Intervention de Isabelle Santiago

Réunion du mercredi 10 février 2021 à 9h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaIsabelle Santiago, rapporteure :

Je suis ravie d'intervenir pour la première fois devant la commission des Lois, d'autant que c'est pour présenter un texte qui me tient particulièrement à cœur. Avant d'être élue députée, j'ai occupé durant dix ans la vice-présidence du département du Val-de-Marne en charge de la protection de l'enfance et de l'adolescence. J'ai aussi été membre du conseil national de la protection de l'enfance ; à ce titre, je concourais aux avis donnés sur les textes soumis au Parlement.

Eu égard à l'actualité – la Cour de cassation se réunit aujourd'hui sur l'affaire « Julie » –, je voudrais avoir une pensée pour toutes les victimes et leurs familles, ainsi que pour les associations qui attendent cette proposition de loi. Nous allons leur envoyer le message suivant : nous vous entendons. La loi va changer !

Notre Commission examine aujourd'hui la proposition de loi, déposée par le groupe Socialistes et apparentés, renforçant la protection des mineurs victimes de violences sexuelles. Elle sera débattue dans l'hémicycle le 18 février prochain dans le cadre de la journée d'ordre du jour réservé que la Constitution accorde aux groupes minoritaires.

Je tiens à remercier les collègues de la commission des Lois, de la délégation aux Droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes, ainsi que les professionnels auditionnés – experts, membres d'associations, pédopsychiatres, magistrats – pour le travail accompli dans la préparation de ce texte. Je veux aussi mentionner le soutien que m'ont apporté de nombreux parlementaires qui ont affiché leur volonté de légiférer, rapidement et dans un esprit de consensus, sur cette question des plus graves. Je me réjouis enfin des annonces effectuées hier soir par le Gouvernement ; elles apportent une réponse à un combat mené depuis longtemps par M. Adrien Taquet et moi au sein du conseil national de la protection de l'enfance.

Appréhender les besoins fondamentaux de l'enfant, c'est interroger une construction sociale, culturelle, clinique, juridique. Celle-ci s'inscrit dans une histoire, une temporalité et un contexte donnés. Les besoins communs et universels de l'enfant sont fondamentaux dans le sens où leur satisfaction permet la construction du sujet dans la plénitude de ses potentialités et de ses droits, et au service de son développement et de sa socialisation.

Aujourd'hui, la préservation de la santé, de la sécurité et de l'éducation ainsi que le respect des droits constituent les références théoriques et juridiques de la protection de l'enfance. En effet, si l'enfant est sujet de droit, il est aussi objet de protection du fait de sa minorité, de son statut de sujet en devenir et de sa vulnérabilité due à sa dépendance envers les adultes. Lesdits adultes sont chargés de sa protection et son éducation. En conséquence, il importe de garantir à tout mineur un environnement soucieux de son bien-être, favorable à son épanouissement aux fins de son autonomie et de son intégration sociale. C'est ce que dit la Convention internationale des droits de l'enfant du 20 novembre 1989. C'est ce que nous inscrivons dans les lois qui permettent de protéger les enfants.

La proposition de loi soumise à votre examen a été rédigée dès mon arrivée à l'Assemblée nationale, hors de toute agitation médiatique récente. Toutefois, on ne peut jamais faire fi du contexte. Du témoignage de Camille Kouchner au mot-dièse #MeTooIncest, il est devenu évident aux yeux de tous qu'il fallait agir, et vite. Je ne prétends pas vous présenter une solution miracle. Il ne s'agit que d'un premier pas. Ce texte a toutefois l'intérêt de répondre à plusieurs revendications formulées de longue date par les acteurs de la protection de l'enfance ; plusieurs, notamment des représentants d'associations, ont prêté la main à sa rédaction.

Les deux premiers articles de la proposition de loi créent dans le code pénal un délit et un crime spécifiques d'atteinte sur mineur perpétrée par un majeur, sans pénétration dans le premier cas et avec dans le second. Ils posent un seuil de non-consentement à la sexualité avec un majeur : l'âge de 15 ans. Ce seuil a recueilli un large consensus parmi les auditionnés, quoique le Sénat ait privilégié récemment l'âge de 13 ans – ce qui lui a d'ailleurs valu beaucoup de critiques.

