Intervention de Meike Fink

Réunion du jeudi 28 mars 2019 à 11h30
Mission d'information relative aux freins à la transition énergétique

Meike Fink, responsable transition juste de Réseau action climat (RAC) :

Je vais vous exposer le point de vue de Réseau action climat sur la question posée, à savoir en quoi la fiscalité écologique peut représenter un frein à la transition énergétique. Mes propos seront complémentaires de ceux de M. Callonnec. Je vais intervenir particulièrement sur la fiscalité énergétique et carbone.

La taxe carbone a été mise en place en France en 2014. Elle est incluse dans la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE). Elle génère aujourd'hui environ 8 milliards d'euros, pour un taux de 44 euros la tonne de CO2. Effectivement, avoir une taxe carbone à la hauteur des ambitions climatiques de la France est essentiel, car la taxe rend cher ce qui est polluant. Aujourd'hui, il est clair que le signal donné rencontre des limites. Il n'existe pas souvent de solution alternative à la voiture, et les coûts de rénovation énergétique peuvent être très importants, d'où un problème d'acceptabilité sociale. Les solutions alternatives pour réduire la consommation des énergies fossiles ne sont pas accessibles à tous, notamment aux ménages aux plus faibles revenus.

La taxe carbone existante représente en moyenne 340 euros pour les ménages : 40 % sont liés au chauffage et 60 % à la mobilité. Cette taxe est régressive, puisque le premier décile de la population paie 2,7 fois plus que le dixième décile par rapport à son revenu disponible, d'où un problème d'acceptabilité sociale. La trajectoire de hausse de la taxe carbone a donc été gelée, à la suite de la crise des « Gilets jaunes ».

Aujourd'hui, plusieurs propositions sont sur la table, celles de l'ADEME, de l'Institut du développement durable et des relations internationales (IDDRI), de Terra Nova, de l'Institut for Climate Economics (I4CE) et d'organisations non gouvernementales (ONG). Nous-mêmes allons publier une nouvelle proposition la semaine prochaine, plus élaborée, pour laquelle nous avons travaillé avec une économiste. Nos points de vue convergent pour dire qu'une nouvelle taxe carbone plus juste est possible. Toutes les propositions insistent sur la redistribution.

Notre proposition, sans entrer dans le détail, est la suivante : il s'agit de redistribuer une partie de la hausse de la taxe carbone. Nous reprendrions la trajectoire décidée auparavant, puis nous redistribuerions une grande partie de cet argent aux premiers déciles, selon un principe de progressivité, en fonction du lieu de vie – le volet transport pèse plus lourd pour les personnes qui vivent à la campagne – et de la composition du ménage. Un ménage du premier décile qui vit en ville, qui a une voiture diesel et se chauffe au gaz pourrait recevoir 274 euros, soit un gain de 200 euros. Nous allons publier cette étude la semaine prochaine, je ne détaillerai donc pas les chiffres. Il est important de retenir que beaucoup de personnes cherchent à rendre la taxe carbone socialement acceptable, grâce à ce volet de redistribution aux ménages, par exemple via un crédit d'impôt. Voilà donc le premier frein, celui de l'acceptabilité sociale de la fiscalité écologique.

Un deuxième frein identifié est celui de la compréhension de cette taxe et de l'affectation des recettes. La taxe carbone génère d'importantes recettes, d'environ 8 milliards d'euros. Certes, une affectation directe n'est pas possible ; mais le message politique sur cette question n'est pas clair. Il existe un compte d'affectation spéciale (CAS) « Transition énergétique », qui inclut le financement des énergies renouvelables. Il serait cependant beaucoup plus intéressant de dire à la population quelles solutions sont financées avec cet argent, par exemple la rénovation énergétique pour les ménages en situation de précarité, l'accès à des véhicules moins polluants, la création d'infrastructures de mobilité douce, la célèbre « dotation climat », etc. Voilà qui constituerait un signal fort pour les collectivités, en insistant sur le fait qu'elles sont le maillon qui met en oeuvre, pour une grande partie, les politiques de la transition énergétique. Il s'agit d'une question d'ingénierie et de mobilisation des acteurs dans les territoires.

Le troisième frein est celui de la justice entre les acteurs, quant à la taxe carbone, et plus globalement quant à la TICPE. Un grand nombre d'exemptions ou de taux réduits existent. La loi de finances pour 2019 contient 11 milliards d'euros d'exonérations ou de réduction de taux. Il s'agit d'une estimation, car la hausse de la taxe carbone doit intervenir. Quoi qu'il en soit, c'est un montant assez important, qui profite à certains secteurs d'activité. Le message est ainsi contradictoire : taxe carbone versus exemptions sur les énergies fossiles. L'une des propositions de Réseau action climat, depuis longtemps, est de mettre fin progressivement à ces niches, en accompagnant les secteurs d'activité et les entreprises concernés. Je rappelle que nous défendons l'objectif « zéro chômeur de la transition écologique ». Ces contraintes doivent être prises en compte. Donner de l'argent aux industries polluantes et s'intéresser en même temps à une taxe carbone, voilà qui est très contradictoire.

Pour comprendre comment aborder le problème, je prendrai l'exemple du kérosène. Une suppression de cette niche n'est pas possible, car elle résulte d'un accord international. Nous nous intéressons à la mise en place d'une taxe sur les billets d'avion. Il s'agirait de partir du modèle français, une nouvelle version de la taxe de solidarité sur les billets d'avion, la « taxe Chirac », déjà existante, avec une modulation en fonction de la longueur du trajet et de la classe de voyage. En parallèle, nous souhaiterions mener une réflexion, à l'échelle européenne, pour, dans un premier temps, harmoniser les taxes déjà existantes sur les billets d'avion, puis, dans un second temps, établir une taxe kérosène européenne. Voilà une mesure que la France pourrait soutenir.

Concernant cette question de la justice entre les acteurs, je signale un autre point. En France, deux prix carbone existent : le prix de la composante carbone et le prix du système européen d'échange des quotas CO2, qui sont très différents, puisqu'ils s'élèvent respectivement à 44 euros et 21 euros. Par ailleurs, un grand nombre d'entreprises n'ont pas payé ces 21 euros ; en effet, la montée des prix est récente et un grand nombre de quotas sont distribués gratuitement. La problématique est similaire à celle des exemptions et taux réduits pour la TICPE, mais nous devons travailler ces questions. La taxe carbone doit être harmonisée entre les acteurs, pour améliorer l'acceptabilité de la taxe carbone en France par les ménages. Cela implique, dans un deuxième temps, de mener une réflexion sur l'accompagnement de ces acteurs, ainsi qu'à l'échelle européenne.

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