient surtout des contrats utiles socialement et écologiquement. Plutôt que de les pérenniser, vous les avez supprimés. La suppression de ce budget en disait déjà long sur la vision qu'a le Gouvernement de l'engagement citoyen et de tous ceux qui oeuvrent pour l'intérêt général.

Mais voilà qu'en 2019, nous reparlons d'engagement citoyen ! Nous serions heureux de cette discussion si l'engagement citoyen version « La République en marche » ne se réduisait pas à la précarisation généralisée et à la glorification du marché !

Ne voyez aucune malice dans le rappel de la suppression des contrats aidés ! Le sort des associations, dont la survie dépendait de ces contrats, n'est que l'exact reflet du traitement aujourd'hui infligé à tous ceux qui exercent dans le service public. Comment vous croire lorsque d'une main, vous entendez valoriser l'engagement citoyen alors que de l'autre, vous gelez les salaires des agents du service public et refusez de revaloriser leurs statuts ? Pensez-vous qu'ils n'oeuvrent pas suffisamment pour le bien commun ? Pensez-vous que nos professeurs, nos pompiers, nos infirmières, nos aides-soignants aux côtés des patients soient exclus de ce que vous appelez « l'engagement citoyen » ? Votre définition est étroite, limitée à cette start-up nation qui vous enthousiasme alors que c'est la vision la plus étriquée du pays qui nous a jamais été présentée. Nous n'avons pas la même définition de l'engagement citoyen.

Ce texte trace les contours du modèle de société que vous voulez imposer, celui où l'on privatise toutes les prérogatives qui appartenaient autrefois à l'État. Là où vous vous montrez les plus ambitieux, les plus soigneux, les plus perspicaces, c'est toujours pour dénicher les parcelles de l'État qui peuvent être cédées au privé. Votre inventivité en ce domaine n'a aucune limite. Votre mot d'ordre, c'est la marchandisation de l'action sociale. Rentabiliser le temps passé à aider les autres, faire fructifier la solidarité, en amortir les coûts : voici votre Sainte Trinité ! L'expérience du Président dans la banque semble l'avoir inspiré, et vous avec.

Votre fonds d'expérimentation pour la jeunesse en est la preuve : l'objectif est d'inciter les entreprises à y contribuer pour délester l'État de ses missions de service public. Vous préférez faire confiance à la Fondation Total pour financer et animer des projets pédagogiques. Vous permettez ainsi à des entreprises de pratiquer un « social » et un « green washing » à peu de frais. Ce genre de mesure transforme un peu plus l'État en simple promoteur de la responsabilité sociale et environnementale des entreprises. Est-ce parce que la plupart d'entre vous ont autrefois exercé dans le secteur privé que vous avez à ce point le souci de redorer le blason des entreprises ?

On imagine déjà l'étape suivante dans la société de vos rêves, celle où des chambres d'hôpital seraient financées par Coca-Cola ou des écoles par Nutella. Quand on sait que Total fait partie des entreprises qui polluent le plus à l'échelle planétaire, on ne peut que s'interroger sur votre curieuse vision de l'engagement citoyen. Quand vous fermez les yeux sur les activités de cette entreprise et la mettez au contact de la jeunesse, vous montrez tout votre mépris : vous faites des jeunes de simples faire-valoir pour des transnationales mortifères qui veulent se racheter une moralité.

Vous les dédaignez aussi avec votre proposition de service national universel révisé à la baisse. Il n'a de grand que le nom : un projet au coût exorbitant – un milliard par an – qui vous permet d'invoquer « la République », « la cohésion sociale », sans vous attaquer aux racines du problème. Les jeunes de 18 ans que vous enverrez un mois au service national universel pour donner l'illusion d'un brassage social auront malheureusement déjà été les témoins des inégalités. Ils auront déjà pâti des coupes budgétaires dans l'éducation, dans la culture et dans tous nos services publics, ils auront déjà vu leurs professeurs faire grève – comme aujourd'hui – , leurs classes délabrées faute du budget nécessaire à leur rénovation, leur avenir entravé par les manigances du ministre de l'éducation.

