Intervention de Général Oumarou Namata Gazama

Réunion du mercredi 2 décembre 2020 à 17h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

Général Oumarou Namata Gazama :

Madame la présidente, mesdames et messieurs les députés, permettez-moi, avant tout propos, de vous remercier de l'occasion qui m'est offerte de vous édifier sur la situation de la Force conjointe, créée en février 2017, il y a de cela bientôt quatre ans, en vue d'aider à relever les défis sécuritaires qui assaillent la Bande sahélo-saharienne (BSS). C'est aussi le lieu de rendre un vibrant hommage à vos compatriotes qui y sont tombés.

Il vous souviendra que c'est avec une lecture régionale de la menace et le besoin impératif de synergie et de mutualisation face à la dégradation du contexte sécuritaire, que les pays de l'espace G5 Sahel avaient décidé de la création de cette Force, pour tenter de combler le gap sécuritaire transfrontalier et accompagner la réalisation des objectifs de l'institution autour de son crédo « Sécurité et Développement ».

Durant sa première année d'existence, la Force conjointe s'est essentiellement employée à la génération de forces, au déploiement des unités et à un début d'appropriation du terrain. La deuxième année, tout en mettant en œuvre un certain nombre d'opérations, a été surtout axée sur l'opérationnalisation capacitaire, qui passait par le soutien international en accompagnement des efforts individuels et collectifs des États membres du G5 Sahel, qui consacrent entre 15 et 30 % de leur budget à la défense. Pour le troisième mandat de la Force, nous nous sommes inscrits dans la dynamique de relancer, avec le plus de pragmatisme possible, sa montée en puissance et amorcer de façon plus pratique sa maturation opérationnelle.

Le 1er novembre 2020, la Force conjointe a entamé son quatrième mandat annuel avec la relève effective de l'ensemble des personnels de ses quatre postes de commandement multinationaux.

Depuis le sommet extraordinaire des chefs d'État du G5 Sahel, le 15 décembre 2019, à Niamey, marqué par la réappropriation clairement affirmée de la direction des questions militaro-sécuritaires par ce haut niveau politique du G5 Sahel, la Force conjointe a pu enregistrer des avancées fort significatives.

C'est ainsi que dans le but général de mettre en œuvre de façon effective et visible l'action de la Force conjointe, depuis notre prise de fonction, nous nous sommes évertués à orienter toutes nos actions vers plus de réalisme et de pragmatisme pour dépasser ou, dans certains cas, composer avec les difficultés persistantes qui minaient son essor.

Alors, malgré une situation sécuritaire très préoccupante, notamment à la fin de l'année 2019, la Force conjointe a pu engager des efforts relativement fructueux dans le domaine des opérations militaires et des relations avec les partenaires, même si, par ailleurs, d'importants défis restent encore à relever.

Madame la présidente, Mesdames et Messieurs les députés,

Comme vous le savez, l'éradication du terrorisme est une lutte de longue haleine qui a mis à rude épreuve les meilleures armées du monde, partout où une intervention a été nécessaire.

Dans la Bande sahélo-saharienne, il faut dire qu'au cours de la période allant du mois d'août 2019 au mois de janvier 2020, la situation sécuritaire était restée assez préoccupante dans la zone de sécurité et d'intérêt de la force conjointe, au regard du grand nombre et très souvent de la violence des incidents relevés. Les Groupes armés terroristes (GAT) et autres Groupes de criminalité organisée (GCO) ont multiplié les actions contre les forces de défense et de sécurité (FDS), les populations civiles et les symboles de l'État, particulièrement au Burkina Faso, au Mali et au Niger. Les attaques complexes de positions des forces de défense et de sécurité par des effectifs ennemis de plus en plus importants ont permis de confirmer l'existence de véritables connexions opérationnelles et logistiques entre les groupes armés terroristes. Leurs interactions variaient au gré de leurs intérêts et se caractérisaient aussi par le nomadisme des combattants d'une organisation à une autre, souvent même à partir de certains Groupes armés signataires (GAS).

Parallèlement, il avait été relevé l'exacerbation par endroits des conflits à caractère intercommunautaires et interethniques, le plus souvent instrumentalisés par les divers groupes armés.

Madame la présidente, Mesdames et Messieurs les députés,

Avant d'en venir aux opérations menées par la Force conjointe, je voudrais d'abord, si vous le voulez bien, partager avec vous la substance des orientations que j'avais fixées dès ma prise de fonctions, en août 2019, et les grandes lignes de mon agenda opérationnel.

