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Intervention de Dimitri Houbron

Réunion du mercredi 10 février 2021 à 9h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDimitri Houbron :

Merci, madame la rapporteure, pour cette proposition de loi qui a le mérite d'engager le débat dans notre Commission alors même que l'actualité nous rattrape. Permettez-moi de vous soumettre quelques données qui souligneront, si cela était nécessaire, l'impérieuse nécessité de légiférer et d'apporter des solutions. Plusieurs études montrent que les mineurs représentent la classe d'âge la plus exposée aux violences sexuelles : 40 % des viols et tentatives de viols déclarés concernent des enfants de moins de 15 ans ; 27 % de ces crimes touchent des enfants de moins de 10 ans ; on estime qu'un enfant est violé toutes les heures en France. Neuf fois sur dix, le prédateur sexuel est un proche, un membre de la famille, une personne de confiance. Ces chiffres effroyables sont en deçà de la réalité ; ils témoignent de l'ampleur du phénomène et nous imposent d'agir pour protéger les mineurs.

De la publication en 1986 du témoignage d'Éva Thomas dans Le viol du silence jusqu'aux travaux de la psychiatre Muriel Salmona, les effets de l'inceste et des violences sexuelles sur les mineurs sont largement documentés. Le secrétaire d'État en charge de l'enfance et des familles, M. Adrien Taquet, estime le coût individuel de ces sévices insoupçonnable. Ils ont aussi un coût collectif : les violences sexuelles dans l'enfance sont le premier facteur de tentatives de suicide, dépressions, troubles du comportement alimentaire, maladie chronique à l'âge adulte. Ces enfants volés deviennent des adultes désaxés.

Comme la sénatrice Annick Billon le soulignait le mois dernier, l'évolution des consciences n'a pas été suivie d'une évolution du droit. Notre loi pénale ne protège pas suffisamment les enfants contre les prédateurs sexuels. Aujourd'hui, pour caractériser une agression sexuelle ou un viol, il faut pouvoir démontrer la contrainte, la menace, la violence ou la surprise : cela revient à faire porter au juge ou au juré une appréciation sur le comportement de la victime, à poser inévitablement la question de son consentement. Or, la notion de consentement, déjà complexe lorsque la victime est adulte, n'a tout simplement pas sa place lorsqu'elle est particulièrement jeune. Dans Le consentement, Mme Vanessa Springora expose bien l'enjeu de cette question : il ne s'agit pas de savoir si l'enfant mineur a cru être amoureux ou s'il a été ou non contraint à avoir des relations sexuelles ; le problème vient entièrement de l'auteur qui, quel que soit le comportement d'un mineur, n'a pas à le considérer comme son égal. Il y va de la responsabilité des adultes. Un enfant ne peut jamais être consentant à un rapport sexuel avec un majeur pour la simple et bonne raison que c'est un enfant. La création rapide d'une infraction autonome avec, pour élément constitutif, l'âge de la victime serait un apport indispensable à notre arsenal juridique.

À titre personnel, il me semble que, pour le seuil de non-consentement, l'âge de treize ans serait plus adapté. D'abord, notre droit reconnaît déjà ce seuil, notamment pour la présomption simple de non-discernement pour les mineurs délinquants. Ensuite, cela permettrait d'éviter de criminaliser des relations entre de très jeunes majeurs et des mineurs de quatorze ou quinze ans. Je précise que cette position m'est propre et qu'elle ne représente pas l'intégralité des membres de mon groupe.

Si le groupe Agir ensemble salue la volonté qui sous-tend ce texte, celui-ci ne nous paraît malheureusement pas satisfaisant en l'état, pour des raisons ayant trait à la fois au fond et à la forme.

Sur la forme, nous en revenons à l'éternel problème du manque de temps accordé à la préparation et à la discussion des propositions de loi présentées dans le cadre des niches parlementaires. Un tel sujet mériterait une vraie place dans l'agenda de l'Assemblée nationale.

Sur le fond, le texte élude certaines questions comme la prescription, la formation des instituteurs et enseignants pour qu'ils puissent mieux détecter les enfants victimes d'abus ou encore le durcissement de la procédure pénale applicable au délit de non-dénonciation de crimes ou de délits commis sur des mineurs. En outre, je note que la proposition de loi conduirait à ne plus aggraver la peine en cas d'atteinte sexuelle sur mineur dans un cadre incestueux : les articles 1er et 4 punissent en effet de dix ans d'emprisonnement toute atteinte sexuelle sur un mineur, qu'elle soit commise par un ascendant ou non. Il me paraît important de maintenir une gradation du quantum de la peine encourue.

Soucieux néanmoins de m'inscrire dans une démarche constructive, j'ai déposé deux amendements visant à allonger le délai de prescription du délit de non-dénonciation de crimes ou de délits commis sur des mineurs. La responsabilité de ceux qui savent et ne parlent pas est immense, car les enfants parlent rarement.

Il faut envoyer sur le sujet ce message fort : nous travaillons sérieusement sur le fond et nous luttons avec la plus grande fermeté contre les « aigles noirs » chantés par Barbara en 1970.

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