Intervention de Joël Barre

Réunion du mardi 24 juillet 2018 à 11h30
Mission d'information relative à la prochaine génération de missiles anti-navires

Joël Barre, délégué général pour l'armement :

Mesdames et Messieurs les parlementaires, permettez-moi aussi de vous remercier pour votre invitation à venir témoigner devant vous de l'importance du programme FMAN/FMC, que Mme la députée vient d'introduire. Je suis évidemment très honoré de m'exprimer devant vous à l'occasion de ce que j'ai compris être une première mission d'information entre les parlements de nos deux pays. Comme vous le savez, au sein de la direction générale de l'armement (DGA), nous sommes évidemment attachés à la coopération franco‑britannique dans le domaine de la défense.

Le programme FMAN/FMC a pour objectif de fournir à nos forces armées des capacités anti-navires et des capacités de frappe dans la profondeur renouvelées pour répondre au besoin dans la durée. En France, nous avons décidé, dans le cadre de la loi de programmation militaire (LPM) 2019-2025, promulguée par le président de la République le 13 juillet dernier, le lancement de ce programme en 2024 pour être au rendez-vous de la fin de vie des systèmes actuels – capacités anti-navires Exocet et de frappes dans la profondeur SCALP-EG – à l'horizon 2030.

Il s'agit, à cette échéance, de faire face aux évolutions de la menace, en particulier dans le domaine des systèmes A2/AD, éléments très dimensionnants pour la pénétration de nos systèmes de missiles.

D'après moi, le programme FMAN/FMC témoigne d'abord d'une volonté politique de coopération entre nos deux pays, découlant du traité de Lancaster House de 2010, et s'inscrit dans la lignée de ce que nous avons déjà fait ensemble, notamment les missiles SCALP et Storm Shadow.

Il s'agit aussi d'une coopération industrielle puisque le traité de Lancaster House a permis d'engager une démarche de rationalisation du secteur des missiles, qui est un secteur stratégique en raison des enjeux forts de souveraineté qui s'y rattachent et que nous partageons des deux côtés de la Manche.

Aujourd'hui, il me semble que nous pouvons nous féliciter de l'avantage opérationnel procuré à nos armées par ces armements de pointe, ainsi que de la liberté d'action qu'ils nous ont permise. Nous en avons d'ailleurs fait l'expérience il y a quelques semaines seulement, dans le cadre des opérations communes conduites en Syrie.

La France et le Royaume-Uni ont conduit depuis plusieurs années des réflexions sur le futur de ces capacités. Nous avons, dès novembre 2011, conclu un arrangement technique qui a engagé une première étude technico-opérationnelle conjointe, au terme de laquelle ont pu être affinés les besoins auxquels doivent correspondre ces systèmes et identifiés les concepts susceptibles d'y répondre. C'est ainsi que, dès cette étude préliminaire, nous avons identifié les premières caractéristiques communes aux deux capacités, anti-navires et frappe dans la profondeur, à savoir le besoin essentiel de survivabilité des missiles dans leurs missions face aux défenses anti-aériennes, en progrès constant, mais aussi le besoin d'une portée accrue de ces missiles, qui permet de garantir la survivabilité de la plateforme qui les transporte et qui doit procéder à leur tir face à des missiles adverses dotés, eux aussi, d'une portée accrue.

Par la suite, une nouvelle impulsion politique a été donnée par la déclaration d'intention du sommet franco-britannique d'Amiens, en mars 2016, qui définit l'objectif de réaliser ensemble une étude de concept pour un programme futur de missile anti‑navires et de missile de croisière. Lors du sommet d'Amiens, il avait été décidé de lancer cette étude dans un délai d'un an : avec nos homologues du ministère de la Défense britannique, nous avons tenu ce calendrier, puisque nous avons pu établir l'arrangement technique qui a défini le cadre de ces activités en mars 2017. La DGA a alors pu notifier le contrat relatif à cette étude à la société MBDA, pour le compte de nos deux nations. Ce contrat, d'une durée de trente-six mois, est d'un montant de 100 millions d'euros, financés à parts égales par le Royaume-Uni et la France.

Cette étude de concept a pour objectif d'approfondir la compréhension des possibilités offertes par différentes architectures de missiles, qu'ils soient supersoniques manœuvrant ou subsoniques et plus furtifs, puis de faire émerger une solution capable de satisfaire l'ensemble des spécifications liées aux besoins anti-navires et aux besoins de frappe dans la profondeur, soit sous la forme d'un unique vecteur (un missile qui répondrait à l'ensemble des capacités), soit, si cela n'est pas possible de manière aussi « simple », sur la base d'une famille de vecteurs qui présenteraient un haut niveau de communalité, de modularité et de réutilisation possible de leurs différents composants. Pour ce qui concerne la France, il s'agit d'intégrer ces missiles sur nos bâtiments de surface et, en premier lieu, nos frégates, ainsi que sur les Rafale et les avions de patrouille maritime.

Dans ce cadre, nous avons franchi avec succès un premier jalon – l' Initial Review – au début de l'année 2018. En somme, après une première période de travail commun, nous sommes parvenus à sélectionner plusieurs concepts d'architecture. Le prochain jalon est la revue principale d'architecture, dénommée Key review, prévue en février 2019, qui permettra d'apposer un deuxième filtre et de sélectionner, parmi les concepts retenus cette année, les plus prometteurs d'entre eux. Les concepts qui seront alors choisis feront ensuite l'objet « d'études système » plus approfondies, en vue de la fin de la phase de concept prévue en 2020, qui constituera du côté britannique l'« Initial Gate ». Pour ce qui nous concerne, nous prévoyons le lancement de la réalisation du programme en 2024.

