Intervention de Sébastien Chenu

Séance en hémicycle du jeudi 17 juin 2021 à 9h00
Justice sociale — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSébastien Chenu :

Comme cela a été rappelé, l'allocation aux adultes handicapés a été créée en 1975, il y a de longues années ; ce n'était pas sous un gouvernement de gauche. Cette aide financière ancienne a démontré son efficacité. Elle est évidemment nécessaire pour compenser l'incapacité à travailler.

Parmi les nombreuses difficultés que rencontrent nos compatriotes handicapés, figurent la difficulté à choisir son avenir professionnel, à travailler, à créer un projet professionnel – même si ce n'est pas impossible, c'est plus difficile pour eux – et la difficulté à être autonome financièrement – car le niveau de vie mensuel de nos compatriotes handicapés est inférieur de 200 euros à celui de la population générale. L'attribution de cette aide est subordonnée à un certain nombre de critères : d'incapacité, évidemment, mais aussi d'âge, de lieu de résidence et de ressources. Il faut le rappeler, car ces exigences sont bien plus fortes que celles prévues pour l'aide médicale de l'État (AME), par exemple. L'allocation aux adultes handicapés compte 1,2 million de bénéficiaires, dont 270 000 sont en couple ; 11 milliards d'euros sont versés. Ce sont les chiffres officiels, déjà évoqués.

En détricotant la mesure phare de cette proposition de loi, le Gouvernement porte un coup dur à nos compatriotes handicapés. En effet, dès lors que les revenus de leur conjoint dépasseront 2 000 euros, le dispositif perdra tout son sens. Pourtant, les ressources d'un conjoint ne font pas disparaître le handicap, c'est une évidence. Elles placent et placeront beaucoup de personnes à la merci d'un tiers, d'un compagnon ou d'une compagne, qu'ils le veuillent ou non. En quoi le choix de vivre en couple devrait-il être un handicap supplémentaire ?

Nos compatriotes handicapés mènent déjà de nombreuses batailles, celle de l'accessibilité, par exemple, pour laquelle beaucoup reste à faire. Le combat de l'autonomie est fondamental, car il marque le refus de choisir entre l'amour et la fiscalité. L'autonomie financière, pour des personnes déjà souvent privées d'autonomie physique, par exemple, est une nécessité.

En adoptant le principe d'une déconjugalisation de l'AAH, nous marquerions notre refus de laisser nos compatriotes enfermés dans la dépendance. Cette prestation n'est évidemment pas un minimum social, car elle vise à compenser une situation pérenne. Elle doit aussi permettre aux intéressés de ne pas demander la charité et d'atteindre un niveau de vie digne et décent.

Cette injustice inacceptable fragilisera d'autant plus les femmes en situation de handicap ; elle entamera l'idée que nous nous faisons de l'égalité entre hommes et femmes. Le choix que vous offrez aux personnes handicapées est finalement peu enviable : percevoir l'AAH ou vivre en couple, au risque d'être dépendant financièrement. Entendez les voix qui montent de notre pays, celles des associations de personnes handicapées, mais aussi celles de députés de tous les bancs et sensibilités.

En organisant ce recul, cette dépendance de fait, vous placez nos compatriotes dans des situations aux conséquences désastreuses et vous les obligez – c'est encore pire peut-être – à se comporter de manière incivile, en cachant la réalité de leur vie privée, tout simplement pour ne pas perdre cette allocation. C'est un sort peu enviable.

Le droit à une vie de couple, à une vie de famille, est central. Le droit à une autonomie affective, relationnelle, émotionnelle, l'est tout autant. Nous vous appelons donc, chers collègues, madame la secrétaire d'État, à ne pas manquer cette belle occasion de rétablir le principe de l'individualisation de l'AAH. « Ils m'aimeront tels que je suis » écrivait René Char. Il est temps de démontrer à nos compatriotes en situation de handicap que nous les aimons tels qu'ils sont, seuls ou en couple.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.