Intervention de Mikael Quimbert

Réunion du mardi 1er décembre 2020 à 18h00
Mission d'information sur l'émergence et l'évolution des différentes formes de racisme et les réponses à y apporter

Mikael Quimbert, adjoint au sous-directeur des politiques publiques à la direction générale des outre-mer du ministère des outre-mer :

. L'audition du préfet de Mayotte est très complémentaire à la mienne. Aussi, il est intéressant d'enchaîner ces deux interventions. Le préfet de Mayotte, fort de son expérience de terrain à Mayotte, à la Guadeloupe et à La Réunion, a pu vous faire toucher du doigt l'épaisseur de la problématique de la question mahoraise. Vous avez pu voir la réalité du terrain en Martinique. Nous évoquerons probablement d'autres situations très singulières comme celle de la Guyane.

Les outre-mer ont effectivement quelques points communs, mais beaucoup de spécificités. Le rôle du ministère des outre-mer est bien d'essayer de défendre ces spécificités au sein de l'appareil administratif français et celles du ministre au sein du gouvernement.

Je remercie le préfet Colombet pour son intervention utile, car proche des réalités du terrain, l'administration centrale pouvant avoir tendance à être stratosphérique.

En premier lieu, le ministère des outre-mer est une petite maison qui a une administration de mission et de coordination. Il n'a pas vocation à se substituer aux ministères chefs de file sur l'ensemble des politiques publiques. Sur celles qui nous intéressent, les ministères de la justice, de l'éducation nationale et de l'enseignement supérieur et de la recherche ont pleine vocation à définir et mettre en œuvre leurs politiques publiques en intégrant la dimension de lutte contre le racisme et les discriminations dans l'ensemble des territoires d'outre-mer. Dans certains territoires tels, que le Pacifique, les compétences sont transférées aux gouvernements locaux.

Dans ce contexte, la politique de lutte contre le racisme se met en œuvre en outre-mer comme en métropole. Le ministère d'outre-mer participe en amont à la conception des politiques publiques pour faire en sorte que l'ensemble des spécificités ultramarines soient prises en compte dès leur origine. Ensuite, il appartient aux préfets, qu'ils soient ultramarins ou métropolitains, de mettre en œuvre ces politiques.

L'ensemble des départements et régions d'outre-mer disposent d'un comité opérationnel de lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la haine anti-LGBT (personnes lesbiennes, gays, bisexuelles et transgenres). Tous les plans nationaux ont vocation à se développer outre-mer et nous avons un regard attentif sur cette mise en œuvre. Nous travaillons très étroitement avec la délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la haine anti-LGBT (DILCRAH) en charge de la conception et de la mise en œuvre de cette politique. Le délégué interministériel actuel connaît très bien la question de l'outre-mer. J'insiste sur la fluidité de nos relations avec cette délégation interministérielle et sur son excellente prise en compte de nos préoccupations.

Dans le cadre d'une immigration importante telle qu'à Mayotte ou en Guyane, la question des langues est majeure lorsqu'il s'agit de s'adresser à un service public ou d'être scolarisé. La DILCRAH veille à ce que nos politiques, qui visent à répondre à vos préoccupations, s'adaptent aussi à ces publics.

En second lieu, le rôle premier du ministère des outre-mer est de lutter contre les fractures territoriales et de contribuer au développement économique des territoires d'outre‑mer. Les fractures territoriales sont nombreuses, liées à la géographie, à l'insularité ou double insularité, à l'isolement de certaines populations ou à l'éloignement de la métropole. L'étroitesse des marchés quant à elle complique le développement économique, ce qui a des conséquences en matière de taux de pauvreté, de pathologies de santé (obésité, diabète), de difficulté d'accès aux soins ou d'immigration.

Comme l'a dit le préfet Colombet, c'est d'abord par la politique du logement, de l'éducation ou de la santé que nous faisons progresser ces territoires et que nous en donnons une image plus positive. C'est à la fois une réponse au racisme dans les territoires qui est lié à l'opposition entre populations et un enjeu pour améliorer l'image des Ultramarins dans l'Hexagone.