Cette étude de concept, dont la prochaine étape est donc la « Key Review » de février 2019, permettra également d'établir les feuilles de route de maturation des technologies requises pour les différents concepts que nous étudions. Il est important de souligner que la réalisation de ces missiles du futur ne pourra se faire qu'au prix d'un important effort d'innovation technologique, que nous avons déjà engagé au sein de la DGA. En effet, depuis quelques années déjà, nous soutenons la recherche sur les technologies de rupture qui seront nécessaires pour répondre pleinement aux exigences recherchées sur ces programmes. Nous le faisons à travers notre programme d'études amont, notamment dans le domaine de la survivabilité, en particulier de la supervélocité, c'est-à-dire des missiles supersoniques manœuvrant. Cette performance technique, associée à une portée plus importante que celle des systèmes actuels, est effectivement à même de présenter des avantages et d'exposer le moins possible les plateformes qui mettront en œuvre ces systèmes de missiles, de manière à apporter un avantage décisif pour percer les défenses adverses futures et prévisibles, dont le renforcement est constant.

J'en profite pour souligner que nous allons pouvoir amplifier cet effort à travers l'augmentation des crédits alloués aux études amont au sein du ministère des Armées. La LPM 2019-2025 prévoit une augmentation significative des crédits en la matière, de 750 millions euros annuels aujourd'hui à un milliard d'euros par an à l'horizon 2022, soit une augmentation de 30 %. Cette hausse est très significative. Cette montée en puissance se retrouve d'ailleurs dans l'ensemble du budget d'investissement qui nous a été alloué par la LPM 2019-2025.

Les technologies nécessaires aux futurs missiles anti-navires et de frappe dans la profondeur sont donc liées à la survivabilité : il s'agit de l'aéropropulsion, de la furtivité ainsi que des technologies qui permettent le guidage terminal du missile sur sa cible – guidage électromagnétique, optique, bimode, etc. Il nous faut également progresser en matière de navigation des missiles à longue portée, avec des durées de vol importantes ainsi qu'éventuellement en environnement contesté, c'est-à-dire en présence de brouillage des constellations satellitaires utilisées pour le guidage de ces missiles. Nous devrons également améliorer les technologies relatives aux techniques utilisées pour la préparation de missions, et ce de manière à faciliter l'emploi de ces systèmes et à garantir leur opérationnalité. Il nous faudra également mettre au point les liaisons de données et les moyens de connectivité indispensables à la réalisation de ces missions de frappe à longue distance.

Sur le plan industriel, je voudrais souligner que, après la rénovation à mi-vie des missiles SCALP et Storm Shadow, déjà décidée, après le lancement du missile anti-navires léger que nous conduisons de manière bilatérale, et pour lequel il a été procédé au deuxième tir de développement au mois d'avril dernier, le programme FMAN/FMC s'inscrit naturellement dans le cadre de la démarche de rationalisation initiée par les accords de Lancaster House. Celle-ci vise à disposer d'une industrie missilière indépendante, compétitive et qui nous est indispensable pour garantir la satisfaction des enjeux de souveraineté qui sont les nôtres en matière de liberté d'action et d'avantage opérationnel dans le domaine des missiles.

Comme vous le savez, les accords de Lancaster House ont institué une dépendance mutuelle qui constitue un fondement essentiel du schéma de coopération entre nos deux pays pour ce programme. Aujourd'hui, notre industrie missilière est franco-britannique. MBDA est une société franco-britannique qui dispose de pôles d'excellence partagés par les deux nations et de l'ensemble des compétences nécessaires pour réaliser les programmes de missiles ambitieux dont nous parlons aujourd'hui. Du point de vue de la DGA, l'existence de cette capacité industrielle franco-britannique est essentielle et nous y sommes très attachés.

Certains peuvent penser que l'approvisionnement sur étagère pourrait être envisageable pour nous doter de ce genre de missiles. Certes, cela pourrait être une solution moins coûteuse, puisque cela permettrait d'éviter les coûts de développement nécessaires à la mise au point de ce genre de systèmes. Il n'empêche que ce point doit être mis en balance avec les conséquences d'un tel choix en termes de perte de compétences industrielles, nécessaires pour maintenir notre souveraineté et notre autonomie stratégique. Vous savez combien les compétences industrielles peuvent rapidement être perdues, et qu'il est beaucoup plus difficile de les reconstituer. Nous devons donc prendre en compte cette exigence de maintien de nos compétences industrielles. De plus, sur le plan de l'autonomie stratégique, qui est l'un de nos objectifs, si nous achetions sur étagère ce genre de missiles, nous accepterions de facto une réduction de notre souveraineté en matière de liberté d'action et de liberté d'exportation de nos missiles, ainsi que des plateformes porteuses. Il s'agit donc d'un enjeu essentiel.

Je terminerai en rappelant, une nouvelle fois, que le programme FMAN/FMC représente l'aboutissement d'une démarche engagée il y a plus de vingt ans par la France et le Royaume-Uni afin de disposer d'une industrie missilière de très haut niveau, compétitive et souveraine, et qui a permis de nombreuses coopérations dont le SCALP et le Storm Shadow, mais aussi l'Aster dans le domaine des missiles sol-air, le Meteor dans le domaine des missiles air-air ou encore le Sea Venom/missile anti-navire léger (ANL) dans le domaine des missiles anti-navires. Au stade actuel, je pense que le programme FMAN/FMC constitue le programme le plus structurant et le plus dimensionnant de notre coopération franco‑britannique dans le domaine des missiles. Il s'agit donc d'un pilier majeur de notre relation en matière de défense. En ce qui concerne la DGA, nous avons à cœur de le consolider et de le réussir ensemble.

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