Intervention de Jean-René Binet

Réunion du mercredi 27 novembre 2019 à 14h15
Mission d'information sur l'adaptation de la politique familiale française aux défis du xxie siècle

Jean-René Binet, directeur de l'école doctorale de droit et de science politique (ED DSP) :

S'agissant de l'extension de l'assistance médicale à la procréation aux couples de femmes et la création de ce double lien de filiation unisexuée, j'ai beaucoup de réserves. J'ai une réserve de fond sur l'extension et une réserve technique sur les modifications du titre 7. Sur l'extension, je crois que le législateur, en procédant de cette manière-là, rompt avec la recherche d'équilibre qui existait auparavant dans notre législation. Il méconnaît le droit pour un enfant de disposer d'une branche paternelle de sa filiation, et j'ai peine à considérer que cela puisse être favorable à l'intérêt supérieur de l'enfant, qui doit être une considération primordiale pour le législateur dans cette affaire. Je ne suis pas persuadé que les choses ont été suffisamment approfondies. Je n'ai là que des interrogations et je regrette de ne pas être le seul dans ce cas. Dans son avis 126, le Comité consultatif national d'éthique (CCNE) affirme qu'il n'existe pas d'études fiables pour savoir si l'enfant risque de subir une situation défavorable parce qu'il n'aura jamais de père. Nous ne savons pas. C'est également ce que nous avons entendu de certains pédopsychiatres. La plupart du temps, les études ont été conduites de manière légère, sans véritable recherche, de sorte qu'il n'est pas aujourd'hui possible d'affirmer avec certitude que l'enfant ne souffrira pas d'une telle situation. Je crois qu'il y a ici quelque chose qui relève d'une prise de risque, en contradiction avec l'obligation d'accorder une considération primordiale à l'intérêt supérieur de l'enfant. C'est ma réserve fondamentale.

Sur le plan technique, modifier le titre 7 pour y inclure le nouveau chapitre 4 peut avoir l'air d'un détail, mais le Conseil d'État avait mis en garde le législateur contre toute tentative de modification de ce titre, en raison du sérieux risque d'ébranler les colonnes du temple. Sans aller chercher trop loin, il y a deux réserves techniques qui peuvent être faites au dispositif. D'abord, le texte prévoit une reconnaissance conjointe. Le terme a été choisi à dessein, parce que c'est par la reconnaissance que s'établit la filiation, à défaut d'établissement légal. Or, la reconnaissance de l'article 316 traduit la vérité biologique. L'homme avoue être le père de cet enfant qui vient de naître. Il y a derrière la reconnaissance, la vraisemblance biologique, ce qui conduit à ce que les reconnaissances mensongères ou invraisemblables sont annulées, et qu'en cas de contestation, ce soit la vérité biologique qui permette d'arbitrer. Le risque est que nous ayons le même terme de « reconnaissance » pour deux situations essentiellement différentes dans le même titre, à savoir un titre qui est entièrement structuré autour de la vraisemblance.

La deuxième réserve technique porte sur l'établissement du lien de filiation à l'égard des deux femmes, qui ne sont pas dans la même situation. L'accouchement devrait faire la mère. C'est ainsi que les choses se passent pour toutes les femmes depuis l'ordonnance du 4 juillet 2005. Auparavant, c'était uniquement pour les femmes mariées, mais c'est désormais pour toutes les femmes. Une femme pourra à présent accoucher sans pour autant être mère. Elle ne sera mère que par la reconnaissance conjointe. Il y a une rupture avec le principe « Mater semper certa » est, et je pense qu'il y a ici un problème.

S'agissant du divorce par consentement mutuel, les couples doivent s'entendre, mais c'était déjà le cas auparavant. Il faut que les deux membres du couple soient d'accord sur les causes et les conséquences du divorce. Ils doivent être d'accord sur tout, y compris les questions relatives à l'enfant, la prestation compensatoire, etc. Auparavant, ils se mettaient d'accord par une convention qui devait être homologuée par le juge. Désormais, l'accord suffit. Il est entouré d'un formalisme un peu plus exigeant, mais la nécessité du juge est écartée, sauf si l'enfant capable de discerner demande à être entendu par le juge. Je ne crois pas que cela pose de difficulté sur la nécessité de l'accord. C'était déjà le cas. Le risque qui a été souligné lors des travaux après la promulgation de la loi et qui est difficile à mesurer, est que dans ce divorce désormais contractuel, les intérêts de l'éventuelle partie faible soient méconnus sur l'autel de la nécessité de s'entendre, pour aller vite, éviter de perdre du temps et de l'argent. Cela pourrait conduire à ce que l'un accepte des conditions qui ne lui sont pas favorables. Le risque est de générer un contentieux post-divorce de remise en cause des conséquences telles qu'elles ont été acceptées.

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