Intervention de François Villeroy de Galhau

Réunion du mardi 8 février 2022 à 18h20
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

François Villeroy de Galhau, Gouverneur de la Banque de France :

Avec l'indépendance qui s'impose à la Banque de France, j'évoquerai l'empreinte du Covid-19 sur notre économie à court terme, qui ne doit pas masquer les défis structurels de notre pays, puis j'aborderai les évolutions positives récentes en matière de réglementation bancaire et assurantielle.

Tout d'abord, l'économie française a connu en 2021 sa plus forte croissance depuis plus de cinquante ans. Elle s'établit à 7 % selon l'INSEE. Notre pays fait preuve d'une remarquable capacité de rebond, après avoir un peu plus souffert que ses voisins européens lors du premier confinement. En 2022, la croissance devrait rester vigoureuse. Elle atteindra 3,6 %, selon notre prévision de décembre 2021. Nous publierons le jeudi 10 février 2022 notre enquête de conjoncture menée début février auprès de 8 500 entreprises. Même si le point publié ce soir par l'INSEE reste prudent, tout laisse penser que l'activité a bien résisté en ce début d'année, malgré les difficultés de certains services, comme l'hébergement et la restauration. Après avoir rattrapé son niveau pré-Covid-19 l'été dernier, le produit intérieur brut (PIB) rejoindrait ainsi en 2023 sa trajectoire de croissance antérieure et la pandémie ne laisserait que peu de cicatrices sur l'économie française.

Ces mêmes succès justifient de résister fermement aujourd'hui à un retour du « quoi qu'il en coûte ». En effet, les entrepreneurs n'ont pas vocation à être subventionnés à vie, car les entreprises témoignent d'une situation plutôt meilleure que ce que l'on pouvait craindre. Ainsi, l'analyse de la cotation de leur risque de crédit montre que la part des entreprises en bonne situation financière (cote 1+ à 4+) est restée stable par rapport à 2019 et dépasse les 60 %. Depuis fin 2019, leur endettement brut a crû significativement (+237 milliards d'euros à la fin du mois d'octobre 2021), mais leur trésorerie a augmenté presque autant (+230 milliards d'euros). In fine, la dette nette des entreprises est quasi identique à celle de fin 2019 (+0,4 %).

Les prêts garantis aux entreprises (PGE) ont représenté un succès français assez remarquable. Ils ont largement soutenu les entreprises françaises pendant la crise, surtout des petites et moyennes entreprises (PME) et des très petites entreprises (TPE). Selon nos estimations, plus de 95 % des entreprises — y compris des PME et TPE — sont en situation de rembourser ces PGE en temps et en heure. Il s'agit d'une bonne nouvelle, car si les entreprises ne remboursaient pas leur PGE, nous tous — ou nos enfants —devrions tôt ou tard rembourser l'addition à travers la dette publique. Près de la moitié des PGE pouvant commencer à être remboursés l'étaient déjà partiellement ou totalement à la fin de l'année 2021. Par ailleurs, la récente signature d'un accord de place permettra un aménagement supplémentaire des PGE pour les entreprises en difficulté, avec un suivi au cas par cas incluant la médiation du crédit adossée à la Banque de France.

Concernant le solde extérieur, les chiffres de la balance des paiements que nous avons publiés ce matin confirment hélas l'alourdissement de la facture énergétique et du déficit des biens. Toutefois, l'excédent sur les services a fortement augmenté par rapport à 2019 et 2020.

Les entreprises éprouvent cependant des difficultés sérieuses d'approvisionnement du fait de la reprise économique qui, combinée à la hausse des prix de l'énergie, suscite incontestablement une poussée d'inflation en France, à 3,3 % en janvier après 3,4 % en glissement fin 2021 (selon l'indice harmonisé au niveau européen). C'est nettement moins que la moyenne de la zone euro (à 5,1 %). Néanmoins, cette « bosse » est plus haute et plus longue que prévu, tandis qu'elle suscite beaucoup d'interrogations chez nos concitoyens. Pour autant, elle devrait rester temporaire. En effet, d'ici quelques mois, l'inflation en France devrait diminuer progressivement, pour repasser ensuite sous la barre des 2 %. Nous préciserons mi-mars 2022 le calendrier prévisionnel de cette décrue. Je garantis que nous, Banque centrale européenne et Banque de France, ferons ce qu'il faut pour que l'inflation revienne autour de 2 %, dans la durée, en zone euro et a fortiori en France. Nous en avons le mandat, nous en avons la capacité, nous en avons la volonté. En France, ce processus contribuera à conforter les gains de pouvoir d'achat en moyenne, significatifs ces dernières années avec un gain par habitant avoisinant 8 % cumulé sur la période 2015-2021, même si nous sommes conscients que ce taux cumulé ne recouvre pas la diversité des situations individuelles. Les Français peuvent avoir pleine confiance dans la stabilité de leur monnaie, l'euro. Nous en fêtons d'ailleurs cette année le vingtième anniversaire, avec un soutien très élevé des Français, qui atteint 74 % d'avis favorables.