Le ministère des outre-mer intervient selon trois dimensions :

La première dimension est la situation des Ultramarins en métropole. Depuis 2019, un délégué interministériel à l'égalité des chances et à la visibilité des Français d'outre-mer est placé auprès du ministre des outre-mer pour accompagner les Ultramarins en métropole. Il mène une action déterminée et déterminante sur trois axes principaux :

– le sport pour accompagner les sportifs ultramarins de haut niveau et leur permettre de rayonner, notamment dans la perspective des JO 2024 ;

– le logement : selon les rapports de la Commission nationale consultative des droits de l'Homme, les discriminations à l'encontre des Ultramarins dans l'Hexagone sont les plus évidentes dans ce domaine. Un travail est effectué auprès des bailleurs sociaux et des interlocuteurs socioprofessionnels compétents pour éviter par exemple qu'une caution domiciliée dans une banque ultramarine soit refusée à l'entrée dans un logement ;

– la visibilité des Français, d'outre-mer par la création d'une chaire autour de l'étude des outre-mer dans l'institut d'études politiques Sciences Po – ce projet aboutira début 2021 – ou par l'adresse internet Stop discri pour aider les Ultramarins qui peuvent se sentir isolés en métropole ou se trouver dans des situations de discrimination.

Quel que soit leur âge, les Ultramarins en métropole peuvent être considérés comme des étrangers dans leur propre pays. Ce n'est pas acceptable et nous luttons de toutes forces contre ces situations.

La deuxième dimension est la situation en outre-mer avec l'existence de minorités dans les territoires. La Guyane par exemple, par les populations présentes et leurs langues, se retrouve parfois écartée de l'accès aux services publics de santé ou d'éducation. Des réponses appropriées doivent être apportées.

Cela peut paraître un paradoxe, mais il existe une forme d'invisibilité du racisme outre-mer, notamment en matière d'outils. Les statistiques, telles que les dépôts de plaintes ou les poursuites pénales, ne font pas ressortir les injures publiques pour racisme ou les faits de violences comme c'est le cas en métropole. Pourtant, nous sommes presque sûrs qu'ils existent. Il existe donc un problème d'accès aux services publics, en l'occurrence de la justice, pour des raisons sociales, de pauvreté ou de capacité linguistique notamment.

De même, jusqu'à l'année dernière, le baromètre annuel sur le racisme piloté par le service d'information du gouvernement (SIG) excluait les territoires d'outre-mer de son champ d'application. Il faut probablement travailler sur ce baromètre qui utilise des critères qualitatifs pour mesurer l'expression du racisme, outre-mer.

S'agissant du logement, une politique extrêmement ambitieuse est mise en œuvre par le ministère des outre-mer. En ce qui concerne l'école, des crédits très importants visent à répondre au dynamisme démographique de Mayotte et de la Guyane. Contrairement à la Martinique qui est un département vieillissant, la population est extrêmement croissante dans ces deux départements, du fait à la fois de l'immigration et de l'accroissement naturel de la population. Le gouvernement est pleinement investi dans le rattrapage pour l'accès à l'école de tous les enfants.

La responsabilité de la lutte contre cette discrimination dans l'accès aux services publics n'est pas seulement celle de l'État, qu'il soit central ou déconcentré. Un travail est à mener avec les élus locaux. Ils doivent par exemple recenser les populations autochtones ou issues de l'immigration éloignées de l'école primaire pour permettre les inscriptions à tous. Les préfets mènent ce travail auprès des collectivités locales, y compris dans les territoires d'outre-mer.

La troisième dimension, plus transversale, concerne l'héritage, l'histoire et la question mémorielle. Nous sommes bien conscients de la nécessité d'agir dans ce domaine. En collaboration étroite avec le ministère de la culture, le ministère des outre-mer mène une politique en direction de l'émergence et du soutien de la culture en outre-mer sous toutes ses formes.