Cette proposition résume votre cynisme : vous voulez mettre un vernis sur un meuble que vous ne cessez de détruire depuis le début du quinquennat.

Il faut donc s'interroger sur ce que vous entendez par engagement citoyen. Lorsque les gilets jaunes se sont élancés sur les ronds-points pour réclamer leurs droits, vous avez préféré contenir la mobilisation à coups de matraque et de « Grand débat national ». Ils inventaient de nouvelles formes de mobilisation, parlaient entre eux de leurs problèmes quotidiens après des années de silence. Des amitiés durables s'y sont nouées. Mais cet engagement citoyen vous a déplu.

Les militants écologistes poursuivis par la justice vous saluent également. Les derniers en date ont été condamnés à verser des amendes de 1 000 à 2 000 euros pour avoir décroché des portraits du Président dans les mairies. Des procès sont encore à venir. Leur tort ? Avoir dénoncé le vide de la politique écologique du Gouvernement. Certes, leur engagement citoyen n'est pas en votre faveur, mais il va dans le sens de la préservation du vivant et de l'intérêt général humain. Depuis le début du mandat, j'ai perdu espoir que vous parveniez à l'entendre un jour.

Enfin, je ne peux parler d'engagement citoyen sans évoquer ce qui s'est déroulé ce week-end. Je tiens, depuis cette tribune, à saluer chaleureusement le syndicaliste et postier Gaël Quirante. Il mène depuis 14 mois une grève à la Poste des Hauts-de-Seine pour l'amélioration des conditions de travail des facteurs. Il se bat avec les postiers pour que ce service public essentiel soit garanti sur tout le territoire alors que, déjà, un bureau de poste sur deux a été fermé en vingt ans. Or Gaël Quirante a été arrêté à six heures du matin ce week-end et placé en garde à vue pour ses activités syndicales. Il a été libéré cet après-midi. Hommage lui soit rendu, à lui qui porte haut les couleurs du combat social et de la solidarité ! Hommage lui soit rendu, à lui qui ne se soumet pas à la volonté de ceux qui souhaitent écraser quiconque résiste à l'empire de l'argent, où que ce soit !

Tout cela montre qu'il y a des engagements citoyens que vous tolérez moins que d'autres. Mener un projet sur le développement durable financé par Total, alors là, oui ! Réclamer des droits et lutter pour l'intérêt général, alors là, non ! En somme, vous préférez l'engagement citoyen « pépère » – vous me passerez l'expression – , celui qui vous convient et ne saurait vous desservir.

Il y a l'engagement qui va dans votre sens et celui qui le contrarie. Pour celui-ci, vous ne mettez pas les petits plats en porcelaine dans les grands. Non : vous préférez les gardes à vue prolongées, la matraque et les procès à répétition.

L'engagement citoyen que je défends à cette tribune est celui qui s'oppose à vous, qui êtes en train de saccager la République. L'engagement citoyen que je veux saluer, c'est celui de celles et ceux qui, sans jamais penser à s'en mettre plein les poches, regardent autour d'eux si leurs semblables se portent bien, de celles et ceux qui, à la violence, opposent l'espoir d'un monde plus juste. Aussi fatigués soient-ils, aussi immense que soit la tâche, personne ne leur fera courber l'échine ! Ils continueront, nous continuerons à vous opposer toutes nos raisons d'espérer pour demain ! Notre humanité est de ces forces que nul ne peut ôter !

L'engagement citoyen, à cette heure, c'est de signer pour le référendum sur Aéroports de Paris afin que vous cessiez de prendre le patrimoine national pour votre bien particulier. Comme le disait mon collègue Ruffin, un seul mot d'ordre à cette heure pour l'engagement citoyen : « Référendum » ! J'en ajouterais un second pour la VIe République qui vient : « Constituante » !

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.