Si l'image est aujourd'hui celle d'une bosse d'inflation et d'une croissance vigoureuse, les préoccupations devraient s'inverser à moyen terme. Ainsi, d'ici deux ans, l'inflation devrait atteindre à nouveau la cible de 2 %, tandis que la croissance ralentirait à 1,4 %. Toutefois, il serait souhaitable de viser un objectif plus ambitieux de croissance potentielle, entre 1,5 % et 2 %, soit un gain d'un demi-point. Seule cette ambition permettrait de mieux concilier pouvoir d'achat des ménages et maîtrise de la dette publique. Ce gain d'un demi-point relèverait, selon nos estimations, pour un tiers des deux transformations européennes à venir — numérique et écologique — et des investissements associés.

Cependant, l'essentiel du chemin tient à un défi français : celui de l'insuffisance de l'offre de travail. La France fait face à un paradoxe inacceptable : des difficultés de recrutement exprimées par plus de 50 % des entreprises, malgré 2,4 millions de chômeurs, dont 600 000 jeunes. Notre déficit de taux d'emploi par rapport à l'Allemagne représente près de 3 millions d'actifs. La majorité d'entre eux sont des jeunes et des seniors. Si nous réussissons collectivement à résorber ce déficit, notamment par l'apprentissage, la formation professionnelle et une réforme des retraites équilibrée, alors nous pourrons augmenter notre croissance potentielle dans les cinq ans et viser, d'ici dix ans, le plein emploi et le désendettement.

L'autre défi pour la politique économique française correspond en effet à celui de l'endettement public. Si son augmentation était justifiée face à la crise du Covid-19, nous devons aujourd'hui nous inquiéter d'une dette qui resterait au niveau de 115 % du PIB. Elle ne serait pas soutenable, en particulier avec des taux d'intérêt plus élevés. Une stratégie de désendettement crédible s'avère possible en combinant trois ingrédients dont le dosage relève du gouvernement et du Parlement : le temps — une stratégie sur dix ans pour revenir aussi nettement que possible sous 100 %, soit le niveau pré-Covid-19 — ; la croissance — augmentée par les réformes précitées — ; et une meilleure efficacité et maîtrise de nos dépenses publiques. Ces dernières sont les plus élevées non seulement d'Europe mais de tous les pays développés. Or il ne s'agit pas de les réduire globalement mais de tendre vers leur stabilisation en volume.

Notre cadre prudentiel a contribué à renforcer la résilience des banques françaises. Leur solidité face à la crise du Covid-19 en témoigne. Contrairement à des craintes régulièrement exprimées par l'industrie bancaire, cette solidité ne s'est en rien opérée au détriment du financement de l'économie française. En effet, depuis dix ans, et y compris en 2020 et 2021, le crédit bancaire en France a augmenté en moyenne de 4,5 % par an (5,2 % pour les PME, 4,7 % pour le crédit immobilier).

La Commission européenne a présenté fin octobre 2021 sa proposition de transposition. Elle tient fortement compte des préoccupations françaises, tout en restant pour l'essentiel compatible avec l'accord international de décembre 2017. Il nous faudra maintenir cet équilibre lors du processus d'adoption qui s'est engagé sous la présidence française de l'Union européenne. Or cet équilibre serait rompu si le caractère transitoire des dérogations sur les entreprises non notées ou l'immobilier était remis en cause. Ici se joue la crédibilité internationale de la France et de l'Europe. J'insiste : aucune banque française n'aura à réduire globalement ses financements ni à réaliser d'augmentation de capital dédiée. Ainsi, vous avez sans doute noté que plusieurs d'entre elles, tout en s'inquiétant encore et toujours de Bâle 3, annoncent au contraire des plans de rachat d'actions.

Du côté des assurances, Solvabilité II a également permis aux organismes d'affronter la crise avec une grande solidité, sans pour autant pénaliser la compétitivité des assureurs. Depuis près de dix ans, le marché français affiche un résultat net supérieur à 10 milliards d'euros. La révision en cours de Solvabilité II — qui devrait également progresser sous la présidence française de l'Union européenne — permettra de mieux prendre en compte l'environnement de taux bas et de faciliter l'investissement durable de long terme (soutien de l'investissement en actions, intégration d'objectifs climatiques), sans accroître les exigences globales de fonds propres des assureurs.

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