Intervention de Éric Woerth

Séance en hémicycle du jeudi 14 mars 2019 à 9h30
Croissance et transformation des entreprises — Article 44 (appelé par priorité)

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉric Woerth :

Nous allons donc, ce faisant, également financer la dette d'États relativement dangereux : on achètera peut-être de la dette italienne, de la dette grecque et, certainement, de la dette d'États extérieurs à l'Europe. On ne monte pas, en effet, comme cela, à long terme, jusqu'à un taux d'intérêt de 2,5 % ! Il est tout de même assez curieux de prétendre financer les entreprises en commençant d'abord par acheter de la dette, et donc par en créer.

Enfin, honnêtement, rien ne vous aurait empêché de trouver 250 millions d'euros tout en affirmant très clairement que l'État, sans être un rentier, conserve la propriété – et en tout cas l'exploitation – d'ADP, qui, me semble-t-il, n'est pas si mal géré que cela. On peut d'ailleurs placer à sa tête des gens issus du secteur privé parfaitement compétents pour gérer des aéroports : vous auriez pu faire ce choix. Nous aurions pu, dans une telle hypothèse, utiliser les dividendes d'ADP pour investir dans ce fonds.

Ce dernier est-il nécessaire ? C'est une autre question. La commission des finances a reçu hier le directeur général de la Banque publique d'investissement, qui est un outil qui marche bien et qui a plutôt une bonne image. Il investit, ou plutôt nous investissons, car la BPI est une banque publique, 2 milliards d'euros dans les deep techs et dans les start-up, c'est-à-dire en visant exactement la même cible. Par ailleurs, le Programme d'investissements d'avenir – s'il a changé de nom, l'idée reste la même depuis Nicolas Sarkozy – a, lui aussi, vocation à financer des ruptures technologiques.

Si vous aviez voulu financer un fonds de rupture, au fond, la rupture aurait été d'investir les 10 milliards d'euros, et pas 250 millions. Si vous voulez changer d'échelle et accélérer l'évolution des entreprises françaises et de l'innovation technologique française, qui est trop lente par rapport au reste du monde, alors allez-y à fond ! Ayez une attitude qui est exactement contraire à celle d'un rentier : investissez 10 milliards d'euros, ce qui n'est d'ailleurs pas si simple que cela. Mettez 10 milliards d'euros dans la balance pour financer tous les programmes de recherche qu'il est possible de concevoir sur ces sujets-là en France ! Or vous ne le faites pas. Vous conservez donc, vis-à-vis de l'innovation de rupture, une attitude de rentier.

S'agissant enfin du calcul du prix, des questions se posent, tout d'abord celle du dédommagement des actionnaires minoritaires, qui, jusqu'à présent, ont été actionnaires d'une entreprise qui avait la vie devant elle, et qui, s'ils ne vendent pas leur participation, deviendront actionnaires d'une entreprise qui n'a que soixante-dix ans devant elle. Il faut donc les dédommager. À votre avis, quel sera le niveau d'un tel dédommagement ? Tout dépend de l'estimation des flux de trésorerie à soixante-dix ans. Or, comme l'on peut faire dire beaucoup de choses au taux d'actualisation, comme on l'a vu avec les autoroutes, j'aimerais avoir votre avis sur ce point.

L'État reste-t-il, en outre, au capital d'ADP ? Avez-vous l'intention d'y rester – la même question se pose pour La Française des jeux : nous en parlerons ultérieurement ? Cette semaine le Gouvernement s'est contredit sur le sujet. Or, s'agissant d'un sujet aussi important, sur lequel vous avez autant réfléchi, pourquoi des contradictions ? Il ne peut y en avoir, d'autant plus que l'on s'adresse à un marché. Comment les choses vont-elles se passer : avez-vous l'intention ou non de rester dans ADP ?

Par ailleurs, quel rôle envisagez-vous pour les collectivités locales ? J'avais avec d'autres collègues déposé un amendement visant à leur offrir la possibilité d'intervenir dans le cadre d'ADP, comme c'est le cas d'ailleurs pour d'autres aéroports dans le monde. Vont-elles souscrire à l'offre de marché, c'est-à-dire à l'opération publique de vente ? Devront-elles tout acheter, ou seulement une partie dudit capital ? D'un point de vue financier, comment fonctionnera leur intervention ?

Enfin, pourquoi refusez-vous l'idée d'une clause de complément de prix ? J'ai déposé avec mes collègues du groupe Les Républicains, notamment Daniel Fasquelle, un amendement concrétisant cette idée. Si vous décidez de privatiser la gestion d'Aéroports de Paris pendant soixante-dix ans, il faut, à un moment donné, se reposer la même question que pour les autoroutes, mais différemment : si cette opération crée plus de valeur qu'on ne le croyait, il faut pouvoir compléter le prix. Ce n'est pas une nouveauté, car cela s'est fait ailleurs : or vous n'en voulez pas.

Vous nous opposez le fait que la procédure sera de gré à gré. Non : il suffit d'inscrire cette clause dans le cahier des charges et d'indiquer comment et selon quel calendrier, quelles modalités techniques et quelles variables, il sera possible de revoir et de compléter ce prix, afin que le partage de la valeur ajoutée soit supérieur à celui qui aurait été mesuré de façon sans doute trop peu prédictive.

Premièrement, y a-t-il urgence à financer ce fonds pour l'innovation de rupture ? Non, il n'y a pas urgence même s'il est évidemment urgent pour la France d'être plus compétitive.

Deuxièmement, pourquoi voulez-vous passer en force ? Si vous répondez aux questions qui sont posées, il n'y a aucune raison d'ordre idéologique pour que nous nous opposions à cette opération. Pourquoi donc voulez-vous passer en force, tant sur La Française des jeux que sur Aéroports de Paris ? Je serais vous, mais je ne le suis pas…

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