Intervention de Bruno le Maire

Réunion du mercredi 2 juin 2021 à 15h00
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Bruno le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la relance :

Je propose, comme nous le faisons habituellement, de vous présenter le contexte macroéconomique et la stratégie qui sous-tend ce projet de loi de finances rectificative avant qu'Olivier Dussopt ne vous expose le détail de ce texte.

Le contexte économique dans lequel s'inscrit ce projet de loi de finances rectificative est celui du retour de la croissance. Par conséquent, ce texte a vocation à marquer la transition entre la protection maximale que nous avons apportée pendant la crise et le retour à la normale. Ce retour à la normale doit se traduire par la fin de la politique du « quoi qu'il en coûte », qui constituait une exception ; la règle, c'est que les entreprises fonctionnent normalement et sans le soutien de l'État.

Bien évidemment, pour ne pas perdre le bénéfice de la stratégie économique que nous avons mise en œuvre avec le Président de la République et le Premier ministre depuis quatorze mois, il est nécessaire que les aides soient retirées de manière progressive, afin de prendre en compte les situations diverses dans lesquelles se trouvent les entreprises françaises. Aujourd'hui, 95 % de l'économie française fonctionne normalement. Les aides ne doivent donc servir qu'aux secteurs qui reviennent progressivement à la normale et aux entreprises qui, tout en étant viables, ont été particulièrement fragilisées par la crise économique.

Le contexte est donc celui d'un retour de la croissance, malgré un premier trimestre où nous avons enregistré un chiffre décevant, mais qui s'explique principalement par une moindre récession en 2020 : – 7,9 % au lieu de – 8,2 % selon nos prévisions. Pour le reste, tous les indicateurs économiques français sont bien orientés : l'investissement, la consommation, la confiance des entrepreneurs aussi bien que celle des ménages. Ainsi, les dépenses par carte bleue au cours des semaines récentes sont supérieures de 20 % aux chiffres de la période correspondante en 2019. Pour la première fois depuis le début de cette crise économique qui n'a de comparaison qu'avec la crise de 1929 pour sa brutalité et sa gravité, les indicateurs économiques français sont bien orientés. La croissance anticipée pour notre pays se situe entre 5,5 % et 5,7 %, selon les chiffres de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), de la Commission européenne ou du Fonds monétaire international (FMI). Pour ma part, je m'en tiens à la perspective de croissance que nous avions fixée précédemment à 5 %. Prudence est mère de toutes les vertus, y compris en matière de prévision économique. C'est pourquoi je crois sage de nous en tenir à ce chiffre raisonnable de 5 %, qui permettra de faire face à d'éventuelles difficultés sanitaires dans les mois à venir.

Je réaffirme devant vous notre ambition de revenir au cours du premier trimestre 2022 au niveau de développement économique de la France avant la crise, fin 2019. En un peu moins de deux ans, grâce à la politique économique que nous avons menée, aux mesures de protection et à la rapidité du décaissement de France relance, nous aurons réussi à retrouver le niveau de développement d'avant la crise.

Je voudrais profiter de cette présentation du niveau de croissance pour rappeler à quel point il est important que nous continuions à respecter les gestes barrière et à accélérer la vaccination pour que l'immunité collective soit garantie. En effet, le seul obstacle qui existe encore sur la route d'un chiffre de croissance élevé en France en 2021 est l'obstacle sanitaire. Il nous appartient à tous, collectivement, de le lever. Or vous savez que la vaccination collective est la seule arme réellement efficace contre la circulation du virus.

La croissance des États-Unis devrait se situer entre 6 % et 6,9 %, selon les estimations des mêmes instituts économiques, et celle de la Chine devrait être supérieure à 8 %. J'y reviendrai, car cela pose la question de la croissance que l'Union européenne veut avoir en sortie de crise.

Si les prévisions de croissance de la France sont parmi les plus élevées de la zone euro, c'est parce que nous avons protégé et relancé l'économie rapidement. Nous avons immédiatement adopté des dispositifs qui nous ont permis d'éviter une vague de faillites et de licenciements qui nous aurait empêchés de relancer rapidement. Aujourd'hui, si un restaurant ou un hôtel peut rouvrir, si une entreprise industrielle peut reprendre au même rythme qu'avant la crise, avec la même capacité de production, c'est parce que les emplois, les compétences, les qualifications et les savoir-faire ont été préservés. La force vive de la nation a été protégée pendant plusieurs mois. Certes, cette protection a un coût, mais il est certainement bien moindre, du point de vue économique, social et politique, que celui qui aurait consisté à ne rien faire ou à faire moins que ce que nous avons fait.

