Intervention de le vice-amiral d'escadre Nicolas Vaujour

Réunion du mercredi 8 décembre 2021 à 9h40
Commission de la défense nationale et des forces armées

le vice-amiral d'escadre Nicolas Vaujour, sous-chef d'état-major « opérations » (SCOPS) à l'état-major des armées :

Mes propos liminaires seront centrés sur le territoire national, même si je suis naturellement prêt à répondre à toutes vos questions, notamment sur les forces de présence.

Le chef d'état-major des armées (CEMA) m'a donné deux missions : assurer la défense de la France, de ses intérêts et de ses citoyens face à la dangerosité du monde ; contribuer à protéger les Français contre la dangerosité du quotidien, essentiellement sur le territoire national, dans l'Hexagone et outre-mer. Cette dangerosité du quotidien prend plusieurs visages : le terrorisme, la crise sanitaire, les catastrophes climatiques ou naturelles et les conséquences de la compétition interétatique qui se manifestent aujourd'hui jusque dans nos approches.

Évidemment, les Français attendent que les armées, dont l'action est souvent visible mais parfois méconnue, soient présentes pour les protéger face à l'ensemble de ces menaces. Vous nous avez certainement déjà vus patrouiller dans les gares et les marchés de Noël dans le cadre de Sentinelle, et sur le terrain lors des tempêtes.

Je n'évoquerai pas, même si elles contribuent à la défense des Français au quotidien, les unités que les armées mettent à disposition du ministère de l'intérieur, les formations de la sécurité civile, la brigade de sapeurs‑pompiers de Paris (BSPP) et le bataillon de marins‑pompiers de Marseille (BMPM). pas plus que la gendarmerie.

L'engagement des armées sur le territoire national peut être schématisé en trois niveaux : le socle permanent de protection ; les mesures de renforcement au profit ou en soutien des forces de sécurité et des administrations de l'État ; les capacités de réaction d'urgence.

Le socle peut se définir comme l'ensemble des dispositions permanentes prises dans les milieux terrestre, maritime ou aérien et dans le cyberespace pour contrer en toutes circonstances une agression même limitée contre le territoire, la population ou ses intérêts. On les appelle les postures permanentes de sûreté.

La posture permanente de sûreté aérienne consiste à surveiller notre espace aérien, à évaluer les menaces et à intervenir en cas de besoin. Elle est assurée par 1 000 personnes placées sous les ordres du commandant de la défense aérienne, au moyen d'un maillage de radars civils et militaires. Chaque jour, en temps normal, 15 000 mouvements aériens ont lieu au-dessus du territoire. En 2021, on a compté 202 décollages sur alerte impliquant 156 avions de chasse et 46 hélicoptères qui sont intervenus pour aller à la rencontre du vecteur aérien concerné, notamment en cas de perte de signal radio ou de violation de l'espace aérien. Pour en revenir à la compétition interétatique, on a dénombré quatorze raids de bombardiers russes à long rayon d'action venus dans nos approches sans violer notre espace aérien pour voir si nous étions capables de réagir – et à chaque fois, nous leur avons montré que nous l'étions.

En dehors de cette posture permanente, nous renforçons la protection de certains événements – des sommets internationaux, les cérémonies du 14 juillet – au travers de dispositifs particuliers de sûreté aérienne (DPSA) visant à créer une bulle à l'intérieur de laquelle nous voulons absolument tout maîtriser. Nous travaillons également fortement à l'amélioration de nos capacités dans le domaine de la lutte anti-drones.

La posture permanente de sauvegarde maritime assurée par la marine nationale a vocation à protéger nos approches et notre zone économique exclusive (ZEE), en métropole comme outre-mer, contre les menaces que représentent les trafics – de drogues, notamment en Méditerranée, ou d'armes –, la pêche illicite et les pollutions marines, et à préserver nos aires marines protégées (AMP). Il s'agit également de surveiller nos compétiteurs : lorsque les Russes partent du Grand Nord pour se rendre en Méditerranée, ils traversent notre ZEE et sont donc à chaque fois suivis par un bâtiment de la marine nationale. Quelques chiffres pour illustrer notre action : en 2021, 44 tonnes de stupéfiants ont été saisies dans le monde, 245 contrôles de pêche ont été effectués, 253 opérations des secours – hors migrants – ont été menées et près de 1 000 restes d'explosifs de guerre ont été neutralisés par la marine nationale. Cette posture mobilise chaque semaine près de 2 000 personnes, pour 7 000 jours de mer en 2021, tandis que 800 personnes assurent l'armement des sémaphores vingt-quatre heures sur vingt-quatre et sept jours sur sept. Un dispositif particulier de sûreté maritime est par ailleurs mis en place lors de chaque événement particulier nécessitant une protection particulière.

