Intervention de Dominique Potier

Réunion du mardi 19 janvier 2021 à 17h30
Commission des affaires économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDominique Potier :

La proposition de loi de Nicolas Turquois est un texte pragmatique, mais nous pouvons en aborder l'examen en l'envisageant sous un grand angle. La superficie forestière française est de 17 millions d'hectares, soit un tiers de la sole française. La filière bois et forêts, qui compte près de 500 000 emplois, constitue, au-delà de son importance économique, un enjeu écologique mais aussi un enjeu de civilisation. Il suffit, pour le mesurer, d'observer le traumatisme qu'a causé à notre culture commune la modification de nos paysages provoquée par la crise du scolyte.

Or, malgré les efforts consentis dans le cadre du plan de relance, qui prévoit un investissement de 200 millions d'euros, nous sommes à peine en mesure de remplacer les 60 000 hectares de forêt victimes de cet insecte puisqu'un investissement de 300 millions serait nécessaire si l'on retient l'hypothèse d'un besoin de financement de 5 000 euros à l'hectare. La mobilisation des crédits publics et éventuellement privés, issus du fonds carbone, est donc un véritable enjeu. À titre d'exemple, en Allemagne, dont la sole forestière est supérieure à celle de la France, l'échelon fédéral consacre 800 millions d'euros à la forêt, en sus de l'abondement réalisé par les Länder dans le cadre de leurs compétences en matière de gestion forestière. Nous sommes très loin du compte ! Pourtant, la gestion des forêts, comme celle des sols et l'agronomie, a été, pendant des siècles, une ambition française incarnée par un organisme de gestion du temps long, l'Office national des forêts (ONF), dont nous avons eu beaucoup de peine à préserver les crédits lors d'un débat budgétaire pour le moins abrupt.

J'en viens aux enjeux de l'aménagement forestier, que je connais davantage sous l'aspect des enjeux fonciers, sujet qui m'est particulièrement cher. Il y a deux écoles, en la matière. Soit on considère que le morcellement est une chance pour la biodiversité, soit on tient – et c'est mon cas – pour la régulation, en estimant que la réorganisation forestière contribue à la bonne exploitation de la forêt, laquelle doit être soumise non seulement à des critères économiques mais aussi à des impératifs de bonne gestion tels que ceux mis en œuvre par l'ONF dans le domaine public.

Par conséquent, si je souscris à cette proposition de loi pragmatique – car, pour exploiter la forêt, il faut la connaître et donc avoir accès à la matrice cadastrale –, je serais néanmoins tenté de la compléter, même si je n'ai pas pu le faire sous la forme d'amendements, par des considérations de bonne gestion. De fait, si l'on reconstitue des ensembles de 10 à 50 hectares, il faut prendre en compte l'enjeu politique que constitue la bonne gestion de la forêt pour éviter des stratégies qui viseraient à affaiblir la biodiversité et la capacité de régénération des forêts. Le nouveau droit accordé aux experts forestiers devrait ainsi avoir pour contrepartie le respect d'un code de bonne gestion, encadré par les centres régionaux de production forestière, avec, pourquoi pas, le concours de l'ingénierie étatique de l'ONF.

Bref, il faut penser la forêt. Dans mon territoire, nous envisageons, avec AgroParisTech, à Nancy, l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (INRAe) et d'autres experts, d'offrir à l'ensemble des élus, qui sont actuellement désemparés face au capital naturel qu'est la forêt, la possibilité d'acquérir une culture commune dans ce domaine. Nous avons besoin d'une telle culture commune ainsi que d'une nouvelle politique. Celle-ci devra notamment procéder au réarmement de l'aménagement foncier, qui doit trouver d'autres formes, en sus de celle qui nous est proposée dans ce texte. À cet égard, les opérations groupées d'aménagement foncier (OGAF) et les remembrements sont exemplaires d'un réaménagement heureux au service de la triple performance sociale, écologique et économique.

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