Intervention de Benoît Coeuré

Réunion du mercredi 15 mai 2019 à 16h15
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Benoît Coeuré, membre du directoire de la Banque centrale européenne (BCE) :

Merci pour toutes ces questions. Je vais essayer de les rassembler par grande thématique et le président me rappellera à l'ordre si j'ai oublié certaines questions. Je note notamment trois grandes thématiques. Une thématique liée à la politique monétaire, à la continuation des taux bas et à leur impact sur le système bancaire. Une thématique liée au climat et à la transition énergétique. Enfin, d'autres questions liées notamment au rôle international de l'euro et au Brexit.

S'agissant de la responsabilité démocratique de la BCE, celle-ci est responsable devant le Parlement européen. Le président de la BCE se rend quatre à cinq fois par an devant la commission des affaires économiques et monétaires du Parlement européen où il est auditionné très longuement. Il s'y rend aussi d'ailleurs en tant que président du Conseil européen du risque systémique, sur les sujets liés à la stabilité financière. Il s'agit d'une autre audition par la même commission. Nous recevons chaque mois des dizaines de questions de parlementaires européens. Mon collègue, à mes côtés aujourd'hui, est chargé d'y répondre. Nous avons donc une relation très intense avec le Parlement européen et nous comptons bien qu'elle se poursuive dans la prochaine législature européenne.

Les traités ne font pas obligation à la BCE d'échanger avec les parlements nationaux. Néanmoins, nous avons considéré, assez tardivement certes, depuis 2012, que cet échange était nécessaire. Il y a dix-neuf États dans la zone euro. Nous ne pouvons donc pas échanger tous les deux mois avec les commissions des finances de ces États. Néanmoins, si le président veut bien m'inviter plus souvent, je serai ravi de vous rencontrer plus régulièrement parce que je réponds aux invitations. Nous sommes prêts à le faire, mais dans les traités, c'est devant le Parlement européen que la BCE est responsable.

Pour répondre sur le fond, concernant la politique monétaire, l'ensemble du dispositif actuel, c'est-à-dire les taux bas et les mesures non conventionnelles, va encore durer longtemps, parce qu'il faut du temps pour que l'inflation se stabilise de manière durable autour de 2 %. La zone euro a connu une crise d'une violence historique à partir de 2010 et il nous a fallu longtemps pour trouver les solutions, y compris dans le domaine financier et dans le domaine bancaire, ce qui rejoint le débat sur le renforcement institutionnel de la zone euro. Je considère que la reprise a été beaucoup plus lente dans la zone euro qu'aux États-Unis parce que nous avons mis plus de temps à imposer aux banques de rétablir leurs comptes, à faire des tests de résistance des banques (stress tests) et à imposer aux banques de rétablir leur ratio de capitaux, ce que les autorités américaines ont fait beaucoup plus tôt. Les banques européennes ont mis plus longtemps à assainir leurs comptes et à être à nouveau en situation de prêter à l'économie. Cette crise a été accrue par des mécanismes d'amplification très violents au niveau local, en Grèce et dans une moindre mesure au Portugal, en Irlande, etc. Il faut réparer tout cela aujourd'hui et nous sortons d'une crise qui a été très violente, ce qui prend du temps. Par ailleurs, l'inflation est basse partout dans le monde, indépendamment de la zone euro. Des raisons technologiques, liées à la mondialisation, font que l'inflation est faible partout. Tout cela prend du temps. Nous sommes dans une perspective de normalisation, mais elle prend beaucoup de temps parce que la perspective de retour vers 2 % n'est pas n'est pas immédiate. Néanmoins, nous sommes dans une perspective de normalisation. D'ailleurs, nous avons fait un premier pas en décembre, en arrêtant nos achats nets d'actifs, en arrêtant d'augmenter la taille de nos achats d'actifs. C'est un premier pas vers cette normalisation.

Il se trouve qu'entre-temps, l'économie européenne a rechuté, principalement pour des raisons internationales, ce qui nous écarte de cette trajectoire. Nous étions dans une perspective où l'écart de production dans la zone euro, soit la différence entre le niveau de l'activité et son niveau de long terme, était proche de zéro. Nous pensions qu'il deviendrait devenir positif et contribuerait à augmenter les prix et l'inflation. Or le ralentissement mondial nous a ramenés sous le seuil de zéro. La normalisation prend donc du retard, lié à la conjoncture mondiale, mais nous sommes toujours dans cette perspective.

Qu'est-ce qui est conventionnel et non conventionnel ? Je n'en sais rien. Le taux d'intérêt est un instrument conventionnel. Est-ce que le taux négatif est un instrument non conventionnel ? Sans doute pour les citoyens et les épargnants, parce qu'il sort des schémas financiers auxquels nous sommes habitués. Les marchés financiers n'ont eu aucune difficulté à s'adapter aux taux négatifs. Les achats d'actifs sont un instrument non conventionnel dans le sens où il n'a vocation à être utilisé que dans des circonstances extraordinaires, mais il est maintenant installé dans notre boîte à outils. L'instrument des achats d'actifs a été validé par la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE). Vous savez que l'État allemand a été attaqué devant la Cour constitutionnelle allemande, qui a déféré le dossier à la CJUE. Celle-ci a jugé que les achats d'actifs étaient un instrument légitime de la politique monétaire dans les traités. Cet instrument est donc désormais intégré de manière permanente dans notre boîte à outils. Il se trouve que nous sommes plutôt aujourd'hui dans une perspective de normalisation et donc à terme d'arrêt de ces achats d'actifs, si la conjoncture s'y prête, mais l'instrument sera toujours présent en cas de nouvelle crise à l'avenir, même si nous n'avons pas vocation à l'utiliser en permanence.