Les articles 3 et 4 créent un délit et un crime spécifiques d'atteinte sexuelle sur mineur perpétrée par un majeur membre de la famille ou ayant sur la victime une autorité de droit ou de fait. Il s'agit de concrétiser dans le code pénal ce qu'on appelle couramment l'inceste.

La proposition de loi repose donc sur deux seuils d'âge : 15 ans pour un acte sexuel avec un majeur ; 18 ans pour l'inceste. L'objectif est de mieux protéger les enfants par un interdit clair, levant toute ambiguïté sur une question fondamentale : un mineur peut-il consentir à un acte sexuel avec un majeur, qui plus est avec un parent ? À cette question, nous pensons depuis longtemps qu'il faut répondre avec fermeté : non.

Ces dernières années, le Parlement a conduit plusieurs travaux de contrôle, qui ont montré que les violences sexuelles sur mineur demeuraient rarement réprimées par les juridictions pénales. Trop souvent, les victimes n'osent pas dénoncer ce qu'elles ont subi. Un Français sur dix déclare avoir été victime d'inceste, de violences sexuelles dans son enfance. On recense près de 300 000 victimes de viol chaque année. Le nombre de victimes de violences sexuelles, dont 60 % sont des enfants, est effarant. Pourtant, le nombre de condamnations pour viol est extrêmement modeste, de l'ordre d'un petit millier. C'est un choc pour beaucoup de l'apprendre.

Selon une enquête réalisée par l'Institut français d'opinion publique (IFOP) pour l'association Face à l'inceste, il y aurait plus de six millions de victimes potentielles, mais moins de 10 000 plaintes enregistrées par la justice. Le Haut Conseil à l'Égalité entre les femmes et les hommes évoque même une certaine impunité des agresseurs. Dans notre République, nous ne pouvons plus l'accepter. Ces violences qui viennent détruire la vie d'un enfant, le marquer à vie, touchent tous les milieux sociaux sur tout le territoire.

Il convient de saluer des avancées récentes. Je pense à la loi n° 2016‑297 du 14 mars 2016 relative à la protection de l'enfant, à laquelle j'ai eu l'honneur de contribuer et qui a fait apparaître le terme d'inceste dans le code pénal. Je pense aussi à la loi n° 2018‑703 du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, qui a posé les jalons d'une présomption de vulnérabilité liée à l'âge de la victime. Ce sont des succès indéniables dont les artisans méritent respect et reconnaissance. Pour autant, il existe un consensus sur la nécessité d'aller plus loin.

L'examen de la présente proposition de loi survient deux ans et demi après l'entrée en vigueur de la loi du 3 août 2018. Si celle-ci a amélioré les dispositions pénales tendant à protéger les mineurs, elle n'a pas donné satisfaction à tous les acteurs de la protection de l'enfance. Beaucoup appellent de leurs vœux, depuis de longues années, la création d'une infraction nouvelle, afin qu'il ne soit plus nécessaire de s'interroger, au cours du procès pénal, sur l'éventuel consentement du mineur à un rapport sexuel avec un majeur. En effet, la distinction entre le consentement et le discernement du mineur de quinze ans est obscure. Poser un interdit clair permet d'écarter toute recherche du défaut de consentement et d'éviter d'instiller dans la tête de la victime ce refrain pernicieux selon lequel, en fin de compte, ce serait de sa faute.

La proposition de loi répond à cette attente en créant de nouvelles infractions de délit et crime sexuels sur mineur de quinze ans, lesquels seraient constitués pour tout fait de nature sexuelle commis par un majeur. La peine encourue serait de dix ans d'emprisonnement pour l'atteinte sexuelle sans pénétration et de vingt ans de réclusion criminelle pour l'atteinte sexuelle avec pénétration. À la différence du viol et de l'agression sexuelle, l'infraction serait constituée sans élément de violence, contrainte, menace ou surprise, dont la preuve est difficile à rapporter et qui place les victimes en situation de devoir prouver leur non-consentement.