Les orientations ont été déclinées dans un document dénommé « Vision du COMANFOR », dont six grands axes forment l'ossature :

Après avoir fixé ces orientations comme lignes permanentes de conduite de nos actions, il s'agissait pour nous, de planifier et mettre en œuvre des opérations conformément à notre mandat, à travers des directives de planification, suivant un plan de campagne qui devrait courir d'août 2019 à août 2021. L'un des objectifs principaux de ce plan vise à mettre en harmonie les futures opérations de la Force conjointe avec les différents efforts des Armées nationales et des Forces partenaires que sont Barkhane et la Mission Multidimensionnelle Intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA). Ce plan de campagne vise aussi clairement à faire évoluer la posture et le format de la Force pour lui faire gagner en pragmatisme et en efficacité, afin de mieux faire face à la situation sécuritaire en constante dégradation, surtout dans le centre de l'espace du G5 Sahel.

Madame la présidente, Mesdames et Messieurs les députés,

Pour ce qui des opérations, la Force conjointe, depuis sa création en 2017, tout en continuant à se constituer, a su mettre en œuvre un certain nombre d'opérations pour marquer sa présence dans le champ d'action de la lutte contre le terrorisme et de la criminalité organisée et afficher sa détermination à poursuivre sa mission.

C'est ainsi que, de ses débuts à ce jour, la force conjointe a déjà mené vingt-quatre opérations, dont neuf opérations majeures depuis octobre 2019 : quatre dans le fuseau est (AMANE 2, OBANNA 2, 3 et 4), une dans le fuseau ouest (DAREA) et quatre dans le fuseau centre (PAGNALI 2, SAMPARGA 3, PAGNALI 3 et SAMA 1). Cela donne une idée du chemin parcouru en termes d'activité opérationnelle.

L'opération SAMA 2, au centre, a démarré le 1er août pour une période de six mois, c'est-à-dire jusqu'à la fin janvier 2021. Elle a pris la suite de l'opération SAMA 1, engagée en mars 2020.

En résumé, sur l'ensemble des trois Fuseaux, les opérations de ces dix derniers mois, ont globalement permis :

Madame la présidente, Mesdames et Messieurs les députés,

Concernant l'état actuel de la Force conjointe du G5 Sahel, globalement, pour ce qui est des matériels, pour une grande partie des bataillons, le niveau capacitaire reste encore assez moyen. Pour certains bataillons, les effectifs restent encore en dessous des standards requis. En outre, dans le domaine logistique et pour ce qui est de certaines capacités comme le renseignement, la Force reste largement tributaire de certains partenaires présents sur le théâtre.

Il faut aussi noter la situation des Unités d'nvestigation spécialisée (UIS) de la composante police qui peinent encore à se déployer, faute d'équipements. Toutefois, les détachements prévôtaux sont en grande partie opérationnels.

Pour ce qui est du partenariat international soutenant la Force conjointe, à côté des efforts nationaux de nos cinq États, il s'applique sur un certain nombre de domaines.

Dans le domaine de la formation, les principaux partenaires de la Force conjointe sont l'EUTM Mali, l'EUCAP Sahel et le Haut-Commissariat des Nations unies aux Droits de l'Homme de la MINUSMA.

Le soutien à la mise en œuvre du cadre de conformité droits de l'homme s'appuie sur des fonds de l'Union européenne, dont le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l'Homme, à travers son bureau près la MINUSMA, a la responsabilité.

Le soutien logistique opérationnel qui lui s'appuie sur un mécanisme qu'il a été convenu d'appeler « soutien additionnel » basé sur des fonds de l'Union européenne dont la MINUSMA a la responsabilité. La question avance, certes lentement, mais elle avance quand même, grâce à des actions d'amélioration en cours suite aux nouvelles injonctions figurant dans la résolution 2531 du 29 juin 2020 du Conseil de sécurité des Nations unies.

L'appui en équipements, services et infrastructures au profit de la force conjointe suit principalement deux axes : un appui en bilatéral directement traité avec les structures nationales des cinq pays du G5S et un appui direct à la Force.

Un soutien purement opérationnel est fourni autant que possible par la Force Barkhane, en termes d'appuis aériens (survols ISR, appui feu au contact, transport) et de fourniture de rations de combat. Barkhane a aussi déjà soutenu certaines unités en termes d'accompagnement tactique de réassurance.

Madame la présidente, Mesdames et Messieurs les députés,

Malgré les difficultés, un certain nombre d'avancées majeures bien notables ont été capitalisées depuis un certain temps. Il s'agit d'abord de l'évolution de la posture et du format.

Faisant partie des objectifs substantiels de notre plan de campagne, ce besoin d'évolution qui avait été soulevé dès les premiers temps du mandat 3 s'imposait pour débrider la Force Conjointe et lui permettre de mieux faire face à l'évolution de la situation sécuritaire. Il fallait se donner la possibilité de dépasser les actions et positionnements purement frontaliers qui finalement constituaient des carcans ne donnant pas la souplesse nécessaire pour s'adapter au contexte sécuritaire qui avait largement muté.