Faut-il changer notre mandat ? Je suis le dernier à pouvoir répondre à cette question : il ne me revient pas de changer mon propre mandat, car cela ne serait pas conforme au fonctionnement d'une démocratie. Les traités existent, ils sont proposés par la Commission et décidés par le Parlement. Vous avez donc plus d'avis que moi en la matière. En tant qu'exécutant, dans le respect des traités, je constate que donner aujourd'hui à la BCE un mandat de plein emploi ne changerait probablement rien à ce qu'elle fait. Tous les instruments dont j'ai fait la liste visent à soutenir la consommation, l'activité et l'emploi, seul moyen de revenir à une inflation à 2 %. Ils ont d'ailleurs eu jusqu'à aujourd'hui un impact plus visible sur le chômage et l'emploi dans la zone euro que sur l'inflation. Depuis que nous avons commencé notre politique d'assouplissement quantitatif, nous avons connu une baisse très significative du taux de chômage dans la zone euro et plus de 10 millions de créations d'emplois. L'impact a donc été très fort sur l'emploi dans la zone euro et beaucoup plus lent, jusqu'à présent, sur l'inflation, ce qui est un certain paradoxe, alors que nous avons un mandat de stabilité des prix et non pas un mandat de plein emploi. Il n'y a pas de contradiction. Si nous voulons atteindre les 2 %, il faut des créations d'emplois. Aujourd'hui, changer le mandat de la BCE ne changerait pas grand-chose. Dans certains cas, un changement de mandat nous conduirait à prendre des décisions différentes, mais pas actuellement.

Concernant l'impact sur les banques, il est évident qu'un environnement de taux d'intérêt très faibles et de courbe des taux d'intérêt plate n'est pas bon pour l'intermédiation bancaire. Le métier des banques est d'emprunter à court terme et de prêter à long terme. Une courbe des taux plate n'est donc pas bonne pour elles. La reconfiguration actuelle des taux est mauvaise pour la marge d'intérêt des banques, c'est-à-dire la différence entre le taux d'intérêt auquel elles empruntent et le taux d'intérêt auquel elles prêtent.

Pourquoi les taux d'intérêt sont-ils à 0 aujourd'hui ? Ce taux est nécessaire pour stimuler l'activité et l'inflation. Par ailleurs, l'ensemble des taux d'intérêt, dans tous les pays développés, ont baissé parce que la productivité et la démographie ralentissent et donc le rendement du capital est bas. Nous fixons le taux d'intérêt au niveau nécessaire pour stimuler l'activité et l'emploi par rapport à un référentiel, à un taux d'intérêt neutre qui assurerait le plein emploi et une inflation à 2 %. Les économistes disent que ce taux d'intérêt neutre a fortement baissé au cours des dix, vingt ou trente dernières années parce que la productivité et la démographie ralentissent, ce qui est vrai tant aux États-Unis qu'au sein de la zone euro. Je comprends que cette réponse ne soit pas très satisfaisante à court terme, mais à long terme, la meilleure manière de retrouver des taux d'intérêt élevés qui soient favorables à l'intermédiation financière est de stimuler la productivité du capital et peut-être de stimuler la démographie, ce qui est un autre débat. Cela permettra à la croissance d'être durablement plus élevée et aux taux d'intérêt de s'établir à nouveau à un niveau plus élevé. La tendance générale séculaire de baisse des taux d'intérêt n'est pas liée à la politique monétaire. Elle est liée au fonctionnement de nos économies et au fait que nos économies tendanciellement ralentissent parce que la productivité s'épuise.

Que pouvons-nous faire pour les banques ? Le mandat de la BCE est monétaire, il n'est pas de soutenir les profits des banques. Nous analysons cette question à travers un prisme monétaire. Si la baisse de la profitabilité des banques devient un problème pour la transmission de la politique monétaire, c'est-à-dire pour la capacité des banques à prêter à l'économie et à stimuler l'économie, elle peut alors devenir un problème pour nous. Aujourd'hui, nous ne considérons pas que ce soit le cas, notamment parce que les taux d'intérêt bas, en particulier les taux d'intérêt négatifs, n'est pas le principal facteur qui pèse sur la profitabilité des banques. Les banques de la zone euro ont un problème de profitabilité principalement parce qu'elles ont des bases de coûts trop élevées par rapport à leurs concurrents à l'international et parce qu'elles ont des portefeuilles d'actifs hérités de la crise, de manière différente dans les différents pays, mais de manière très lourde dans certains pays. Ces prêts non performants les rendent non profitables et les empêchent de prêter. Par ailleurs, les évolutions technologiques dans l'industrie bancaire et la concurrence d'acteurs non bancaires créent une situation de concurrence très intense en Europe. Nous avons trop de banques en Europe ; la consolidation bancaire a été insuffisante. La réponse principale serait que les banques européennes réduisent leurs coûts et que se produise un mouvement de consolidation. Il ne revient pas à la BCE d'en décider, mais à l'industrie. Il faudrait également que les banques s'adaptent aux évolutions technologiques pour diminuer leurs coûts et mieux servir leurs clients. Le taux négatif ne représente quasiment rien dans ce paysage. Comme vous l'avez dit, monsieur le président, le taux négatif représente moins 40 points de base par an sur l'ensemble du secteur bancaire européen, ce qui fait 7,5 milliards d'euros par an sur l'ensemble des profits du secteur bancaire de la zone euro.

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