La posture de protection cyber, un peu moins connue, est en train de monter en puissance. Elle repose sur un dispositif permanent de surveillance des réseaux et des systèmes du ministère, qui utilise les capacités de détection des différentes armées. L'année 2021 a été émaillée de 12 000 événements cyber, de trente-quatre alertes ayant nécessité une intervention, de quatorze incidents et de huit opérations de défense. Au-delà de nos capacités de détection, des groupes d'intervention cyber agissent pour contrer ces attaques, qui peuvent relever de la cybercriminalité ou provenir d'États, même s'il est toujours difficile de les caractériser et de les attribuer.

La posture de protection terrestre est une posture interarmées qui regroupe toutes les mesures prises dans le milieu terrestre par les armées, directions et services dans le cadre de notre fonction stratégique de protection. Son organisation repose sur l'existant, notamment sur le maillage territorial qui permet de fournir à la nation des capacités de réaction rapide – lorsque survient une inondation, c'est souvent d'abord le régiment de la circonscription qui prête son concours aux autorités locales. En cas de crise majeure ou d'attaque militaire sur le territoire national, les armées ont évidemment pour mission de protéger la France et les Français.

Au-delà des postures permanentes, nous agissons en soutien des forces de sécurité intérieure ou des administrations en fonction des besoins exprimés : nous devenons alors une partie de la réponse.

L'opération Sentinelle, d'importance majeure pour les armées françaises, s'inscrit dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. Lancée en 2015 à la suite des attentats de janvier, elle mobilise aujourd'hui près de 7 000 hommes. Trois niveaux doivent être distingués : le dispositif opérationnel permanent, déployé notamment dans les gares et sur les sites sensibles, en fonction des besoins exprimés par les préfets ; les renforts planifiés, notamment à l'occasion des marchés de Noël ; la réserve stratégique qui, déclenchée sur ordre du Président de la République, permet donner un coup d'extincteur lorsque c'est nécessaire.

Cette organisation a été revue il y a quelque temps, de façon à la rendre plus agile : elle nous semble bien répondre aujourd'hui aux besoins exprimés tant par les préfets que par les régions de façon à produire l'effort au bon endroit. Il faut être mobile et rester relativement imprévisible. Une centaine de sections, contre quatre-vingt-sept en temps normal, sont déployées en ce moment sur le territoire.

La deuxième opération majeure est l'opération Résilience, menée en appui du ministère des solidarités et de la santé. Depuis la mi-mars 2020, de nombreux moyens contribuent à l'engagement interministériel contre l'épidémie de covid. Au départ, les armées se sont concentrées sur le transport – de masques, de vaccins, de congélateurs et de patients – et sur l'aide logistique. Quelque 1 200 missions ont été réalisées depuis mars 2020, et nous avons compté jusqu'à 4 000 militaires engagés. Ensuite, le volet sanitaire a été marqué par le déploiement du module de réanimation à Mulhouse, qui a compté jusqu'à trente lits. Dans le domaine de la vaccination, les hôpitaux d'instruction des armées (HIA) et trois pôles militaires de vaccination ont été ouverts sur le territoire national. Notre dispositif a été systématiquement adapté en fonction des besoins du ministère des solidarités et de la santé, lesquels sont validés quasiment tous les quinze jours en Conseil de défense. Un plan national de vaccination a été lancé pour la troisième dose. Après avoir fait le tour des outre-mer, le module militaire de réanimation (MMR), de cinq lits, se trouve actuellement en Nouvelle-Calédonie ; il permet aux structures hospitalières locales de reprendre leur souffle et d'absorber le choc. La mobilisation du service de santé des armées (SSA) nous a obligés à faire des choix et à fermer certaines activités. Nous suivons donc la situation avec attention, la résilience des armées contribuant à la résilience de la nation.