Vous connaissez tous le deuxième élément de contexte : une poussée inflationniste conjoncturelle, qui est la conséquence logique d'un redémarrage rapide de l'activité aux États-Unis, en Chine et en Europe. Chacun a besoin de matières premières et de salariés. Dans vos circonscriptions, toutes les petites et moyennes entreprises (PME) vous font sans doute part de cette tension sur le marché des matières premières et des difficultés pour recruter de la main-d'œuvre dans des secteurs tels que le bâtiment, les travaux publics, la restauration, l'hôtellerie ou le tourisme. Les deux problèmes se combinent parfois : celui qui veut refaire son toit ne trouve en ce moment ni couvreur, ni zinc, de sorte qu'il est contraint de décaler ses travaux. Nous ne mésestimons pas ce problème, mais nous estimons que ces tensions diminueront rapidement dès que nous serons revenus à une situation normale.

Troisièmement, les taux d'intérêt à dix ans augmentent légèrement, ce qui est cohérent avec le retour de l'activité économique. La France est passée d'un taux d'intérêt à dix ans sur les obligations assimilables du Trésor (OAT) de – 0,3 % à + 0,2 %, soit une augmentation de cinquante points de base. Avec Olivier Dussopt, nous avions anticipé cette remontée mesurée et naturelle des taux d'intérêt : dans les précédents textes financiers, nous avions tablé sur un taux d'intérêt à 10 ans de + 0,3 % dans le courant de l'année 2021 ; pour l'instant, il est stabilisé à + 0,2 %. Il n'en reste pas moins que c'est une réalité financière dont nous devons tenir compte et qui, à moyen terme, nous appelle à la vigilance sur la tenue de nos finances publiques.

Ce contexte étant rappelé, quelle stratégie économique mettons-nous en place dans le cadre de ce projet de loi de finances rectificative ?

Premièrement, nous poursuivons notre politique de soutien à l'économie. Toutefois, les aides, qui étaient massives et générales, deviennent ciblées et dégressives. En effet, un certain nombre de secteurs économiques et d'entreprises ont encore besoin du soutien budgétaire de la nation. Nous faisons ce choix au niveau national et les mêmes orientations sont prises au niveau européen : lors de la réunion de l'Eurogroupe qui s'est tenue à Lisbonne les 21 et 22 mai 2021, tous les ministres des finances de la zone euro se sont entendus pour affirmer qu'il était nécessaire de maintenir un soutien budgétaire à nos économies. C'est le choix de l'Espagne, de l'Italie, de l'Allemagne, de la France, de tous les États membres de la zone euro. J'en veux pour preuve la confirmation aujourd'hui même par la Commission européenne de la décision de prolonger jusqu'à la fin de l'année 2022 la clause dérogatoire générale qui avait été activée jusqu'à la fin de l'année 2021. Le signal lancé par la Commission européenne est très clair : il n'est pas encore temps de retirer le soutien public à l'économie. En revanche, il faut que ce soutien soit ciblé et dégressif, pour que nous sortions progressivement et sans heurt de la politique du « quoi qu'il en coûte » que nous avions décidée avec le Président de la République.

Ces aides ciblées et dégressives concernent les secteurs les plus fragilisés par la crise. Les dernières évaluations de la Banque de France montrent clairement que c'est le secteur de l'hôtellerie, des cafés et de la restauration (HCR) qui a le plus souffert de la crise et des fermetures administrative : l'endettement a augmenté et la trésorerie a baissé dans une proportion plus significative que dans tous les autres secteurs. Il est donc normal que ce secteur bénéficie d'une attention particulière.

Pour financer ces aides, le fonds de solidarité sera doté de 3,6 milliards d'euros supplémentaires ; le financement de l'activité partielle de 6,4 milliards supplémentaires ; les exonérations et étalements de charges augmenteront de 4 milliards. Ce sont les chiffres que nous vous proposons dans le cadre de ce projet de loi de finances rectificative.

Deuxièmement, ce projet de loi de finances rectificative maintient un soutien aux plus fragiles et au travail. Ce texte inclut des mesures pour l'hébergement d'urgence, qui bénéficiera de 700 millions supplémentaires, une prime au pouvoir d'achat défiscalisée et exonérée de charges sociales afin de mieux récompenser l'ensemble des salariés qui se sont battus pendant cette crise, une aide aux agriculteurs d'un montant de 350 millions et le financement du pass culture.

