Intervention de Stéphane Mazars

Séance en hémicycle du mardi 18 mai 2021 à 15h00
Confiance dans l'institution judiciaire — Présentation commune

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaStéphane Mazars, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République :

En outre, nous avons fait bien plus que donner des moyens supplémentaires. Grâce à la loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, nous avons déjà contribué à accroître la lisibilité, la rapidité, la cohérence et l'efficacité de certaines procédures dans notre système judiciaire. Je salue bien amicalement Laëtitia Avia et Didier Paris, rapporteurs de cette loi, ainsi que Mme Nicole Belloubet, qui vous a utilement précédé dans vos fonctions, monsieur le ministre. Qu'il s'agisse de la simplification des procédures civiles ou pénales, du sens accru de la peine ou de l'amélioration de l'organisation judiciaire, le Parlement a été, sous cette législature, source d'importants progrès, que visent à compléter les présents projets de loi organique et ordinaire pour la confiance dans l'institution judiciaire.

L'examen de ces deux textes est en effet l'occasion de poursuivre, de manière cohérente et pragmatique, l'œuvre entreprise. Ils permettront de franchir des pas décisifs, en matière civile comme en matière pénale, en aplanissant certaines difficultés persistantes et en répondant à un grand nombre d'exigences des professionnels et des justiciables. Ils rendront notre justice plus accessible, protectrice, humaine et efficace, afin que tous ceux qui s'y trouvent confrontés puissent se dire qu'elle a joué son rôle, qu'elle a apporté une solution ou un apaisement.

Il s'agit d'abord de rendre la justice plus accessible. À cette fin, il faut la donner à voir, mais sans l'exhiber. Nous n'allons pas faire entrer les caméras dans les salles d'audience, car, soyons francs, la loi qui les interdit par principe n'existe plus que sur le papier. Il règne en la matière une liberté anarchique, plus ou moins régie par des coutumes et des usages, et nous pouvons en voir, en quelques clics, le produit sur internet. Nous allons poser des règles, établir le cadre – que les précédentes législatures ont négligé –, pour assurer le respect des libertés fondamentales de ceux qui en deviennent les acteurs, le temps d'une audience. Nous serons stricts, mais n'ergotons pas en empilant des clauses de sauvegarde ! J'insiste sur ce point, c'est à un champ laissé en jachère que nous allons revenir.

L'accessibilité, c'est aussi la transparence qui préside à la réforme de la discipline des professions du droit. Construite avec les professionnels eux-mêmes, cette réforme mettra fin aux critiques sur l'entre-soi de ces professions, en simplifiant les procédures, en permettant à des magistrats de siéger dans les chambres disciplinaires et en garantissant une réponse rapide à chaque réclamation.

L'accessibilité, c'est enfin la proximité. En ce sens, la commission a fait évoluer les conditions de saisine des pôles de l'instruction, afin de maintenir l'instruction de certaines affaires criminelles au plus près des justiciables. Cette question me tenait particulièrement à cœur, et je vous remercie, mes chers collègues, monsieur le ministre, de m'avoir suivi sur ce point.

Il s'agit ensuite de rendre la justice plus protectrice. À cet égard, le projet de loi comporte des dispositions phares : la limitation dans le temps des enquêtes préliminaires ; le principe de l'ouverture au contradictoire ; la protection du secret des sources. Soulignons en outre l'apport significatif des députés de tous les groupes, puisque la commission des lois a consacré à l'unanimité la préservation des droits de la défense et des activités des avocats au profit de leurs clients. À cela s'ajoutent de nombreuses avancées dont on parle moins : l'affirmation du droit au silence ; la limitation de la détention provisoire ; l'organisation du témoignage anonyme des agents antiterroristes étrangers dans les procès ; la protection des personnes sous tutelle et curatelle dans la procédure pénale. Ces évolutions sont discrètes, mais modifieront les pratiques de manière très importante.

Il s'agit aussi de rendre la justice plus humaine. Cela passe d'abord par une exécution des peines plus proche des réalités de notre société et plus adaptée aux spécificités de chacune des personnes condamnées. C'est dans cette optique que nous proposons d'une part un mécanisme de libération sous contrainte de droit pour les personnes condamnées à une peine de moins de deux ans de prison et dont le reliquat de peine est inférieur ou égal à trois mois, d'autre part un nouveau régime unique de réduction de peine, avec une évaluation individualisée se fondant sur la bonne conduite en détention et les efforts sérieux de réinsertion fournis par le détenu. L'exécution des peines doit refléter les décisions de notre justice ; à cette fin, il faut savoir faire preuve de fermeté, mais aussi se montrer humain en tenant compte de chaque situation et en favorisant, sur la base de la reconnaissance de l'effort, la réinsertion sociale et professionnelle des personnes condamnées.

