Intervention de Annabelle Vêques-Malnou

Réunion du mardi 28 juillet 2020 à 16h00
Mission d'information sur l'impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l'épidémie de coronavirus-covid 19 en france

Annabelle Vêques-Malnou, directrice de la Fédération nationale des associations de directeurs d'établissements et de services pour personnes âgées (FNADEPA) :

Nous n'en avions pas particulièrement connaissance ; moi-même je ne travaillais pas dans ce secteur en 2013. Est-il possible qu'elle ait été oubliée par les employeurs ? Quoi qu'il en soit, la plupart des structures avaient des stocks de masques, mais ceux-ci n'ont pas suffi à faire face à l'explosion des besoins provoquée par la pandémie depuis le mois de février. Au bout de quelques semaines, lorsqu'elles ont dû se réapprovisionner, les tensions étaient telles sur le marché que l'aide de l'État est devenue nécessaire pour passer des commandes, puisqu'il était impossible de le faire individuellement. Tous nos adhérents n'étaient pas dans la même situation ; certains nous ont alertés dès les premiers jours qu'ils seraient bientôt confrontés à une pénurie, d'autres disposaient de stocks leur permettant de tenir cinq ou six semaines. Les hasards du calendrier, au moment où la commande devait être passée, ont bénéficié à certains mais pas à d'autres.

Il nous paraît important qu'un stock d'État conséquent soit constitué pour faire face au risque d'épidémie en général ; nous y travaillons avec le ministère. Chaque structure médico-sociale accompagnant des personnes âgées doit aussi pouvoir protéger ses personnels, et donc disposer d'un stock important. Cette situation dans laquelle il faut courir après les masques ne doit plus se reproduire. Pour un directeur, il est terrible d'être confronté à des droits de retrait, légitimes, de la part de salariés qui ne veulent plus travailler car ils ont peur de contaminer leurs proches ou les personnes âgées qu'ils accompagnent. C'était une difficulté supplémentaire dans la gestion quotidienne des établissements ; de ce point de vue, avoir des équipements de protection individuelle en nombre suffisant changerait la donne.

Je n'ai pas non plus connaissance de pratiques selon lesquelles les ARS auraient caché des chiffres ou interdit aux établissements de les communiquer. Le fait de ne pas communiquer massivement, tous les jours, à la moindre rumeur agitant la presse locale, n'a pas empêché d'être transparent vis-à-vis des autorités. Dans l'emballement médiatique, il est vrai que des journalistes nous ont demandé si nous cachions les morts… En France, ce n'est pas possible ; il y a des certificats de décès, les pompes funèbres, les cimetières. Parmi les craintes qui se sont exprimées à ce sujet, je ne sais pas ce qui relève de la réalité ou du fantasme, mais nous n'avons aucun élément d'information concernant des chiffres cachés. Les directeurs d'EHPAD ont communiqué et continuent de le faire de manière très régulière avec les familles, comme ils le font toute l'année. La fermeture puis la réouverture des établissements, l'évolution des modalités de visites, tout cela a nécessité une communication permanente, et celle-ci s'appuie sur une relation de confiance tissée au fil des semaines, des mois et des années, qui continue de perdurer dans cette période particulièrement propice à l'inquiétude. Dans cette situation de huis clos, il aurait été terrible pour les proches que nous arrêtions de communiquer.

Les personnes âgées maintenues à domicile ont, bien entendu, souffert d'isolement, sachant qu'il faut distinguer isolement et solitude. De nombreuses personnes âgées se sentent seules, y compris parfois en établissement, et les équipes font le maximum pour y remédier. Une personne qui a l'habitude de voir tous les jours son mari ou ses enfants souffre de rester dans sa chambre et de ne pouvoir converser que par l'intermédiaire d'une tablette dont elle ne maîtrise pas nécessairement l'usage. Le sujet de la lutte contre l'isolement a été pris à bras le corps par le Gouvernement, sur la base de plusieurs rapports de Jérôme Guedj auxquels nous avons collectivement contribué. Il faut créer des plateformes de ressources pour que les services à domicile, d'une part, et les établissements, d'autre part, n'interviennent plus isolément. Les personnes âgées ont un parcours de santé et un parcours de vie qui doit être pris en compte : on peut entrer à l'hôpital ou en EHPAD mais aussi en sortir. Ces allers-retours doivent être facilités, et les liens entre toutes les structures renforcés ; c'est notamment l'objet de la réforme à venir. C'est ainsi que pourra changer l'image de ces établissements. Le nom d'EHPAD a certes une connotation négative, mais ce n'est pas en le modifiant que l'on fera évoluer la recette : c'est le modèle lui-même qui doit être profondément transformé.