Une enveloppe réservée au Centre national du cinéma permet de financer des projets cinématographiques issus des outre-mer sur les outre-mer. Une deuxième enveloppe cofinancée avec le ministère de la culture permet de faire émerger des projets de documentaires ou de téléfilms. D'autres dispositifs interviennent dans le cadre du spectacle vivant pour financer certaines actions emblématiques telles que le concours Voix d'or. Il permet de valoriser des talents nouveaux qui accèderaient sinon difficilement aux grandes salles de spectacle, aux studios d'enregistrement ou aux formations d'élite pour exprimer leurs talents lyriques ou de musique contemporaine.

S'agissant de la visibilité des outre-mer à la télévision, nous assumons totalement la fermeture de l'antenne France Ô, car elle avait des écoutes très faibles en métropole. Ce n'est pas le cas des chaînes premières telles que Martinique Première ou Mayotte Première qui sont très suivies dans les territoires et qui produisent toujours des contenus. Nous avons choisi de limiter le nombre d'heures de programmes pour nous axer sur les Ultramarins, les cultures ultramarines, la biodiversité et les problèmes de l'outre-mer.

Des engagements très forts ont été pris par France Télévisions dans le cadre du pacte de visibilité des Français d'outre-mer au sein de toutes les chaînes audiovisuelles publiques (France 24, France Médiamonde, médias radio). Le ministère des outre-mer discute actuellement des contrats d'objectifs et de moyens entre l'État et ces chaînes de télévision ou de radio.

Après quelques mois de recul, nous en voyons déjà les résultats dans les journaux d'information, documentaires, grands spectacles, émissions de variété, jeux ou météo. Ces « détails » rendent beaucoup plus présente dans la vie quotidienne des Français l'existence des outre-mer dans leur diversité. Les premiers résultats en termes d'audience et de perception qualitative auprès des téléspectateurs semblent nous montrer que nous sommes sur le bon chemin. Cette action s'est effectuée à moyens constants, voire en augmentation pour la production des contenus documentaires ou de fiction pour les outre-mer.

Enfin, au cœur des questions mémorielles, la Fondation pour la mémoire de l'esclavage est hébergée chez nous. Au même titre que les ministères de l'éducation nationale, de la recherche, de l'intérieur ou de la défense, nous voulons cette politique interministérielle. Le ministère des outre-mer n'est pas le dépositaire unique de cette mémoire.

Le ministère des outre-mer intervient sur la mise en œuvre d'un engagement du président de la République, à savoir l'édification d'un monument en commémoration des victimes de l'esclavage aux Tuileries. Le calendrier a évolué du fait de la crise sanitaire, mais ce projet répond à un besoin important manifesté par les associations de familles d'Ultramarins ou de descendants d'esclaves. Jusqu'à maintenant, que ce soit dans l'Hexagone ou dans les DOM, la France n'avait pas de monument aux victimes de l'esclavage.

Pour terminer, vous connaissez le concours national de la résistance et de la déportation qui est très ancré dans l'institution scolaire, suivi par les enseignants et par les classes et qui participe de façon efficace à la transmission de cette mémoire. Depuis 2015, un équivalent existe sur le sujet de l'esclavage. Le concours Flamme de l'égalité est piloté dans sa mise en œuvre par la DILCRAH, avec l'appui du ministère de l'éducation nationale et du ministère des outre-mer. Il vise à faire réfléchir les élèves, du CM1 au lycée, sur le sujet de l'esclavage selon trois valeurs fondatrices de la République : la liberté, l'égalité entre tous les Français sans distinction de naissance ou de race, la dignité humaine dans la République.

Cette initiative est trop récente pour nous permettre de juger de son ancrage et de son effet sur les scolaires, mais il convient de la soutenir et de la faire prospérer. Cette année, ce concours a probablement été perturbé par le confinement et les difficultés d'enseigner en présence physique ; les professeurs se sont concentrés sur les programmes scolaires.

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