Intervention de François de Singly

Réunion du lundi 9 septembre 2019 à 17h05
Mission d'information sur l'adaptation de la politique familiale française aux défis du xxie siècle

François de Singly, professeur émérite de sociologie, Université Paris Descartes :

Je n'ai pas forcément vu venir ce type d'évolution. À titre d'exemple, en 1990 j'ai dirigé un ouvrage collectif auquel ont contribué les 40 meilleurs spécialistes du moment, intitulé La famille. L'état des savoirs. Or les termes d'homosexualité et de couple homosexuel en étaient absents. Et personne, à l'époque, ne m'a questionné sur ce point. Le social évolue donc plus rapidement que les associations familiales et que les chercheurs.

La famille a évolué ces derniers temps à l'aune d'une suite de déconnexions. Le mariage s'est déconnecté de la logique affective. De nouvelles formes d'union voient le jour, avec par exemple les couples à double logement. De manière générale, la notion de couple perd son évidence. Quoique l'on en pense et quel que soit le qualificatif qu'on veuille lui attribuer, cette évolution est factuelle. Si, pour la plupart des gens, trouver quelqu'un qui me reconnaisse demeure important, il se forme de plus en plus de nous partiels. Deux personnes peuvent ainsi avoir du plaisir à se retrouver, mais sans s'embarrasser l'un l'autre à domicile.

À mon sens, il s'agit là d'une question plus fondamentale que celle de l'ouverture de la PMA aux couples lesbiens. Un certain nombre de femmes pense en effet qu'il n'est pas nécessaire de s'embarrasser d'un homme. Même si l'amour hétérosexuel demeure une toile de fond qui se retrouve dans les séries, l'imaginaire, etc., sa logique est donc aujourd'hui ébranlée. Certaines femmes se demandent ainsi lors des entretiens que j'ai avec elles : « Pourquoi s'embarrasser d'un autre enfant ? » Il arrive également souvent que les femmes cessent d'assurer la préparation du repas du soir une fois que leurs enfants ont quitté le foyer familial. Or comme les techniques qui existent aujourd'hui permettent aux femmes de la penser seule, la relation mère-enfant a gardé son évidence. À ce titre, il est intéressant de noter que le ministère de l'Éducation nationale, qui affiche pourtant une volonté de lutter contre les stéréotypes, parle encore de l'école maternelle. Sur le fond, le lien mère-enfant n'a jamais perdu de sa pertinence. Il est d'ailleurs mentionné par les psychologues et les psychanalystes dès qu'ils oublient le politiquement correct. Il y a là une réelle continuité.

Historiquement, l'homme est défini par l'autorité. Cependant la loi n° 70-459 du 4 juin 1970 relative à l'autorité parentale a supprimé la notion de puissance paternelle. Auparavant, le mariage amoureux s'est construit au XIXe siècle contre la loi du père. L'histoire de la famille occidentale est donc marquée par une perte progressive de l'importance des hommes, qui peut aller aujourd'hui jusqu'à la perte de leur place. Le déclin de la psychanalyse est à ce titre significatif. Des années 1980 aux années 2000, la psychanalyse française, très lacanienne, avait pour concept central la loi du père. Presque tous les psychanalystes de France ont d'ailleurs pris position contre le pacte civil de solidarité (PACS). Or la psychanalyse est aujourd'hui en déclin par rapport aux logiques idéologiques dominantes. En revanche, les textes officiels de l'Église catholique s'appuient sur un argumentaire de type psychanalytique.

Alors qu'une telle évolution était inenvisageable en 1980, aujourd'hui les mouvements idéologiques rendent pensable à mon sens la filiation dans le cadre de la PMA pour toutes, y compris avec l'accent mis sur la fonction maternelle. Il est intéressant de noter par ailleurs qu'en 2012 l'UNAF affirmait que le mariage et la filiation étaient indissociables, alors que la moitié des naissances se faisait déjà hors mariage. En réalité, si le monde peut sembler nous échapper, il n'y aura peut-être pas forcément de révolution.

D'ailleurs, d'ici trente ou quarante ans, lorsque nous disposerons de statistiques suffisamment nombreuses sur ce point, nous ne constaterons aucune différence entre les couples mariés homosexuels et les couples mariés hétérosexuels du point de vue de la reproduction sociale. Pour un niveau de diplôme donné, la même logique de reproduction s'appliquera. Nous l'avons expérimenté avec le concubinage. En réalité, la famille est souple.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.