La réinsertion est également l'objectif poursuivi par les dispositions relatives au travail en détention. Comme s'y était engagé le Président de la République dans le discours qu'il avait prononcé en 2018 à l'École nationale d'administration pénitentiaire (ENAP), il s'agit d'offrir au condamné la possibilité de réintégrer pleinement la société par le truchement du travail. Le contrat d'emploi pénitentiaire que nous allons créer marquera une avancée importante en la matière : il permettra de mieux encadrer le travail en détention et d'accorder aux détenus les droits qui en découlent, tout en tenant compte, bien évidemment, des contraintes inhérentes à la détention.

Il s'agit, enfin, de rendre la justice plus efficace. Notre justice est confrontée à des délais excessivement longs, les affaires criminelles étant les premières concernées. Les délais d'audiencement atteignent quarante mois en moyenne, ce qui est insupportable non seulement pour les victimes, mais aussi pour les accusés, notamment lorsqu'ils sont en détention provisoire. Ce n'est pas l'institution qui est en tort, mais le législateur doit agir avec pragmatisme si nous voulons que nos concitoyens gardent confiance dans notre capacité à juger et punir les actes les plus graves.

Tel est l'objet de la généralisation de la cour criminelle départementale, dont Antoine Savignat et moi avions effectué une première évaluation. Les premiers résultats sont très encourageants : les délais sont plus courts ; l'oralité des débats est préservée ; ces cours permettent de mieux juger certains crimes. À terme, cela réduira la correctionnalisation de certains crimes, notamment des viols ; personne ne pouvait se satisfaire de la situation actuelle. Au cours de ses travaux, la commission a renforcé les garanties entourant l'oralité des débats lors des audiences devant cette nouvelle juridiction.

Le projet de loi tend en outre à réformer la cour d'assises. Certains nous accusent de vouloir la faire disparaître ; nous lui rendons au contraire toute sa place, en lui attribuant les crimes les plus graves et toutes les affaires criminelles en appel. Qui plus est, en augmentant le seuil de majorité, nous rendons sa souveraineté au jury populaire. J'ai par ailleurs souhaité que les magistrats à titre temporaire puissent siéger dans les cours d'assises pour faciliter la tenue des sessions. C'est également dans ce sens que nous proposons d'expérimenter l'avocat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles, pour compléter les jurys ; il pourra apporter un regard différent sur le jugement des crimes, qui est si spécifique.

L'efficacité de la justice passe aussi, parfois, par la définition d'un accord entre les parties, en dehors de l'intervention du juge. Lorsque les parties à un petit litige parviennent à trouver un accord grâce à l'intervention d'un médiateur, par exemple, tout le monde est gagnant, le système judiciaire comme les justiciables. C'est pourquoi nous avons décidé d'encourager davantage encore le recours aux modes amiables de règlement des différends, en leur donnant une pleine efficacité reposant sur le caractère exécutoire des accords conclus. Ainsi, désormais, les parties pourront solliciter auprès du greffe l'apposition de la formule exécutoire sur un accord contresigné par les avocats. C'est dans le même esprit d'une justice efficace et de proximité que nous avons adopté en commission plusieurs amendements destinés à encourager le recours à la médiation.

Enfin, un travail commun des groupes de la majorité permettra de faire émerger un pôle spécialisé dans les crimes non résolus. C'est une immense avancée qui apaisera, espérons-le, des familles démunies, meurtries et en perte de confiance, précisément.

Voilà résumés le contenu des deux textes et les travaux particulièrement riches que nous avons menés au sein de la commission des lois. Les débats dans l'hémicycle seront l'occasion de poursuivre les échanges à propos de notre justice et de confronter nos visions de cette institution, qui compte tant à nos yeux et à ceux de nos concitoyens.

« Nous avons à recoudre ce qui est déchiré, à rendre la justice imaginable dans un monde si évidemment injuste », écrivait Albert Camus.

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