Intervention de Sophie Beaudouin-Hubiere

Réunion du mardi 4 janvier 2022 à 18h10
Commission de la défense nationale et des forces armées

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSophie Beaudouin-Hubiere :

Cette proposition de loi, dans ses grandes lignes, reprend les dispositions d'une autre proposition de loi qui a déjà été défendue pas moins de trois fois par le groupe de la Gauche démocrate et républicaine, à ce détail près que vous ne demandez pas d'accorder la mention « morts pour la France » aux « fusillés pour l'exemple » : vous vous limitez en effet à demander leur réhabilitation générale et collective ainsi que l'inscription de leurs noms sur les monuments aux morts de leurs communes alors que, comme vous l'avez dit, cela est déjà possible.

Ce texte poursuit un objectif mémoriel et symbolique bien plus que pratique puisque l'essentiel de ses dispositions relève, au fond, du domaine réglementaire.

Le groupe La République en marche ne s'opposera pas à cette proposition de loi au seul motif qu'elle n'a pas de portée législative : il serait en effet malhonnête de prétendre que nous nous opposons à la poursuite d'objectifs mémoriels à travers la loi alors que nous avons adopté le projet de loi portant reconnaissance de la nation et réparation des préjudices subis par les harkis, par les autres personnes rapatriées d'Algérie anciennement de statut civil de droit local et par leurs familles du fait des conditions de leur accueil sur le territoire français.

De plus, je souscris à nombre de vos propos : il est indiscutable que ce qui se jouait dans les cours martiales entre 1914 et 1918 et plus particulièrement entre 1914 et 1915 n'était qu'une parodie de justice, d'abord parce que les droits de la défense n'étaient pas respectés et, ensuite, parce que la justice y était rendue de façon expéditive. Le dire, ce n'est pas procéder à une relecture de l'histoire à partir des principes actuels car ce simulacre de justice a été largement dénoncé par les contemporains : vous l'avez dit, en 1915, des députés se sont battus pour supprimer les cours martiales, ce qui a conduit à la réforme de la justice militaire du 27 avril 1916. Georges Clemenceau disait lui-même que la justice militaire est à la justice ce que la musique militaire est à la musique ! Je n'ai aucune difficulté à reconnaître avec vous que la justice rendue par ces cours martiales était expéditive. Sans doute cette affirmation peut-elle être d'ailleurs unanimement partagée sur nos bancs.

Je suis en revanche un peu plus mal à l'aise avec d'autres aspects de votre proposition de loi.

Ainsi, en proposant une réhabilitation générale et collective, vous dépassez le cadre légitime de la dénonciation d'erreurs pour aller sur un terrain idéologique et politique. Si beaucoup de soldats ont été exécutés pour de mauvaises raisons, certains d'entre eux avaient déserté deux voire trois fois. Comme le souligne le rapport Prost, « déclarer innocent » un mutin « constitue une négation du devoir militaire », ce qui soulève de nombreux problèmes : cela reviendrait notamment à admettre que la défense nationale n'a jamais été une obligation pour les citoyens et à remettre en cause l'existence même du concept et du statut de « mort pour la nation ».

Cela va même à l'encontre du combat des proches des fusillés, qui ne cherchent pas à nier le devoir militaire mais à faire reconnaître qu'il a été accompli. Les objectifs de la campagne en faveur de la réhabilitation dépassent, de loin, le fait de rendre justice à tel ou tel soldat. Elle vise à régler une question complexe, désormais centenaire, en affirmant une position de principe, ce qui dessert le travail des historiens puisque cela revient à nier la complexité de l'histoire et des situations auxquelles ces soldats ont été confrontés.

Si le législateur peut parfois voter des lois mémorielles tendant à reconnaître une injustice commise par l'État ou le Gouvernement à une époque donnée, il ne lui revient nullement de se substituer aux historiens en imposant une grille de lecture moderne et politisée.

Sur la forme, votre proposition de réhabilitation se heurte à des difficultés pratiques dont le rapport Prost de 2013 avait déjà fait état. La réhabilitation générale soulève en effet des problèmes politiques et historiographiques que vous ne pouvez pas nier. La réhabilitation individuelle a été rendue possible par l'institution de la cour spéciale de justice militaire de 1932 et a conduit à une quarantaine de réhabilitations au cas par cas.

Malgré les initiatives menées en ce sens, comme la numérisation des archives des conseils de guerre, qui sont accessibles en ligne depuis 2014, les réhabilitations au cas par cas sont dans l'impasse : refaire des procès cent ans après les faits n'a aucun sens ; 20 % des dossiers ont été perdus et la plupart de ceux dont nous disposons sont lacunaires. En l'absence de témoins, il est impossible de conclure.

Nous voterons donc contre ce texte.

Nous ne pouvons souscrire au principe de la réhabilitation collective, pour les raisons que j'ai énoncées. Quant à la reconnaissance de la Nation – qu'il ne faut pas confondre avec la réhabilitation –, elle ne nécessite pas l'intervention de la loi. Nombre de chefs d'État ou de gouvernement se sont clairement exprimés, les dossiers sont transparents – je vous renvoie au site « Mémoire des hommes » ou au musée de l'Armée – et il est déjà possible d'inscrire les noms des soldats réhabilités sur les monuments aux morts, comme l'ont fait certains maires. Enfin, pourquoi ne pas laisser aux associations d'anciens combattants, si elles le souhaitent, le soin de faire de l'un des monuments de Riom, de Vingré ou de Saint-Martin d'Estréaux un monument national ?

Si nous partageons une même volonté mémorielle, ce n'est pas à la loi de faire l'Histoire.

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