Intervention de Stéphane Testé

Séance en hémicycle du jeudi 8 mars 2018 à 21h30
Lutte contre marchands de sommeil — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaStéphane Testé :

Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la vice-présidente de la commission des affaires économiques, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le 15 décembre dernier, lors d'une visite dans le Val-d'Oise, le secrétaire d'État à la cohésion des territoires, Julien Denormandie, a déclaré que « les marchands de sommeil seront traités comme des trafiquants ».

Cette volonté politique ne date pas d'hier et s'appuie sur certains outils, qui ont été sensiblement renforcés au cours des dernières années. Toutefois, il reste encore et toujours des lacunes et des failles. Dans notre pays, en 2018, on exploite encore la misère et la détresse de certaines personnes, parmi les plus fragiles et les plus vulnérables, afin de les loger dans des conditions indécentes et insalubres.

Ces marchands de sommeil ciblent les populations en grande précarité et en situation de faiblesse juridique. Ils se dispensent parfois, et même souvent, de l'établissement d'un bail ou d'une procédure d'état des lieux et promettent à leurs futurs locataires de réaliser prochainement des travaux.

Ces locataires, qui sont souvent dans la détresse, sont victimes de cette situation. Il est difficile de leur faire prendre conscience que le traitement qu'ils subissent est illégal et qu'ils doivent alerter les autorités.

La tension du marché et la saturation du parc social ne laissent pas d'autre choix à des populations qui traversent des difficultés de plus en plus grandes et qui sont exclues du marché classique du logement, que d'occuper un logement indigne, ce dont tirent profit des propriétaires indélicats ou de véritables marchands de sommeil. Qui n'a pas constaté, dans sa circonscription, des situations d'indécence et d'insalubrité provoquées par des bailleurs indélicats, voire par des marchands de sommeil ?

Et pour cause : la France compte entre 400 000 et 600 000 logements considérés comme indignes, vétustes, insalubres, suroccupés ou sous-chauffés ! Près de 1 million de personnes y vivent, ou plus exactement y survivent.

En Seine-Saint-Denis, des chambres de 20 m2sont louées pour un loyer mensuel allant de 800 à 1 000 euros. Des pavillons sont régulièrement rachetés puis découpés pour être loués pièce par pièce, quand ce ne sont pas des lits qui sont loués.

Pourtant, il existe des mesures, telles que le permis de louer prévu par la loi ALUR du 24 mars 2014, dont le décret d'application n'a été publié qu'à la fin de l'année 2016. Il permet aux maires de vérifier l'état des logements avant toute opération de location. Certains en font déjà bon usage, notamment au Blanc-Mesnil, en Seine-Saint-Denis, où le maire a lancé au mois de novembre dernier une campagne d'affichage dans le cadre de l'opération « Balance ton marchand de sommeil ».

À Clichy-sous-Bois, où je suis élu depuis 1995, la municipalité mettra en place un permis de louer le 1er avril prochain. Ainsi, tout propriétaire privé projetant de réaliser des travaux visant à la création de locaux d'habitation devra obtenir l'accord préalable de la municipalité. Plus de 200 communes se sont déjà dotées de services de lutte contre les logements indignes.

La loi ALUR a en outre renforcé les outils de lutte contre l'habitat indigne tels que la consignation des aides au logement, la peine complémentaire d'interdiction d'achat d'un bien, la confiscation de l'usufruit, le dispositif d'astreintes administratives et un panel de sanctions pénales. Elle prévoit également des sanctions visant les marchands de sommeil pouvant aller jusqu'à cinq ans d'emprisonnement et 150 000 euros d'amende.

Malheureusement, en pratique, beaucoup ne sont pas condamnés, car ils organisent leur insolvabilité afin de ne pas payer l'amende. Dès lors, trop peu de peines sont prononcées : 3 000 arrêtés d'insalubrité sont prononcés chaque année, mais moins de 100 marchands de sommeil sont finalement condamnés !

En effet, malgré la coopération entre policiers, associations et cellules logement des communes ou des régions, le parquet a parfois des difficultés à rassembler suffisamment de preuves.

En dépit de cet arsenal de dispositions législatives, le problème persiste, voire s'aggrave. Il est donc nécessaire d'aller plus loin et de compléter cet arsenal législatif.

Il est indispensable que la loi soit plus précise, notamment en matière de précarité énergétique. Il convient de conférer au diagnostic de performance énergétique un caractère plus opposable, notamment d'un point de vue juridique.

On doit non seulement frapper les marchands de sommeil au portefeuille, en faisant en sorte qu'ils ne puissent pas contourner les sanctions, mais aussi restreindre leur possibilité d'acheter ou de conserver des biens immobiliers utilisés pour ce commerce malsain.

Afin de s'assurer que le notaire vérifie bien le casier judiciaire du futur acquéreur, condamné ou non pour avoir été un marchand de sommeil, il pourrait par exemple être utile de rendre obligatoire la production d'un extrait de casier judiciaire dans le cadre d'une acquisition immobilière.

De même, la loi pourrait rendre obligatoire, en cas d'acquisition d'un bien immobilier par une SCI, la production de l'extrait K bis précisant le nom des associés qui la composent. En effet, de nombreux propriétaires indélicats se dissimulent dans des SCI et leurs noms restent inconnus des autorités en l'absence de production de l'extrait K bis.

Il serait également judicieux de prévoir des mesures visant à protéger les droits des victimes des marchands de sommeil et à les reloger. Bien d'autres idées et mesures pourraient également être avancées ou étudiées, mais il serait trop long d'en dresser ici une liste exhaustive.

En tout état de cause, le débat sur la proposition de loi permet de constater que chacun ici, sur tous les bancs, est convaincu que nous devons renforcer les outils de lutte contre les marchands de sommeil.

Le Gouvernement nous fournira très prochainement l'occasion de combler les lacunes et d'adapter les outils existants. C'est pourquoi j'invite tous les parlementaires qui le souhaitent à prendre part au processus dont le Gouvernement a pris l'initiative dans le cadre de l'élaboration du projet de loi ÉLAN. Il faut, en effet, conjuguer nos forces et nos compétences afin que celui-ci soit aussi ambitieux que possible en matière de lutte contre les marchands de sommeil.

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