Intervention de Julien Dive

Réunion du mardi 10 novembre 2020 à 17h30
Commission des affaires économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJulien Dive, co-rapporteur :

Je me réjouis d'avoir pu auditionner les organisations professionnelles et les associations d'élus locaux, qui sont directement en prise avec les problèmes liés à la fermeture des commerces de proximité. Le fait que les grandes surfaces ont été autorisées à vendre des produits que des petits commerces n'étaient plus en mesure de vendre a suscité chez les petits commerçants un sentiment d'inégalité de traitement. La fermeture de certains rayons dans la grande distribution, décidée par le Gouvernement en réaction à ces contestations, a été saluée par les acteurs du petit commerce comme ayant rétabli l'équité entre les acteurs. Il demeure toutefois une grande incompréhension sur l'utilité de la fermeture de magasins qui s'étaient précédemment activement équipés en vue de la protection sanitaire de leurs clients.

Nous recommandons un effort de pédagogie sur les arbitrages réalisés, et notamment la priorité donnée à la limitation des déplacements. Le besoin de préserver l'activité économique doit être expliqué, tout en justifiant aussi en quoi les fermetures de certaines activités s'imposent de manière temporaire. Il est indispensable de donner un horizon, une date ferme et des précisions sur la possibilité de rouvrir, en présentant les critères objectifs qui permettraient la levée des mesures exceptionnelles. Il faut aussi fixer une stratégie claire pour gérer les prochains pics épidémiques, qui seront inévitables tant qu'un vaccin n'a pas été largement distribué.

Les commerçants et professionnels indépendants ont ressenti une dévalorisation du fait de l'application de l'appellation « caractère non essentiel ». Cette présentation cristallise les amertumes et doit être évitée. Par ailleurs, l'acceptation du reconfinement repose aussi sur la mise en œuvre de règles claires, appliquées de manière équivalente sur tout le territoire. Ainsi divers acteurs ont-ils constaté que certaines grandes surfaces ne respectent pas toutes les nouvelles consignes, par exemple en laissant des rayons ouverts qui devraient être fermés. Il a été rapporté que des astuces sont mises en œuvre afin de contourner la fermeture de certains rayons, notamment la mise en place d'un dispositif de « cliquer-retirer » où le client retire à la sortie du magasin un produit qu'il ne peut avoir au rayon.

Il y a des incertitudes sur la résistance économique des acteurs aux sacrifices exigés par le confinement. L'État mobilise de grands moyens pour accompagner les entreprises, mais des problèmes subsistent. Ainsi, en ce qui concerne les locaux professionnels, le crédit d'impôt pourrait-il ne pas constituer le bon levier pour encourager les bailleurs particuliers à renoncer à leur loyer lorsque celui-ci constitue une grande partie de leurs revenus. Il est cependant légitime que les bailleurs participent dans une certaine mesure aux efforts de lutte contre la crise.

Le groupe de suivi a relevé l'existence de difficultés particulières dans les commerces à stock, comme l'habillement, qui ont des paiements à terme. Ces commerces ont réalisé des commandes pour les fêtes de fin d'année, et se retrouvent avec des volumes importants de marchandises qu'ils ne peuvent pas valoriser pour le moment, tout en devant régler les fournisseurs. Si certains appellent à un moratoire sur ces paiements, il faut cependant considérer qu'il est important de ne pas aggraver les retards des paiements pour les fournisseurs, déjà affectés par la crise. En ce qui concerne les établissements financiers, ont été remontées des interrogations sur le manque de réactivité des banques, qui avaient pourtant fait preuve de discernement à l'occasion du premier confinement, par exemple en gelant les prélèvements mensuels sur les prêts d'investissement. L'État doit poursuivre le dialogue avec les banques et les acteurs de l'assurance, qui jouent un rôle essentiel dans l'irrigation financière de l'activité et la prise de risque.

En ce qui concerne le déploiement des systèmes de vente alternative, avant que tous les commerces puissent en bénéficier, il est nécessaire d'avoir des solutions intermédiaires. Des initiatives sont avancées : la Confédération des commerçants de France (CCF) met à la disposition de ses membres une grande plateforme numérique coopérative, et l'Association des petites villes de France (APVF) a mis en œuvre des dispositifs pour faciliter la vente et le paiement. Ce sont des efforts localement importants, insuffisants à l'échelle nationale mais absolument nécessaires. Le ministre de l'économie, des finances et de la relance a annoncé une aide accordée aux collectivités qui souhaiteraient développer les plateformes locales d' e -commerce en regroupant tous les commerçants de leur territoire ; l'accompagnement de l'État est bienvenu. La CCF a cependant déclaré que les commerçants indépendants préfèrent développer leurs propres sites. La CCF et l'APVF ont aussi proposé une taxation sur les dépôts des géants du e -commerce, afin de financer les projets des petits commerces. La Fédération du commerce et de la distribution (FCD) s'est montrée plus réticente, au motif qu'une telle taxe n'aurait que peu d'impact sur les acteurs étrangers tout en pesant davantage sur les acteurs français. Le Gouvernement craint également qu'une telle taxe obère le développement des acteurs français. En dépit de ces appréhensions, l'opportunité d'une taxe progressive en fonction de la taille des entrepôts numériques doit être étudiée.

Il convient d'insister sur l'urgence qu'il y a à équilibrer les relations entre le commerce physique et le commerce numérique. Les acteurs auditionnés ont exprimé de vives inquiétudes sur la concurrence déloyale du e -commerce. Les uns craignent que les géants du commerce en ligne s'approprient durablement une partie de leur clientèle. Les autres s'inquiètent du développement trop radical des ventes numériques, qui pourrait accélérer la disparition des petits commerces et la désertification des centres-bourgs, minant par-là les efforts menés à l'occasion des politiques de revitalisation.

Parmi les conditions de la survie économique de nos commerces et des artisans, il y a l'esprit de responsabilité de chacun. Les citoyens doivent respecter les recommandations et limiter leurs interactions. Ils peuvent également jouer un rôle dans la défense des commerces de proximité, en privilégiant les offres alternatives ou en reportant leurs achats. Il est important de mener une campagne active de sensibilisation dans ce sens. Pour leur part, les pouvoirs publics ont un devoir d'exemplarité, et la fronde de certains élus est dangereuse en ce qu'elle fragilise la parole publique et le respect de la norme, et brouille le message envoyé aux citoyens. Cependant, la méthode du Gouvernement n'est pas exempte de critiques, et l'APVF, entre autres, a regretté un fonctionnement très prescriptif, là où les préfets auraient pu consulter les maires et promouvoir ainsi la co-responsabilisation.

Enfin, le groupe de suivi souhaite relayer le besoin des acteurs de pouvoir s'appuyer sur une stratégie stable dans la durée, d'avoir de la transparence et un horizon dans les indications du Gouvernement. Cette crise est appelée à durer et exige de passer à un autre stade de la lutte, en concevant des stratégies plus durables qui pourront être activées dans le cas d'un rebond épidémique. Il faut trouver un équilibre dans la protection sanitaire qui préserve l'économie et les emplois de nos territoires : les adaptations en faveur des commerces de proximité sont à étudier, et les acteurs du secteur aussi bien que les élus locaux ont présenté des idées pragmatiques. Le Gouvernement a déclaré ne pas écarter l'hypothèse d'une ouverture progressive des commerces, avec des règles sanitaires renforcées, si toutefois le nombre de contaminations diminue. Il faut davantage de transparence sur les critères et les conditions de la reprise de l'activité commerciale.

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