Intervention de élie Cohen

Réunion du mercredi 18 juillet 2018 à 10h15
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi relatif à la croissance et la transformation des entreprises

élie Cohen, directeur de recherche au CNRS :

Détrompez-vous, ce pays fait mieux que la France en matière industrielle. Il a connu un mouvement de réindustrialisation en acquérant d'importantes positions, notamment dans le secteur automobile. Je vous renvoie à mon dernier ouvrage, qui consacre un chapitre à ce sujet.

Outre la désindustrialisation accélérée du pays, un autre résultat massif, dont on ne parle pas suffisamment, renvoie à l'écologie des entreprises en France. Il s'agit d'une surreprésentation des grandes firmes dans le Top 500 et d'une faiblesse notoire dans le secteur des entreprises de taille intermédiaire (ETI). La France est un pays dont le mode de développement et de structuration économique industrielle repose essentiellement sur les grandes entreprises. Cela nourrit une polarité entre d'un côté des petites et moyennes entreprises (PME) qui ne parviennent pas à croître et, de l'autre côté, des grandes entreprises qui avalent très tôt les entreprises émergentes qui commencent à se développer. Ce capitalisme est très différent de celui à l'italienne ou à l'allemande.

Un autre élément de ce bilan trente ans après est une forte pénétration du capital étranger dans le capital de nos champions nationaux. Elle a commencé par des prises de capital passives, suivies par la disparition pure et simple de nombre de grands champions industriels nationaux, avec comme fait emblématique la disparition de la Compagnie générale d'électricité, champion industriel des années Pompidou. Et je ne parle pas des Pechiney-Ugine-Kuhlmann et autres… Nous avons assisté à un véritable phénomène de concentrationpolarisation, puis à une disparition progressive. Tout cela n'est pas très engageant !

Que s'est-il passé ? Pourquoi a-t-on abouti à un résultat aussi négatif ? Nous avions mis en place après-guerre un système qui a remarquablement fonctionné jusqu'au milieu des années 1970 : le système colbertiste. Mais – et c'est très frappant – il s'est effondré sans qu'on n'en tire les conclusions. Longtemps, l'idée est restée que l'on pouvait conserver les outils disponibles dans le cadre de ce colbertisme, alors même que les vecteurs d'intervention n'existaient plus. C'est parce que nous avons été incapables de tirer la conclusion de cette mue formidable que nous avons assisté, les bras croisés, à l'effondrement de ce système. Le colbertisme, je vous le rappelle, était un système totalement intégré, sous la coupe de l'État qui finançait et développait de la recherche publique dans des laboratoires publics, avant de la transférer à des champions nationaux à qui il assurait des marchés grâce à la commande publique dans le cadre de grands programmes d'investissements, qu'il protégeait des concurrents avec une stratégie de protectionnisme offensif, qu'il accompagnait dans leur développement extérieur et dont il finançait même les investissements à travers des modalités spécifiques de financement. Tout ce système s'est effondré dès lors que nous avons fait le choix de l'intégration européenne et que l'on a décidé que l'on ne pouvait plus utiliser les armes de ce protectionnisme conquérant pour armer et aider nos grandes entreprises. C'est le premier grand tournant que nous n'avons pas pris. L'autre grand tournant que nous n'avons pas pris est celui de l'évolution de notre politique macroéconomique avec le passage à l'euro. Nous n'avons pas compris que nous ne pouvions pas continuer à maintenir les systèmes de déséquilibre financier caractérisés par le fameux cercle vicieux que nous connaissons, dans lequel en situation de ralentissement conjoncturel l'État faisait de la relance en finançant du déficit, qu'il fallait combler en augmentant les impôts, à commencer par ceux qui pesaient sur les entreprises – dont on détériorait, ce faisant, la compétitivité, réduisant leur capacité à répondre aux défis de l'investissement et du développement. C'est ainsi que, la compétitivité coût se dégradant, la compétitivité hors coût se dégradait aussi, et que l'on a développé cette « machine », avec parfois des réveils douloureux et une pénurie de finances publiques, sans moyen de faire face et d'accompagner les entreprises. On réunissait alors une grande commission pour conduire une grande réflexion, et l'on repartait de l'avant. Bien entendu, l'État étant multi-casquettes, poursuivant plusieurs objectifs simultanément et disposant de plusieurs vecteurs d'intervention, il a privilégié, dans le secteur public, le micro-management à court terme pour répondre dans l'urgence en intimant l'ordre à des entreprises publiques de faire telle ou telle chose. De ce fait, nous avons vu émerger l'idée très étonnante d'une absence d'orientation stratégique pour les entreprises publiques, d'une multiplication du micro-management, y compris avec des mesures d'intervention sur les processus de nomination, et d'une dé-légitimation profonde de l'intervention de l'État dans le secteur.

Ainsi, il me semble tout à fait bienvenu que l'on fasse aujourd'hui le ménage dans le portefeuille de participations et que l'État se retire des secteurs dans lesquels il n'a pas fait la preuve de sa contribution décisive. À l'inverse, il faut continuer à protéger les secteurs stratégiques au sens strict du terme, c'est-à-dire ceux qui relèvent de la défense, du contrôle stratégique – comme les réseaux – et de l'investissement d'avenir – d'où l'importance du fonds d'investissement dans les technologies de rupture. Si l'on a raté le coche par le passé, il conviendrait de ne pas le rater à nouveau pour l'avenir.

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