Troisièmement, nous vous présentons un plan de sortie de crise pour les entreprises qui ont été fragilisées mais qui restent viables. Ce plan, que nous avons présenté hier avec le garde des sceaux, M. Éric Dupond-Moretti, vise à éviter la vague de faillites que certains redoutent. Ce plan de soutien se traduit à la fois par le prolongement de mesures financières d'aide et d'étalement de prêts et par un fonds de transition nouveau doté de 3 milliards d'euros, dont une partie vient du Fonds de développement économique et social (FDES), qui doit permettre d'apporter des fonds propres aux entreprises qui en ont besoin avec des prêts de très long terme. Ce plan de soutien repose également sur une procédure judiciaire accélérée à trois mois, procédure de transition qui doit permettre de solder les comptes d'une entreprise et d'étaler la résolution de ses difficultés dans le temps.

Notre stratégie repose enfin sur la nouvelle disposition que nous avons adoptée en matière de carry back, de report en arrière des déficits. Ce dispositif, qui était plafonné à un million d'euros et limité à l'exercice antérieur, a été déplafonné et étalé sur trois ans.

Deux questions se poseront ensuite, que nous traiterons en temps voulu. Dans cette crise, nous nous sommes toujours efforcés d'anticiper les difficultés, par exemple les risques de faillite, et de tracer un horizon à long terme, notamment dans le cadre de France relance.

La première question sera évidemment celle du rétablissement des finances publiques. Le projet de loi de finances rectificative conduit à un déficit public de 9,4 % et à une dette publique de 117 %. Il faudra donc mettre en œuvre une stratégie de rétablissement de nos finances publiques, le moment venu, quand la croissance sera de retour. Vous connaissez notre stratégie. D'abord, nous refusons toute augmentation d'impôts. Nous nous opposons ainsi à la solution de facilité qui a été retenue pendant des décennies et qui a fait de la France le pays le plus taxé des pays développés. En revanche, l'accélération de la croissance, le choix des dépenses publiques les plus utiles et la poursuite des réformes de structure doivent nous permettre de garantir le rétablissement des finances publiques françaises sur le long terme, avec l'objectif de revenir en-deçà de 3 % de déficit public en 2027 et d'amorcer la baisse de la dette publique à partir de 2025. Nous rendons ainsi notre stratégie de rétablissement des finances publiques lisible pour les Français, ce dont ils ont besoin. Ce rétablissement est nécessaire pour nous prémunir contre tout nouveau risque et nous permettre de disposer de réserves financières suffisantes si, dans deux ans, cinq ans ou dix ans, une nouvelle crise devait survenir.

La deuxième question essentielle porte sur le niveau de croissance que nous voulons atteindre au lendemain de la crise. J'ai eu l'occasion de poser cette question à nos partenaires européens dans le cadre de l'Eurogroupe. Nous devons continuer d'investir, car c'est le moment de le faire. Certes, nous pouvons être fiers que les secteurs du luxe, de l'aéronautique ou de l'agroalimentaire soient dynamiques ; mais nous ne pouvons pas nous reposer systématiquement sur les mêmes filières de production et sur les mêmes chaînes de valeur, aussi prestigieuses soient-elles. Dans le cadre de France relance, nous ouvrons de nouvelles chaînes de valeur en France, notamment dans le domaine des énergies renouvelables ou de la santé. Ne faut-il pas réfléchir à la manière de sortir de la crise avec une capacité de croissance plus importante que celle que nous avions avant la crise ? Ne serait-il pas souhaitable, pour le niveau de vie de nos enfants et de nos petits-enfants, que la croissance potentielle après la crise soit plus élevée que celle qui était la nôtre avant la crise ? Nous posons ces questions à nos partenaires européens et nous ne cesserons de les poser avec le Président de la République, car elle engage la place du continent européen parmi les grandes puissances mondiales au XXIe siècle. Que voulons-nous face à la Chine et aux États-Unis ? Voulons-nous continuer à jouer en première division ou acceptons-nous la relégation en deuxième division, avec un niveau de croissance potentielle systématiquement inférieur à celui de ces deux continents ?

Des investissements ont déjà été faits dans les semi-conducteurs, dans l'hydrogène, dans les batteries électriques, dans les véhicules autonomes, dans l'intelligence artificielle, dans le cloud, ou dans le stockage de l'énergie. Nous examinons si ces investissements sont suffisants pour continuer à faire la course en tête avec les États-Unis et la Chine ou s'il est nécessaire d'aller plus loin. La conviction que je partage avec le Président de la République est que la France et l'Europe ont vocation à faire jeu égal avec ces deux autres continents au XXIe siècle.

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