L'opération Héphaïstos vise chaque année, de juin à septembre, à lutter contre les feux de forêt. Ont ainsi été mobilisés cette année dans les vingt-trois départements du sud de la France une cinquantaine de militaires, dont des réservistes, un détachement de trois hélicoptères et un groupe du génie.

Le troisième niveau de réaction des armées est la capacité de gérer l'urgence. Les moyens souvent lourds dont elles disposent permettent de répondre sur le terrain à des besoins inhabituels. L'ouragan Irma aux Antilles, en 2017, avait ainsi conduit à l'envoi d'un bâtiment de projection et de commandement (BPC) et de nombreux avions qui ont permis de convoyer 1 800 tonnes de fret et de transporter 8 000 personnes. Les secours d'urgence peuvent également être déployés en cas de désastres climatiques, comme ceux qui ont frappé le sud de la France ou la tempête Alex qui a, en octobre 2020, mobilisé quatorze hélicoptères, deux bâtiments de soutien et 130 personnes. Nous sommes également intervenus en octobre 2018 contre le risque de pollution marine causé par la collision des navires Ulysse et Virginia au nord de la Corse. Cela a également été le cas en juin 2021 lorsqu'une nappe pétrolière menaçait les côtes corses.

En sus de la gestion de crise par le ministère des affaires étrangères, nos armées ont la capacité d'aller chercher nos ressortissants à l'étranger et de les rapatrier en sécurité, comme nous l'avons vu en plein mois d'août dans le cadre de l'opération Apagan, où nous avons évacué d'Afghanistan un peu moins de 3 000 personnes via Abou Dhabi. Si nous disposons de cette capacité de réaction rapide dont nous n'avons pas à rougir, c'est parce que nous sommes présents un peu partout dans le monde – dans les outre-mer, au Sénégal, au Gabon, en Côte d'Ivoire, aux Émirats arabes unis, ou encore à Djibouti, où notre dispositif prépositionné nous permet d'envisager une évacuation potentielle d'Éthiopie avec plus de sérénité. Nos partenaires, notamment européens, ont bien conscience de l'atout que constituent nos pré-positionnements un peu partout dans le monde et demandent même notre soutien : un tel maillage mondial est donc absolument indispensable.

J'en viens au cadre de notre engagement. En dehors des postures permanentes, il n'est pas naturel pour les forces armées d'intervenir sur le territoire national. Elles le font sur réquisition de l'autorité civile et dans le cadre de la fameuse règle des quatre « i » : on peut engager les forces armées pour soutenir ou renforcer l'action de l'administration de l'État lorsque les moyens de celle-ci sont inexistants, insuffisants, inadaptés ou indisponibles.

À cet égard, la coordination civilo-militaire est un élément très important pour nous, afin que nous intervenions au bon endroit pour aider l'administration. Cette coordination s'effectue à plusieurs niveaux : le Conseil de défense, la cellule de coordination intérieur-défense, les relations quotidiennes entre les préfets et les délégués militaires départementaux. Le dialogue, objectivement, se passe très bien. Nous ne pouvons pas répondre à toutes les demandes, car nous sommes limités par les capacités dont nous disposons. Par exemple, le SSA représente 1 % des capacités du système de santé français.

Pour présenter de manière schématique la capacité des armées à réagir dans l'urgence, je dirais qu'elles jouent le rôle d'un airbag qui aide les administrations à absorber le choc de l'événement, le temps que celles-ci soient capables de se réorganiser pour y faire face dans la durée. Un airbag, c'est efficace au début, moins dans la durée.

Les armées contribuent en continu à la protection des Français contre la dangerosité du quotidien. Les Français sont, à juste titre, très attachés à cette mission, comme le sont les armées elles-mêmes. Vous pouvez compter sur notre action au quotidien et sur notre volonté de répondre à l'urgence, au service de la France et des Français.

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