Il nous faut davantage de professionnels, afin de dégager du temps pour échanger avec les résidents. Nous ne sommes pas là uniquement pour effectuer des actes techniques ; nous avons aussi un rôle de psychologues et d'animateurs, d'autant que nous risquons de voir dans les mois qui viennent les conséquences du choc post-traumatique vécu par certains, personnes âgées elles-mêmes ou membres de leurs familles dont les angoisses pourraient ressurgir. Pour en avoir discuté avec les directeurs, après avoir tout fait pour que le virus n'entre pas dans les établissements, après avoir fermé les portes si hermétiquement, il est difficile de les rouvrir brutalement. Il faut un temps d'adaptation : certains l'ont fait très vite, d'autres plus progressivement, car le virus circule toujours. Au moment où les visites ont de nouveau été possibles, nous avons demandé que le droit commun s'applique à tous, mais nous devons faire preuve d'une vigilance toute particulière. Ce faisant, nous prenons un risque nécessaire mais qui peut susciter des inquiétudes légitimes, en particulier chez les professionnels.

Si nous voulons changer de modèle, nous devons mettre davantage de moyens. La réforme attendue est importante, et nous espérons que la situation actuelle aura contribué à faire prendre conscience des enjeux du vieillissement. La vague grise ne fait que commencer, et le pic démographique ne sera atteint qu'entre 2030 et 2040 ; il y aura alors beaucoup plus de personnes très âgées, probablement en perte d'autonomie. Nous devons réagir maintenant et ne pas attendre, car il faudra du temps pour que le système s'adapte.

La distinction entre public et privé n'est pas un sujet. Nous avons des adhérents de tout statut, qui se sont battus avec les mêmes armes, ont les mêmes dotations et les mêmes budgets, et travaillent avec la même envie. Une différence s'est parfois faite en fonction des liens plus ou moins affirmés avec la structure hospitalière, dépendant de rencontres humaines ou de coopérations nouées du fait d'une proximité géographique. Certains établissements ont eu des facilités, mais la crise n'a pas été mieux gérée dans un secteur ou dans l'autre. Chacun a fait au mieux et, malheureusement parfois, la malchance et l'aléa ont eu leur part ; dans des territoires peu touchés, certains de nos adhérents ont connu une vague très forte marquée par dix ou quinze décès au tout début de la crise, par exemple dans l'Hérault ou dans la région lyonnaise, alors qu'il n'y avait pas de cas aux alentours. On ne sait pas comment c'est arrivé, ni par qui le virus est entré – un visiteur, une famille, un professionnel, un résident après une sortie ? –, mais une fois que le covid-19 a été là la situation a été très difficile, en particulier au mois de mars quand tout devait être géré dans l'urgence. On sait désormais que de nombreuses personnes sont asymptomatiques, et donc que le port du masque et l'observation des gestes barrières permettra d'éviter de nouveaux cas, même si quelques clusters se développent encore localement.

Il y a eu des décalages de prise en charge par les professionnels de ville. Nous avons beaucoup travaillé avec les kinésithérapeutes, et les équipes ont fait ce qu'elles ont pu, en lien avec eux, pour faire faire des exercices aux résidents, car l'obligation de garder la chambre les empêchait même d'accomplir le plus simple au quotidien : se rendre dans la salle de restaurant. Quand on ne marche pas, on mobilise encore moins ses capacités d'autonomie. Quelques semaines après la fin du confinement, lorsque la situation a commencé à se stabiliser, il a été conseillé de faire revenir un kinésithérapeute par établissement. Tout cela a fait l'objet de discussions avec le ministère. Alors qu'en mars-avril, l'idée était de fermer complètement les portes afin de limiter au maximum le risque d'entrée du virus, la situation serait un peu différente si nous faisions face à une deuxième vague, car nous avons désormais assez d'équipements pour tous les professionnels. En tout cas, la question mériterait d'être posée.

Quant à savoir si les reports de soins ont entraîné une surmortalité, je suis incapable de le dire ; seul l'INSEE le pourra.

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