Pour les actes incestueux, les mêmes dispositions sont reprises. Seule différence : si l'auteur présente un lien familial avec la victime, l'âge du consentement est fixé à 18 ans – la majorité légale. Ce seuil est préconisé par les associations nationales de la protection de l'enfance. Il est conforme à l'avis rendu en 2018 par le conseil national de la protection de l'enfance.

Je voudrais souligner que nous tenons compte des débats parlementaires survenus lors de l'examen de la loi du 3 août 2018. À l'époque, le Gouvernement avait envisagé modifier la définition du viol pour introduire une présomption de non-consentement du mineur de moins de quinze ans. Cette solution n'avait pas été retenue en raison de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, qui n'admet que de manière très limitée la possibilité d'une présomption en droit pénal. La proposition de loi contourne cet obstacle en créant des infractions autonomes.

Je voudrais insister sur un aspect qui semble relever de la sémantique, mais dont les implications sont d'une grande importance. J'entends les demandes de certains d'entre vous pour introduire, dans la définition des infractions spécifiques commises par un adulte sur un mineur, le terme de « viol ». Ce mot a acquis une symbolique forte dans le combat féministe. Or, il désigne une infraction criminelle précisément définie à l'aide de ce que les juristes appellent des adminicules : la violence, la contrainte, la menace, la surprise. Cela fait plusieurs années que l'on ambitionne de mieux réprimer les violences sexuelles sur des enfants présumant ces adminicules ; à chaque fois, ces constructions juridiques se heurtent au risque d'inconstitutionnalité, au droit de la défense à contester tous les éléments de l'infraction.

C'est pourquoi, à l'instar de législations étrangères et comme le préconisent tant les experts et associations spécialisés que notre collègue Alexandra Louis – dont je salue la présence parmi nous – dans son rapport d'évaluation de la loi Schiappa remis le 4 décembre dernier, nous avons préféré définir les atteintes sexuelles par des adultes sur des mineurs hors de toute référence aux termes de viol et d'agression sexuelle. Nous créons des infractions autonomes. Cela nous semble garantir la sécurité juridique de notre proposition.

Enfin, nous avons eu le souci de construire un texte ferme, comportant un interdit clair, afin de limiter les interprétations et de le rendre efficace, y compris pour la communication auprès du grand public. Le fondement sociétal de cet interdit est la vulnérabilité de l'enfant et son corollaire, la responsabilité de l'adulte. L'élément central de ces infractions est l'âge de l'enfant, quelles que soient les circonstances de l'acte sexuel. Concernant les infractions incestueuses, elles sont liées au statut des auteurs et à la minorité de la victime.

Chers collègues, ma conviction profonde, issue d'un parcours de plus de dix ans dans la protection de l'enfance contre l'innommable – j'ai accueilli par centaines des adolescents, enfants, bébés qui, tous, étaient des victimes –, c'est que nous, parlementaires, pouvons agir et envoyer un message clair. Tel est le vœu que j'ai formé quand je suis arrivée à l'Assemblée nationale. Je suis fière, et même émue, d'être devant vous pour le concrétiser.

Pour les enfants qui sont chaque jour cinquante à être victimes de violences sexuelles, pour ceux que nous représentons alors qu'ils ne votent pas, pour ceux qui siégeront à notre place dans quelques années, nous pouvons et nous devons agir. Les avis du Conseil d'État et les décisions du Conseil constitutionnel sont des lignes directrices pour agir, pas des alibis pour nos renoncements.

Ce texte ne sera pas un brevet à brandir pour nous donner bonne conscience. C'est un pas ferme et décidé vers une législation qui protège les plus faibles, les plus fragiles : les enfants. Il faut que le message adressé soit clair : on ne touche pas à un mineur.

L'honneur de rapporter cette proposition de loi devant la commission des Lois s'ajoute à la fierté de l'avoir, avec d'autres, rédigé. Plus de cent amendements ont été déposés : j'espère que nos débats seront riches et que nous pourrons nous retrouver autour d'un texte consensuel.

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