Autre avancée majeure, c'est l'effectivité de l'harmonisation des actions et la coordination entre les différents acteurs. En effet, dans la droite ligne du deuxième axe de la vision du COMANFOR, tendant à la systématisation des opérations coordonnées ou conjointes avec les Forces concourantes nationales et les Forces partenaires et qui est l'un des cadrages fondamentaux du plan de campagne de la Force conjointe, l'harmonisation et la coordination se sont vues propulsées au rang de directives politiques.

Car, à la suite du sommet extraordinaire de Niamey, le sommet du 13 janvier à Pau est venu confirmer certaines orientations et engagements dans le sens du besoin de coordination au sein d'un Mécanisme de Commandement Conjoint (MCC) des futures opérations au Sahel. Le MCC serait ainsi la base indiquée de départ d'une coalition plus large envisagée pour le Sahel.

A ce jour, le niveau de coordination, d'harmonisation et d'actions conjointes entre la Force conjointe, la Force Barkhane et les Armées nationales du G5 Sahel a atteint un niveau inespéré et est effectif jusqu'au plus bas échelon tactique. Les résultats concrets qui continuent d'être capitalisés par ces actions conjointes confirment la pertinence de nos interactions.

Madame la présidente, Mesdames et Messieurs les députés,

Au registre des défis importants face à nous, il faut d'abord noter que du point de vue fonctionnel, il est permis dans l'absolu d'affirmer que le niveau atteint paraît satisfaisant, si l'on ne tient pas compte des disparités d'un endroit à l'autre. Cependant, du point de vue capacitaire, à ce jour, beaucoup reste à faire. Ainsi, en termes de capacités, deux aspects méritent une attention particulière. Et la question du financement pérenne reste aussi un défi qu'il faut ici rappeler.

Ainsi, premièrement, la force ne dispose pas de capacité aérienne propre, alors même que le combat antiterroriste actuel ne peut se faire efficacement sans cette rallonge capacitaire. À ce titre, des alternatives devront être recherchées pour l'atteinte des résultats tant attendus. C'est pourquoi une proposition sous forme de requête d'un mécanisme d'accompagnement des vecteurs aériens des armées des pays membres pour leur mise à disposition de la Force conjointe a été évoquée. Dans ce cadre et en attendant l'atteinte d'une certaine autonomisation, les besoins opérationnels incompressibles nous imposent actuellement et en complément des fastidieux efforts nationaux, de poursuivre la collaboration avec les partenaires directement opérationnels comme Barkhane et, indirectement en soutien comme AFRICOM.

En second lieu, il s'agit du système de renseignement, l'autre grande faiblesse de la Force conjointe. L'acquisition de capteurs et de moyens de surveillance de type radars terrestres est à envisager sur les mêmes fonds qui ont formellement été annoncés. Fort heureusement, dans le cadre du MCC, la mise en place d'une cellule de fusion du renseignement IFC (Intelligence Fusion Cell), à l'intérieur de la base avancée projetée de Barkhane, a permis pour l'heure de faire face aux besoins de l'opération SAMA.

Enfin, s'agissant du soutien, la Force conjointe reçoit de nombreuses aides, même si leurs mises en place effectives sont souvent fastidieuses. Mais il est bon de rappeler que les États du G5 Sahel consentent en interne d'importants sacrifices. Ainsi, au moment où des avancées certaines sont capitalisées, où la Force conjointe gagne sans cesse en crédibilité, où les attentes sont de plus en plus fortes et où la situation globale milite pour un plus grand soutien, il est opportun de rappeler la nécessité de pérenniser le système de financement de la force conjointe, directement sous la responsabilité du COMANFOR, afin de mieux maîtriser la planification et la conduite des opérations.

Madame la présidente de la commission défense, Mesdames et Messieurs les députés,

Pour nous résumer, nous pouvons dire que des avancées fort significatives ont été enregistrées. Mais la situation opérationnelle de la zone de responsabilité reste encore volatile. Il est indispensable de prolonger la dynamique de coordination et de mutualisation des capacités. Les très bons résultats capitalisés ces derniers temps imposent à tous, tant à la force conjointe qu'aux autres forces engagées dans la zone, de tout mettre en œuvre pour exploiter notre relatif avantage sur l'ennemi en consolidant les acquis et en faisant obstacle à ses tentatives de rétablissement dans d'autres secteurs. Les engagements opérationnels envisagés, qu'il faut impérativement continuer à soutenir, seront décisifs pour la poursuite du redressement de la situation sécuritaire dans notre espace commun. Il s'agira aussi de maintenir, voire de redoubler les efforts de mobilisation des moyens matériels et financiers, tant en interne qu'à l'international.

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